samedi, janvier 16, 2010

2010 et le défi iranien

2010 et le défi iranien
Les échos du 04/01/10

Par Dominique MOÏSI, Conseiller spécial à l'IFRI

La première décennie de notre nouveau siècle se termine. Sur le plan géopolitique quels seront les événements et les évolutions les plus remarquables de l'année 2010 ? Sera-t-elle l'année de « la nouvelle révolution iranienne » ? L'année du « vrai retour » d'une Amérique qui, ayant dépassé avec succès le défi que constituait la réforme de son système de santé, peut enfin se projeter dans le monde avec confiance et détermination ? L'année de l'entrée dans un monde devenu pleinement multipolaire et où les puissances émergentes derrière la Chine acceptent enfin de prendre toutes les responsabilités qui désormais leur incombent ? L'année où l'Europe apprendra à harmoniser ses poli tiques avec les institutions dont elle dispose désormais, en particulier ses nouveaux instruments diplomatiques ?

De 2001 à 2007, de la chute des tours de Manhattan aux premiers frémissements de ce qui allait devenir la plus importante crise financière et économique depuis les années 1930, il existait comme un divorce entre les évolutions économiques et géopoli tiques. Les spécialistes de géopolitique apparaissaient comme des Cassandre et leur pessimisme, justifié, contrastait avec l'optimisme, sans doute excessif, de leurs collègues économistes. De 2007 à 2009, par étapes, les inquiétudes des économistes ont rejoint et même pendant de brefs instants largement dépassé les prévisions pessimistes des géopoliticiens. En 2010, ne va-t-on pas retrouver un divorce classique entre des économistes fondamentalement optimistes -« le pire est derrière nous » - et des spécialistes de géopolitique fondamentalement pessimistes -« le pire est devant nous » ? En 2008-2009, le pire a clairement été évité au moins sur le plan financier. Pendant cette même période, les progrès réalisés sur le plan géopoli tique n'ont-ils pas été marginaux par rapport aux aggravations constatées du Pakistan à l'Afghanistan, du réchauffement climatique devenu problème de sécurité au durcissement de la Russie, sinon de la Chine…

La crise iranienne en ce début d'année 2010 apparaît comme mûre, si l'on veut dire par là qu'elle est prête à entrer dans une phase nouvelle et imprévisible. N'y a-t-il pas comme le début d'une guerre civile larvée entre deux camps qui regroupent leurs forces ? L'affaiblissement du régime à l'intérieur, qui est indéniable depuis la confiscation des élections de juin 2009, s'accompagne de son durcissement à l'extérieur, qui se caractérise par un comportement de plus en plus irrationnel du régime en place. Nous ne sommes plus face aux finasseries de la diplomatie du bazar, mais face à l'imprévisibilité d'un régime aux abois. Devant cette situation, quel doit être le comportement de la communauté internationale ? Doit-elle attendre avec patience que le régime s'effondre de lui-même, convaincu qu'il n'en a plus pour très longtemps ? Il y a des dérives fascistes dans le régime iranien actuel, avec néanmoins une différence majeure avec l'Italie de Mussolini. Ce n'est pas le monde extérieur qui humilie la majorité des Iraniens, c'est le régime qui les domine avec son mélange de plus en plus intolérable de vulgarité et de brutalité. La « communauté internationale » doit-elle à l'inverse durcir le ton, pratiquer une politique de sanctions toujours plus dures, en disant bien au peuple iranien -et c'est difficile -que les sanctions visent le régime et non eux-mêmes, que nous sommes derrière eux et que leur souffrance est la nôtre ? Un discours peut-être impossible à tenir en ces termes, compte tenu de l'état des relations entre le monde occidental et l'Islam, et un discours qui ne correspond ni sur le fond ni sur la forme aux politiques privilégiées aujourd'hui par les Russes et les Chinois.

