samedi, avril 30, 2005

Mahyar Monshipour, la France aux poings

Maintenir une conversation suivie avec Mahyar Monshipour ? Impossible dans les rues de Poitiers. Un bonjour par-ci, une poignée de mains ou une embrassade par-là, quelques nouvelles échangées plus loin : tous les dix mètres, il faut s'arrêter. "C'est la même chose à Marseille, tout le monde me reconnaît !" , constate celui qui devait défendre pour la quatrième fois son titre mondial des super-coq WBA, vendredi 29 avril, dans la cité phocéenne.

Mahyar Monshipour, 30 ans dont vingt comme Poitevin, aime qu'on le reconnaisse. Pas tant pour son visage, mais parce que "c'est dur d'être anonyme dans un pays qui n'est pas le sien au départ. Etre iranien, en France, c'est quoi ? Rien !" Il a donc "toujours été dans un rôle de séduction" , "toujours été le plus poli et le plus souriant possible" . Il lui fallait "échapper au rôle du petit immigré" . Et même "devenir une personnalité" .

Contrairement à la plupart des boxeurs, Mahyar Monshipour n'est pourtant pas issu d'un milieu où ce sport permet de prendre l'ascenseur social. Il aurait dû être médecin. C'est en tout cas ce que souhaitait son père, sous-préfet de police à Téhéran du temps du chah et des débuts de la révolution islamique. Son grand-père, originaire de Bam, était un simple tailleur, mais tous ses enfants ont réussi ­ Mahyar a deux tantes qui sont enseignantes, une autre infirmière, et un oncle général.

En plein conflit irako-iranien, son père l'envoie en France, où il est accueilli par sa tante Mahnaz, installée à Poitiers avec son mari, l'ancien président Bani Sadr. Mahyar Monshipour a alors 11 ans et ne parle pas un traître mot de français.

Quelques années plus tard, après une année de médecine pour faire plaisir à son père, alors émigré au Canada, il obtient une licence de sciences techniques activités physique et sportive (Staps). Insuffisant pour lui. "Si j'avais été prof de gym, je n'aurais été que le "petit Arabe" qui a réussi ses études. Il me fallait être tout en haut de l'affiche. C'est passé par la boxe parce je pense que j'étais fait pour ça."

Il devient professionnel en 1996. Six ans plus tard, il est champion de France et d'Europe. "Le mental de Mahyar est exceptionnel, il a une détermination qui sort de l'ordinaire, s'extasie Jean-Claude Bouttier, ancien champion d'Europe, consultant pour Canal+ et à l'origine de la Ligue professionnelle de boxe. C'est un boxeur spectaculaire, au style très généreux."

Quiconque a assisté à l'un de ses combats peut en témoigner. Calme et posé hors des cordes, il saute littéralement sur son adversaire dès le premier coup de gong, lui assène une grêle de coups à la vitesse de l'éclair. C'est à se demander comment ses concurrents ne partent pas en courant face à un tel possédé. Comme s'il devait toujours en faire plus pour parvenir à ses fins, sur le ring ou ailleurs, comme s'il n'avait pas terminé de payer une dette.

"Aujourd'hui, j'ai l'impression de mériter le droit d'être français, parce que je contribue à l'avancement de ce pays." L'histoire de sa naturalisation renferme une blessure. Onze ans après son arrivée, en 1997, il avait déposé une demande, alors qu'il venait de remporter le Tournoi de France. La réponse n'est venue que deux ans et demi plus tard. Négative, au prétexte qu'il était étudiant. "J'étais très déçu parce que j'avais toujours été irréprochable. Les seuls moments où je me rends compte que je ne suis pas né en France c'est lorsque, dans la conversation, on parle de dessins animés ou de chansons qui datent d'il y a vingt ou vingt-cinq ans et que je ne connais pas. Mais l'histoire de France, je la connais bien mieux que beaucoup des gens que je fréquente."

Mahyar Monshipour est finalement devenu français en 2001, grâce à l'intervention de Françoise Imbert, députée (PS) de Haute-Garonne, qui dit avoir compris, grâce à lui, "les valeurs que véhicule ce sport, le respect de l'autre, l'humilité, la ténacité" . "C'est sa rencontre, raconte l'élue, qui m'a amenée à créer l'Amicale parlementaire du noble art."

Comme avant chaque combat, Mahyar Monshipour a encore dit, avant d'affronter le Japonais Shigeru Nakazato à Marseille, qu'il abandonnera la boxe en cas de défaite. "J'adore ce sport, mais je suis détaché par rapport à ce milieu." Réalisée depuis longtemps, sa reconversion le comble. Il est directeur adjoint des sports au conseil général de la Haute-Vienne. C'est dans ce cadre qu'il a créé Sport éducation 86, une structure qui permet à quelque 150 garçons et filles de 11 à 25 ans de s'initier à la boxe éducative, une discipline où les coups ne sont pas portés. "Nous touchons des populations disparates, avec des imaginaires et des fantasmes complètement différents. Ça permet à des enfants de milieu rural et de cités urbaines de se rencontrer. Ma fierté est là."

De l'Iran, il gardait un très mauvais souvenir, "l'impression d'y avoir vécu dix ans en apnée" . "Ma mère m'a abandonné lorsque j'avais 2 ans, explique-t-il, je ne voulais plus entendre parler de mon pays." Jusqu'au jour, en décembre 2003, où la terre tremble à Bam, le lieu de ses origines, au sud-est du pays. Il se rend dans la ville ravagée, n'y voit "que des gens dignes" , découvre un peuple avec lequel il se "réconcilie" . "J'en suis parti la tête haute."

A son retour, il crée l'association France-Bam Solidarité, afin de construire une école dont les travaux devraient commencer cet été. Mahyar Monshipour y retournera en juillet en compagnie de son épouse, Anne, psychologue, en espérant entre-temps avoir trouvé les 70 000 euros qui manquent pour boucler le budget.

"Ce n'est pas un fardeau, mais une charge. Il faut que j'aille jusqu'au bout de ce projet. Je serai soulagé et fier quand tout ça sera fini. Je n'avais pas ça dans l'âme mais c'est normal de faire ce que nos moyens nous permettent." Un simple geste de solidarité, comme ceux, qu'il n'oubliera jamais, que fit "madame Billy" , cette institutrice à la retraite qui lui donnait des cours bénévolement, ou "monsieur Mathieu" , le principal du collège Ronsard qui l'accueillait en 6e.

"Dans quatre ou cinq ans, dit-il, plus personne ne me demandera d'épeler mon nom. Mes futurs enfants n'auront pas à le faire non plus." Et Mahyar sera peut-être devenu un prénom français.


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1975 Naissance à Téhéran (Iran).
1986 Arrivée à Poitiers (Vienne).
2001 Naturalisé français.
2005 Défend pour la quatrième fois son titre de champion du monde des super-coq WBA.

LE MONDE | 29.04.05 |

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