mercredi, juin 26, 2013

Ce que les sanctions contre l'Iran coûteraient à la France

Une euphorie contagieuse ? Si les iraniens fêtent l'arrivée au pouvoir du modéré Hassan Rohani, élu le 15 juin 2013, il pourrait en être de même pour la France, pays qui souffre en silence du déclin des échanges avec la République islamique. Soucieux de ne pas isoler l'Iran, le nouveau président laisse espérer une reprise des relations entre les deux pays. Quatrième partenaire commercial de la République islamique dans les années 2000, la France a chuté en 15ème position depuis la mise en place de sanctions européennes, onusiennes et américaines contre un éventuel programme nucléaire iranien à usage militaire. Nombre d'entreprises françaises ont été contraintes de prendre le large, en dépit de leur implantation parfois ancienne. Même dans les secteurs qui échappent aux sanctions, comme l'alimentaire, le pharmaceutique ou l'automobile, la France n'encourage pas les échanges. "Ce marché ne fait pas partie de nos cibles pour le moment", indique Catherine Crosnier, porte-parole au Quai d'Orsay. Ses propos reflètent la position très offensive adoptée par Nicolas Sarkozy à l'égard de l'Iran et qui se poursuit depuis l'arrivée du nouveau gouvernement. Entre 2005 et aujourd'hui, les exportations françaises en Iran se sont effondrées, passant de 2 milliards d'euros à 800 millions (-70%). "D'un point de vue symbolique, cette perte est énorme, estime Sébastien Regnault, chercheur au laboratoire gestion société du CNRS. Avant le quinquennat Sarkozy, nous étions le premier partenaire industriel de la République islamique. C'est la France qui paie le plus lourd tribut de ces sanctions. Les autres résistent mieux, comme les États-Unis qui, malgré une politique sévère à l'égard de l'Iran, ne renoncent pas pour autant à tous leurs intérêts économiques". Si les Américains sont les premiers à avoir imposé des sanctions contre l'Iran -notamment avec la loi d'Amato (1996) qui vise les hydrocarbures du pays- ils y poursuivent néanmoins leurs échanges. "Ils vendent beaucoup de produits, comme des ordinateurs Apple, des iPhones et du Coca-Cola, mais c'est difficile à chiffrer puisque ça se fait sous le manteau", ajoute Sebastien Regnault. "Les exportations américaines ont augmenté de 50% ces deux dernières années et les européennes ont baissé de moitié depuis leur embargo sur notre pétrole", affirme quant à lui Ali Ahani, ambassadeur d'Iran en France. De son côté, Thierry Coville, spécialiste de l'économie iranienne, regrette que "le gouvernement français culpabilise les entreprises qui font des affaires là-bas". "DU BUSINESS, PAS DE L'HUMANITAIRE" Le groupe Danone, présent sur le marché iranien via sa filiale Sahar (produits laitiers) et l'eau minérale Damavand, refuse de s'épancher sur le sujet. Même silence chez Sanofi, qui vend des vaccins et des produits pharmaceutiques en Iran, pays qui a le plus grand mal à importer des médicaments nécessaires à la survie de nombreux patients. Le groupe Carrefour, lui, nie y être implanté, bien que son nom figure sur le site Internet de la Chambre Franco-Iranienne de Commerce et d'Industrie : "Ce n'est pas nous, mais Majid al Futtaim, un de nos partenaires franchisés. Nos projets communs ne se situent pas dans ce périmètre géographique". Cette entreprise de Dubaï a ouvert en Iran trois "HyperStar", des supermarchés dont le logo rappelle étrangement celui de Carrefour. Mêmes typographies, mêmes flèches rouges. "Mais ce n'est pas le même nom, donc ça n'a rien à voir", se défend une porte-parole du groupe français de la grande distribution qui préfère taire son nom. L'Hyperstar de Téhéran a d'ailleurs la réputation d'être l'enseigne la plus rentable du groupe, après celui de Dubai. Le constructeur automobile Renault n'a jamais caché sa présence dans le pays mais reste tout aussi discret. Depuis 2004, il