En réalité l'Amérique de l'après-réforme du système de santé, l'Europe de l'après-Lisbonne, la Chine de l'après-Copenhague, sans parler de l'Inde et de la Russie, se trouvent toutes confrontées au défi iranien. Comment renforcer l'opposition, affaiblir le régime et éloigner le calendrier d'un Iran nucléaire… et tout cela en évitant le recours pur et simple à la force militaire, une intervention qui risquerait de ressouder la population derrière le régime en place ? Bref, la quadrature du cercle, mais aussi le premier test d'un monde multipolaire qui doit inventer de nouvelles règles du jeu pour faire face au défi iranien.

L'Iran vise une croissance de 8% par an dans les cinq prochaines années

11/01/10 - AFP

L'Iran prévoit une croissance économique annuelle moyenne de 8% d'ici à 2015, selon les objectifs du 5e plan quinquennal présenté dimanche au Parlement par le président Mahmoud Ahmadinejad et dont quelques chiffres sont cités lundi par le quotidien gouvernemental Iran Daily.

Le président iranien n'a fourni pratiquement aucun chiffre en présentant ce plan 2010-2015, dont les détails n'ont pas été publiés.

Iran Daily indique toutefois lundi que le plan prévoit une croissance annuelle "proche de 8%", avec un taux d'inflation de l'ordre de 12%.

Le taux de croissance de l'Iran a été proche de 5% par an au cours des quinze dernières années, mais est tombé à 2,5% en 2009. L'inflation, après avoir frôlé les 30% en 2008, est retombée à 13% fin 2009, selon les chiffres officiels.

Les prévisions du plan sont basées sur un cours moyen du pétrole brut à 65 dollars le baril, précise Iran Daily.

L'Iran prévoit par ailleurs une réduction de la part du pétrole dans ses exportations de l'ordre de "10% par an", indique le journal. Le pétrole représente actuellement 80% des exportations iraniennes.

Téhéran prévoit d'investir 20 milliards de dollars annuellement au cours des cinq prochaines années pour développer ses capacités pétrolières et gazières, selon le journal.

Ces investissements viseront notamment à accroître la production de produits raffinés --essence et gazole-- dont l'Iran doit actuellement importer environ 200.000 barils/jour, soit 11% de sa consommation, selon les statistiques de l'OPEP. Cela devrait permettre au pays de parvenir à l'autosuffisance d'ici à 2015, selon Iran Daily.

Le 5e plan quinquennal prévoit d'appuyer le développement du secteur gazier sur des "investissements étrangers et privés", indique le journal sans autres précisions.

Le plan fixe par ailleurs l'objectif d'une réduction du taux de chômage à 7% (contre 13% actuellement selon les chiffres officiels du ministère du travail) grâce la création de près d'un million d'emplois par an, toujours selon Iran Daily.

dimanche, janvier 10, 2010

Washington revoit à la baisse ses sanctions contre l'Iran

Le Monde, du 06.01.10

De peur de pénaliser l'opposition iranienne, les Etats-Unis n'évoquent plus de mesures de rétorsion commerciales.

Bien que Téhéran n'ait pas saisi la main tendue du président Obama avant l'échéance de la fin de l'année 2009, la Maison Blanche, évoquant la mobilisation massive dans la rue en Iran contre les dérives du régime, semble avoir renoncé aux sanctions musclées dont elle avait menacé Téhéran, et qui étaient réclamées par la France et le Royaume-Uni.

Selon un article du New York Times du 3 janvier, considéré par des diplomates occidentaux comme reflétant la nouvelle politique outre-Atlantique, le gouvernement américain n'évoque plus de sanctions commerciales étendues contre l'Iran, ni la mise en place d'un embargo sur la vente d'essence et de produits pétroliers raffinés.

« Notre objectif est de faire pression sur le gouvernement iranien, en particulier les Gardiens de la révolution, sans contribuer à la souffrance des Iraniens, qui méritent mieux que leur sort actuel », a expliqué, lundi 4 janvier, la secrétaire d'Etat américaine, Hillary Clinton. La « double voie du dialogue et de la pression » n'est pas fermée, a-t-elle précisé, se refusant à définir une nouvelle date butoir.

