dimanche, janvier 10, 2010

Washington revoit à la baisse ses sanctions contre l'Iran

Le Monde, du 06.01.10

De peur de pénaliser l'opposition iranienne, les Etats-Unis n'évoquent plus de mesures de rétorsion commerciales.

Bien que Téhéran n'ait pas saisi la main tendue du président Obama avant l'échéance de la fin de l'année 2009, la Maison Blanche, évoquant la mobilisation massive dans la rue en Iran contre les dérives du régime, semble avoir renoncé aux sanctions musclées dont elle avait menacé Téhéran, et qui étaient réclamées par la France et le Royaume-Uni.

Selon un article du New York Times du 3 janvier, considéré par des diplomates occidentaux comme reflétant la nouvelle politique outre-Atlantique, le gouvernement américain n'évoque plus de sanctions commerciales étendues contre l'Iran, ni la mise en place d'un embargo sur la vente d'essence et de produits pétroliers raffinés.

« Notre objectif est de faire pression sur le gouvernement iranien, en particulier les Gardiens de la révolution, sans contribuer à la souffrance des Iraniens, qui méritent mieux que leur sort actuel », a expliqué, lundi 4 janvier, la secrétaire d'Etat américaine, Hillary Clinton. La « double voie du dialogue et de la pression » n'est pas fermée, a-t-elle précisé, se refusant à définir une nouvelle date butoir.

De peur, selon le New York Times, de « mettre en colère les Iraniens qui manifestent dans les rues en les privant de marchandises occidentales », la diplomatie américaine serait prête à se contenter de sanctions ciblées contre les Gardiens de la révolution, l'armée idéologique du pays, qui est au coeur de la répression des manifestations, et a bâti un empire économique dans le bâtiment, l'énergie et les télécommunications. Le but de Washington serait de paralyser financièrement les sociétés qu'ils contrôlent.

La stratégie américaine, qui aurait reçu l'aval d'Israël, s'appuie, selon le quotidien new-yorkais, sur une réévaluation à la baisse du danger iranien. D'après six conseillers de M. Obama, anonymement cités, les dirigeants iraniens seraient « distraits par les troubles dans la rue » et auraient moins « d'énergie » pour l'enrichissement d'uranium. La découverte par les Occidentaux d'un site d'enrichissement secret près de la ville de Qom, annoncée en septembre, aurait aussi fait « dérailler » le programme nucléaire. Quant au site officiel d'enrichissement de Natanz, il connaîtrait de nombreux problèmes techniques, dus à des centrifugeuses archaïques et des opérations de sabotage.

L'administration américaine ne considérerait plus, comme elle l'avait affirmé en septembre, que l'Iran soit techniquement capable, s'il en prend la décision, de se lancer dans la mise au point d'une arme nucléaire - un tel seuil ne sera pas franchi « avant dix-huit mois, ou peut-être deux ou trois ans », selon les sources du New York Times. Toutefois, les conseillers de M. Obama estiment, sur la base de « nouveaux documents » et d'entretiens avec des transfuges, que « le travail sur des plans d'arme, se poursuit ».

La nouvelle stratégie américaine qui, selon les conseillers de la Maison Blanche vise à exploiter la « fenêtre d'opportunité » créée par l'opposition, et qui rendrait les dirigeants iraniens « particulièrement vulnérables » à des sanctions, n'est peut-être qu'une excuse, destinée à masquer l'échec de la politique de conciliation de M. Obama.

C'est l'avis de Gary Sick, spécialiste de l'Iran à l'université de Columbia. « La plupart des sanctions utiles pour cibler les Gardiens de la révolution ont déjà été prises, explique le chercheur. On peut les resserrer un peu, mais on veut donner l'impression d'une grande victoire, alors qu'on se contente de bien moins que prévu. »

En avril 2009, Hillary Clinton, avait mis l'Iran en garde contre « des sanctions qui paralysent ». Le 2 août, le New York Times rapportait que l'administration Obama étudiait un embargo sur les importations de produits pétroliers raffinés. En septembre 2009, la Maison Blanche évoquait, selon le Washington Post, des sanctions de nature à « couper les liens économiques de l'Iran avec le reste du monde ». Fin septembre, le premier ministre britannique, Gordon Brown, menaçait Téhéran de sanctions « nettement plus sévères » tandis que Nicolas Sarkozy parlait de « sanctions massives, dans les domaines financier et énergétique ».

Karim Sadjadpour, du Carnegie Endowment for International Peace, considère que des sanctions ciblées contre les Gardiens de la révolution « sont les plus sensées », car elles permettent de faire « d'une pierre deux coups » - les Gardiens « gèrent le programme nucléaire » et « supervisent la répression brutale des manifestants pacifiques », rappelle-t-il. « Je pense que personne ne pleurera pour eux au sein de l'opposition », pourtant majoritairement hostile aux sanctions, ajoute le spécialiste.

Des sanctions contre les Gardiens de la révolution et leurs entreprises ont déjà été adoptées par le Conseil de sécurité de l'ONU, entre 2006 et 2008, sans opposition de la Chine et de la Russie. Mais, selon un diplomate occidental, « ils les contournent dans tous les sens ». Les sanctions envisagées par Washington « ne marcheront pas », prévient Abbas Milani, chercheur à l'université de Stanford. Les Gardiens de la révolution utilisent « des milliers de sociétés écrans au Koweït, à Dubaï, en Irak ou en Asie » et excellent dans les trafics, ajoute-t-il, craignant qu'un « embargo mal ficelé permette au régime de se dédouaner de ses responsabilités auprès de l'opinion tout en enrichissant les Gardiens de la révolution ».

Pour Abbas Milani, la seule mesure efficace serait un embargo complet sur le pétrole iranien. Cela « aurait un coût pour la population à court terme, mais le régime n'y survivrait pas, et le coût serait moindre à long terme », assure-t-il, reconnaissant toutefois que la Chine et la Russie ne l'accepteraient jamais.

Philippe Bolopion

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