y fait assembler des Logan et des Mégane II Sedan, par le biais d'une joint-venture avec Saipa et Iran Khodro, les deux acteurs majeurs de l'automobile en Iran. En 2011, 93 000 véhicules y ont été vendus. "On est là-bas pour faire du business, pas de l'humanitaire. Il y a un vrai potentiel pour nos voitures qui s'écoulent bien, malgré quelques difficultés de flux financiers et logistiques liées aux sanctions économiques", explique un porte-parole du groupe automobile qui préfère lui aussi l'anonymat. Il fait allusion à la difficulté de rapatrier en France les bénéfices engrangés en Iran. En 2012, l'Union européenne a interdit au secteur bancaire iranien l'accès au réseau Swift (Society for Worldwide Interbank Financial Telecommunication), ce qui oblige les opérateurs à user d'étranges méthodes, allant du troc aux montages complexes via le Liban ou la Russie. "UNE BALLE DANS LE PIED" Cette même raison a été invoquée en février 2012 par Peugeot pour justifier un départ d'Iran, son premier marché après la France, (458 000 véhicules vendus en 2011). Il y exportait des kits pour des véhicules montés sur place. Selon l'ambassadeur Ali Ahani, le retrait de la marque au lion, présente en Iran pendant 35 ans, serait lié à son alliance depuis février 2012 avec le géant automobile General Motors. Proche du lobby "United Against Nuclear Iran", la compagnie américaine aurait exercé des pressions sur sa partenaire française. Peugeot s'y serait plié afin de ne pas froisser la compagnie américaine, numéro 2 mondial du secteur automobile. En mauvaise santé économique, le constructeur automobile français souhaite tirer profit du dynamisme de GM, fortement implanté sur d'autres marchés porteurs comme la Chine. Les premiers effets devraient se faire sentir en 2016. Pour l'instant, les ventes totales de Peugeot ont baissé de 16% en 2012. Une chute que certains imputent à l'arrêt de ses exportations vers l'Iran. "Cela n'a rien à voir. C'est simplement que depuis 2008, le marché occidental s'écroule et que nous ne sommes pas encore assez portés sur les pays émergents comme la Chine ou l'Inde. C'est ce qui a permis à l'Allemagne de mieux résister", argumente Jean-Baptiste Mounier, porte-parole du groupe. Le chercheur Thierry Coville estime qu'en quittant l'Iran, Peugeot "s'est tiré une balle dans le pied ". Ali Ahani renchérit : "Le départ de Peugeot a terni la réputation des entreprises françaises dans notre pays. Jusqu'alors, elles étaient très bien accueillies. Désormais, les entreprises iraniennes y réfléchiront à deux fois avant de signer un contrat avec l'une d'entre elles. Celles qui coopèrent encore avec l'Iran malgré les pressions auront d'ailleurs plus facilement accès à nos projets industriels qui s'élèvent à plus de 50 milliards d'euros et que nous comptons réaliser dès la levée des sanctions." Cette levée des sanctions n'est pas d'actualité, mais le groupe Total anticipe tout de même des jours meilleurs en gardant un bureau de représentation à Téhéran, au cas où les affaires reprennent. L'UE a décrété un embargo pétrolier contre l'Iran, le 1er juillet 2012 et Total n'a eu d'autres choix que de cesser son commerce de brut avec le pays, quatrième réserve mondiale de pétrole. Avant cet embargo, l'entreprise pétrolière française y achetait à bon prix 80 000 barils par jour, et semble y avoir pris goût. Contraints le 29 mai de verser 400 millions de dollars aux autorités américaines pour mettre fin à des poursuites liées à des accusations de corruption dans le cadre de contrats pétroliers en Iran, renvoyés le même jour devant le tribunal par le parquet de Paris pour cette même affaire, Total et son patron Christophe de Margerie restent malgré tout déterminés à réinvestir le pays au plus tôt. Une dizaine de salariés attendent sur place un assouplissement de l'embargo. Source : Le Monde du 17 juin 2013, Emma Paoli