De peur, selon le New York Times, de « mettre en colère les Iraniens qui manifestent dans les rues en les privant de marchandises occidentales », la diplomatie américaine serait prête à se contenter de sanctions ciblées contre les Gardiens de la révolution, l'armée idéologique du pays, qui est au coeur de la répression des manifestations, et a bâti un empire économique dans le bâtiment, l'énergie et les télécommunications. Le but de Washington serait de paralyser financièrement les sociétés qu'ils contrôlent.

La stratégie américaine, qui aurait reçu l'aval d'Israël, s'appuie, selon le quotidien new-yorkais, sur une réévaluation à la baisse du danger iranien. D'après six conseillers de M. Obama, anonymement cités, les dirigeants iraniens seraient « distraits par les troubles dans la rue » et auraient moins « d'énergie » pour l'enrichissement d'uranium. La découverte par les Occidentaux d'un site d'enrichissement secret près de la ville de Qom, annoncée en septembre, aurait aussi fait « dérailler » le programme nucléaire. Quant au site officiel d'enrichissement de Natanz, il connaîtrait de nombreux problèmes techniques, dus à des centrifugeuses archaïques et des opérations de sabotage.

L'administration américaine ne considérerait plus, comme elle l'avait affirmé en septembre, que l'Iran soit techniquement capable, s'il en prend la décision, de se lancer dans la mise au point d'une arme nucléaire - un tel seuil ne sera pas franchi « avant dix-huit mois, ou peut-être deux ou trois ans », selon les sources du New York Times. Toutefois, les conseillers de M. Obama estiment, sur la base de « nouveaux documents » et d'entretiens avec des transfuges, que « le travail sur des plans d'arme, se poursuit ».

La nouvelle stratégie américaine qui, selon les conseillers de la Maison Blanche vise à exploiter la « fenêtre d'opportunité » créée par l'opposition, et qui rendrait les dirigeants iraniens « particulièrement vulnérables » à des sanctions, n'est peut-être qu'une excuse, destinée à masquer l'échec de la politique de conciliation de M. Obama.

C'est l'avis de Gary Sick, spécialiste de l'Iran à l'université de Columbia. « La plupart des sanctions utiles pour cibler les Gardiens de la révolution ont déjà été prises, explique le chercheur. On peut les resserrer un peu, mais on veut donner l'impression d'une grande victoire, alors qu'on se contente de bien moins que prévu. »

En avril 2009, Hillary Clinton, avait mis l'Iran en garde contre « des sanctions qui paralysent ». Le 2 août, le New York Times rapportait que l'administration Obama étudiait un embargo sur les importations de produits pétroliers raffinés. En septembre 2009, la Maison Blanche évoquait, selon le Washington Post, des sanctions de nature à « couper les liens économiques de l'Iran avec le reste du monde ». Fin septembre, le premier ministre britannique, Gordon Brown, menaçait Téhéran de sanctions « nettement plus sévères » tandis que Nicolas Sarkozy parlait de « sanctions massives, dans les domaines financier et énergétique ».

Karim Sadjadpour, du Carnegie Endowment for International Peace, considère que des sanctions ciblées contre les Gardiens de la révolution « sont les plus sensées », car elles permettent de faire « d'une pierre deux coups » - les Gardiens « gèrent le programme nucléaire » et « supervisent la répression brutale des manifestants pacifiques », rappelle-t-il. « Je pense que personne ne pleurera pour eux au sein de l'opposition », pourtant majoritairement hostile aux sanctions, ajoute le spécialiste.

Des sanctions contre les Gardiens de la révolution et leurs entreprises ont déjà été adoptées par le Conseil de sécurité de l'ONU, entre 2006 et 2008, sans opposition de la Chine et de la Russie. Mais, selon un diplomate occidental, « ils les contournent dans tous les sens ». Les sanctions envisagées par Washington « ne marcheront pas », prévient Abbas Milani, chercheur à l'université de Stanford. Les Gardiens de la révolution utilisent « des milliers de sociétés écrans au Koweït, à Dubaï, en Irak ou en Asie » et excellent dans les trafics, ajoute-t-il, craignant qu'un « embargo mal ficelé permette au régime de se dédouaner de ses responsabilités auprès de l'opinion tout en enrichissant les Gardiens de la révolution ».

Pour Abbas Milani, la seule mesure efficace serait un embargo complet sur le pétrole iranien. Cela « aurait un coût pour la population à court terme, mais le régime n'y survivrait pas, et le coût serait moindre à long terme », assure-t-il, reconnaissant toutefois que la Chine et la Russie ne l'accepteraient jamais.

Philippe Bolopion

vendredi, janvier 01, 2010

L'Iran sous la présidence de Mahmoud Ahmandinejad : Bilan perspectives

Cet ouvrage collectif évalue le bilan de la présidence de Mahmoud Ahmadinejad, entre le moment où cet inconnu, maire ultraconservateur de Téhéran, devient le président de la République islamique d'Iran en août 2005 et le nouveau scrutin de juin 2009, qui peut renouveler ou mettre un terme à son mandat. Ce bilan est mitigé. Certes, la flambée des cours de l'or noir a permis à ce " serviteur du peuple " de tenir un discours populiste et même d'injecter massivement le revenu pétrolier dans la société. Mais pendant ce temps, l'inflation s'est envolée, la production a chuté faute de capitaux nationaux qui ont préféré la fuite et des investisseurs internationaux qui se sont repliés. Le chômage a fait des ravages. Le pays s'est isolé sur la scène internationale et s'est vu surtout visé non seulement par les sanctions, mais également les menaces d'attaque contre ses installations nucléaires. Les auteurs analysent les différents aspects économiques, politiques, sociaux et diplomatiques du bilan de Mahmoud Ahmadinejad pendant cette période qui l'a fait passer de l'anonymat à la célébrité.

L'ouvrage peut être téléchargé en ligne sur : http://www.mediafire.com/?wmc55zzdnzy

Face cachée de la théocratie : L’Iran sous l’emprise de l’argent

http://www.monde-diplomatique.fr/2009/06/MOTAMED_NEJAD/17226


juin 2009 - Page 11



Face cachée de la théocratie : L’Iran sous l’emprise de l’argent


En 2005, les candidats « réformistes » avaient été battus lors du scrutin présidentiel parce qu’ils s’étaient montrés incapables de proposer une solution aux problèmes sociaux. M. Mahmoud Ahmadinejad, lui, avait promis d’« apporter l’argent du pétrole sur la table du peuple ». Aujourd’hui, le président iranien est à son tour interpellé sur son bilan économique.Alors que l’Iran se trouve au centre de l’attention internationale, l’élection de ce mois-ci se joue à nouveau autour de problèmes intérieurs.


Par Ramine Motamed-Nejad
Economiste, maître de conférences au Centre d’économie de la Sorbonne, université Paris-I.
Le Monde Diplomatique, Juin 2009

Dès la fin de la guerre avec l’Irak (1988), le rapport de la société et de la classe politique iraniennes à l’argent a connu une transformation radicale, les valeurs morales, en particulier religieuses, jusque-là dominantes, connaissant un net recul. Dans un ouvrage paru en 1998, le sociologue Faramarz Rafipour (1) impute en premier lieu cette évolution à l’émergence d’une minorité qui n’hésite plus à « exhiber sa richesse». Une attitude que le gouvernement de M. Hachémi Rafsandjani n’a fait que renforcer en incitant, à l’aube des années 1990, les entrepreneurs de la diaspora à « regagner le pays », afin de contribuer à sa reconstruction.

A l’autre extrémité de l’échelle sociale, une majorité de la population a été frappée par une décennie de crises, provoquant l’érosion de son pouvoir d’achat et l’aggravation de ses problèmes financiers. Le désir de « mettre en scène » sa richesse, pour les uns, et la montée de la pauvreté, pour les autres, fondent la conclusion de l’auteur : « Les valeurs matérielles et la valeur-richesse ont triomphé. »

Le désir d’opulence a pu s’exprimer à la faveur des réformes économiques — privatisation des entreprises publiques, libéralisation du commerce extérieur — mises en œuvre, à partir de janvier 1990, par le gouvernement du président Rafsandjani.

Depuis vingt ans, la presse mais aussi des rapports officiels n’ont cessé de dénoncer l’« opacité » et les « irrégularités » qui ont entouré ces privatisations. Une partie des bénéficiaires de ces « transferts de propriété » sont les dirigeants de ces sociétés autrefois publiques — une nouvelle élite économique. Ainsi, un rapport du Parlement indique que, en 1994, les titres de plus de cinquante entreprises industrielles ont été cédés à leurs directeurs à des « prix de complaisance », à rebours des « conditions requises par la loi ». Ces titres ont été payés grâce aux prêts arrachés à la Société d’investissement des industries nationales, c’est-à-dire avec de l’argent public, pratique qui s’est poursuivie sous les gouvernements de MM. Mohammad Khatami et Mahmoud Ahmadinejad.

La libéralisation du commerce extérieur constitue l’autre gisement de profits. Elle donne lieu à des rentes considérables, non seulement dans l’économie officielle, mais aussi dans les circuits parallèles dominés par la contrebande. Ce sont, entre autres, les bénéficiaires de ce phénomène que, depuis plusieurs années, la presse qualifie de « mafias ». Ce terme désigne les groupes économiques qui contrôlent l’importation et la redistribution des produits alimentaires, des biens manufacturés et de la drogue, et se livrent au détournement et à l’exportation d’une fraction des produits énergétiques, relevant pourtant du monopole de la Compagnie nationale iranienne du pétrole (National Iranian Oil Company, NIOC).

Comme l’indique la chercheuse Fariba Adelkhah, « les grands marchands du bazar », tout autant que le personnel politique et les institutions du régime, « participent directement et massivement à cette seconde économie, éventuellement pour s’enrichir, mais aussi pour s’autofinancer (2) ». Ainsi l’élite marchande, très influente pendant les années 1980, doit désormais compter avec de nouveaux acteurs économiques en quête de richesse.

Les groupes dominants du capitalisme ne sont pas en reste. Ils ont formé de grands holdings industriels, financiers et commerciaux qui internalisent, le plus souvent, leurs sources de financement, sans renoncer pour autant aux privilèges monétaires que diverses institutions publiques ou parapubliques continuent à leur consentir. Ils s’emparent des commandes publiques, donc de marchés presque garantis, et, là où cela s’avère possible, tentent de se soustraire à leurs dettes.
Du caritatif au lucratif

Il ne s’agit ni d’un capitalisme d’Etat — celui-ci s’est retiré de nombreuses branches économiques — ni d’un capitalisme de marché, ces groupes contournant les contraintes fiscales, commerciales ou financières, tout en entravant l’avènement de nouveaux concurrents. On peut parler d’un capitalisme de monopoles.

Deux exemples illustrent cette mutation. D’une part, les grandes fondations, bâties, pour une partie d’entre elles, au lendemain de la révolution de 1979, et qui se vouent officiellement à des actions caritatives, telle la Fondation des déshérités et des blessés de la guerre Iran-Irak. Très active dans les circuits commerciaux (en particulier dans celui des armes), pendant le conflit qui a opposé les deux pays, elle a, par la suite, profondément diversifié ses activités. Elle comprend des milliers d’entreprises dans l’industrie, le commerce, l’agriculture, le tourisme ou encore le secteur aéronautique. Elle a de surcroît édifié ses propres institutions, consolidées en un immense conglomérat, l’Organisme financier et de crédit de la fondation, dont le pouvoir est colossal. Cependant, en refusant le terme de « banque », cette institution échappe aux contraintes réglementaires érigées par la banque centrale. Dans le même temps, elle refuse de se plier au paiement de ses dettes fiscales. Aux commandes de l’exécutif de 1997 à 2005, le président Khatami, qui a tenté, en vain, d’imposer cette obligation, l’a appris à ses dépens.

Le second exemple de l’ascension des puissances économiques est la firme industrielle Iran Khodro, la plus grande entreprise automobile du Proche-Orient, dont 40 % des titres appartiennent à l’Etat. Elle jouit, avec la firme Saipa, d’un monopole de fait sur ce marché — celle-ci contrôlant 35 % des parts de marché, tandis qu’Iran Khodro en possède plus de 55 %. Après l’ouverture du secteur aux importations, Iran Khodro a conclu des accords de partenariat avec des sociétés étrangères d’autant plus intéressées par le marché iranien que celui-ci est en pleine expansion : sept cent mille voitures vendues en 2004, un million cent mille en 2006, un million deux cent mille en 2008.

Pour Iran Khodro, il s’agit de préserver, voire d’accroître, son hégémonie, tout en favorisant l’acquisition de nouvelles technologies, gages d’une amélioration de la qualité de ses produits et de leur diffusion internationale. PSA Peugeot Citroën, qui avait amorcé, depuis 1992, une coopération industrielle avec Iran Khodro pour la fabrication de la 405 (l’intégration locale est achevée à plus de 60 %), a franchi une nouvelle étape en concluant en mars 2001 un accord de licence pour l’assemblage et le montage de la 206 et de la 307 (la part d’intégration locale étant encore assez faible).

Quant à Renault, il a fondé, pour l’assemblage et le montage de la Logan (la Tondar, en farsi), une société conjointe avec les deux géants iraniens. Il s’agit de Renault Pars, dont il détient 51 % des parts, tandis qu’Iran Khodro et Saipa, alliés pour l’occasion, en possèdent 49 %.

Iran Khodro se positionne également comme un futur acteur du marché mondial. En attestent l’accord que la société vient de signer avec la société algérienne Famoval pour le montage d’un bus en Algérie, ainsi que les unités de production qu’elle a installées, pour la fabrication de la Samande (une version modifiée de la 405), au Venezuela, au Sénégal, en Syrie et en Biélorussie. Une voiture que, par ailleurs, elle exporte déjà, entre autres vers l’Algérie, l’Egypte, l’Arabie saoudite, la Turquie, l’Arménie, ou encore la Bulgarie, la Roumanie, l’Ukraine et la Russie.

Au surplus, pour pallier le durcissement de ses contraintes de financement et de liquidités, Iran Khodro a mis à profit l’apparition, institutionnalisée depuis 2000, des banques privées, pour établir, en 2000-2001 (avec d’autres institutions), son propre établissement financier, Pârsian, dont elle détient 30 %. Devenue la plus importante banque privée d’Iran, elle totalise 60 % des dépôts et des crédits de ce secteur.

Dès son accession au sommet de l’exécutif, en juin-juillet 2005, le président Ahmadinejad a dénoncé une partie des banques privées comme responsables de prêts « douteux et discutables ». Il menaça même de dévoiler la liste de ceux qui avaient bénéficié de leurs largesses — une promesse restée, à ce jour, sans suite. La banque Pârsian fut la principale cible de cette campagne. Le véritable enjeu du conflit réside dans le refus de ces établissements de réduire le niveau de leurs taux débiteurs et, par-là, celui de leurs profits. L’affrontement devait atteindre son paroxysme en octobre 2006, lorsque le gouvernement et la banque centrale décidèrent de destituer le président de Pârsian. L’ensemble des banques privées s’éleva contre cette mesure et obtint que cette décision fût cassée, infligeant un échec indiscutable au président Ahmadinejad.

Par la suite, l’attrait grandissant de certains foyers de spéculation (notamment l’immobilier) a incité les banques privées — et aussi publiques — à se détourner du financement des entreprises industrielles. Elles ont procédé à des prêts hypothécaires considérables, mais aussi à des placements immobiliers massifs. Elles ont ainsi contribué au gonflement sans précédent de la bulle immobilière apparue en 2005 (3), qui a favorisé la naissance de ce qu’un mensuel a qualifié de « bourgeoisie immobilière (4) ».
Cette bulle a fini par éclater à partir de mai-juin 2008, sous l’effet d’une décision du gouvernement qui a contraint l’ensemble du système bancaire à interrompre son offre de crédit (y compris les crédits immobiliers déjà promis aux emprunteurs et donc en instance d’être débloqués). Depuis, on a assisté à une baisse drastique de la demande de logements, à un effondrement des prix et à une dévalorisation, au moins partielle, des actifs immobiliers que les banques publiques et privées venaient d’acquérir. Des pertes amplifiées par l’accumulation des créances douteuses sur une partie des institutions publiques et l’Etat lui-même, comme sur des agents privés.

La crise qui en résulte a deux conséquences. En premier lieu, les banques ne sont plus en mesure de consentir de nouvelles avances à l’économie, comme en témoigne l’écroulement de 67 % du crédit bancaire entre décembre 2007 et décembre 2008 (5). Une contraction qui alimente à son tour le déclin de la demande de biens de consommation et de l’investissement, l’érosion de la production industrielle et de la rentabilité des entreprises et la sous-utilisa- tion massive de leurs capacités de production.

« Prisonniers pour dette »

En second lieu, du fait de la perte de valeur de leurs actifs, les banques ne peuvent plus, ou ne veulent plus, rembourser leurs dettes envers la banque centrale : entre septembre 2007 et septembre 2008, les créances de cette dernière (donc de l’Etat) ont augmenté de 106 % (6) ! L’économie productive a été frappée à travers la propagation des impayés aux sociétés et... aux salariés.

La privatisation a fait la fortune des uns. Elle a en revanche exposé une grande partie des travailleurs au chômage (7) ainsi qu’à une situation financière de plus en plus précaire, les propriétaires d’entreprises privatisées ayant délibérément vendu les équipements de leurs sociétés, avant de les déclarer en faillite, ou bien ayant eu recours aux impayés de salaire, ou encore aux licenciements purs et simples. Quant à l’inflation, à l’instar des années 1990, elle a de nouveau emprunté une pente ascendante pour se situer, officiellement, à 25 % pour 2008 — selon d’autres estimations, à au moins 50 % — et plus de 60 % pour le premier trimestre 2009.

Depuis septembre 2005, face au déclin grandissant du salaire réel des couches défavorisées de la population et de la classe moyenne, le gouvernement a axé son programme économique sur la redistribution du crédit, afin de soutenir la consommation tout autant que les débouchés des entreprises. La liste des différentes formes de prêt proposées et officiellement garanties par les autorités suffit à attester l’ampleur de cette politique : ils concernent les retraités, le mariage des jeunes, les étudiants, l’accès au logement, les agriculteurs, etc.

Or, depuis plus de vingt ans, du fait de l’érosion de ses revenus en termes réels, une grande partie de la société est déjà plongée dans l’endettement. En témoigne l’accroissement sensible du nombre de « prisonniers pour dettes » : douze mille (vingt mille autres étant passés par la prison au cours des dix dernières années !) (8). Contredisant les idéaux égalitaires de la révolution de 1979, ces sanctions imposées aux plus modestes s’accompagnent de l’incapacité, ou du manque de volonté, des pouvoirs publics à recouvrer leurs créances sur la plupart des grands groupes économiques.





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(1) Faramarz Rafipour, Développement et contraste. Essai d’analyse de la révolution islamique et des problèmes sociaux de l’Iran, Entechar, Téhéran, 1998 (en farsi).
(2) Dans son compte rendu relatif à l’ouvrage d’Arang Keshavarzian, Bazar and State in Iran. The Politics of the Tehran Marketplace (2007), dans Sociétés politiques comparées, n° 2, Paris, février 2008.
(3) Elle s’est exprimée, au cours des deux dernières années, par la hausse de 200 % des prix des actifs immobiliers dans la ville de Téhéran, où, en dix-huit mois seulement, la valeur des transactions immobilières a atteint 600 milliards de dollars (cf. le mensuel Gozaresh, no 204, Téhéran, janvier 2009, p. 27).
(4) Kamal At-Hari, « La bourgeoisie immobilière », Cheshmeh Andaz-e Iran, n° 47, Téhéran, janvier-février 2008.
(5) Cf. le quotidien Sarmayeh, Téhéran, 23 avril 2009.
(6) Sarmayeh, 10 janvier 2009.
(7) Selon les publications officielles, en 2008, autour de 15 % de la population active se trouvait au chômage.
(8) Jam-e jam, Téhéran, 20 décembre 2008..