Certes, l’une des grandes préoccupations économiques des Iraniens est de se prémunir contre toute nouvelle dépréciation de leur devise, le rial. Pour autant, ce signe de défiance monétaire n’empêche pas le président iranien Hassan Rohani de marteler un message : «Le pays est désormais sur la voie du redressement.»

Les ressources d'hydrocarbures en Iran (Carte BiG)

Et de toute évidence, les principaux indicateurs plaident pour lui. La croissance ? Négative en 2015, elle atteindra les 4,5 % en 2016. Quant à l’envolée des prix, cauchemar des Iraniens durant des années, elle n’est plus que de 8 %, alors qu’elle frisait les 45 % en rythme annuel lorsque Rohani avait pris la tête du pays en 2013.

Mais en ce début 2017, rien n’y fait. La tentative d’apaisement du président iranien semble inopérante. Du moins dans les rues de Téhéran, là où on trouve des bureaux de change libre. Les Iraniens qui en ont les moyens continuent de s’y attrouper. Leur objectif ? Echanger des rials contre des dollars, dont la valeur ne cesse de s’apprécier. Une manière de thésauriser, tout en pariant sur une hausse continue du billet vert. Le mouvement est d’autant plus fort que Donald Trump, prochain locataire de la Maison Blanche, n’exclut pas d’appliquer de nouvelles sanctions à l’encontre de l’Iran.

Revenus dans le jeu

Mais au-delà de ces soubresauts monétaires, la plupart des économistes en conviennent : après une importante phase d’hibernation économique forcée, la levée des sanctions il y a un an a favorisé une reprise de l’activité économique. Avec 10 % des réserves de pétrole et près de 20 % des réserves de gaz, l’Iran se place respectivement aux quatrième et premier rangs mondiaux. «La fin des restrictions imposées aux exportations d’hydrocarbures a permis de démultiplier la production de pétrole, qui atteint aujourd’hui 3,7 millions de barils par jour, dont plus de 2,2 millions sont exportés. Pendant les sanctions, la production atteignait à peine 1 million par jour», souligne Thierry Coville, chercheur à l’Institut de relations internationales et stratégiques (Iris). Ces exportations devraient redynamiser un secteur pétrolier et gazier en mal d’investissement. Et surtout faire rentrer des devises sans lesquelles il est impossible de payer la moindre facture de produits importés. Comme la plupart des pays dont les recettes budgétaires (et donc les dépenses) dépendent essentiellement du pétrole, l’Iran n’a eu d’autre choix que de tenter de diversifier ses sources de financement pendant toutes les années de sanctions. «Mais les résultats étaient maigres. En réalité, le pays n’a eu d’autre choix que de réduire ses dépenses sociales et d’infrastructures pour s’adapter à la baisse des recettes pétrolières et gazières»poursuit le chercheur de l’Iris. Ce temps est révolu.

Certes, beaucoup reste à faire. Mais l’Iran peut désormais bomber le torse, comme lorsqu’il signe, en décembre, un contrat de 36,6 milliards de dollars pour 100 Airbus, après avoir déjà acheté 80 Boeing. Ou lorsqu’il convie les mastodontes mondiaux du pétrole à participer aux appels d’offres pour le développement des champs pétroliers et gaziers du pays. Une trentaine de compagnies européennes et asiatiques ont été sélectionnées par Téhéran. Parmi ces sociétés figurent le groupe français Total, l’anglo-néerlandais Shell, le néerlandais Schlumberger, l’italien Eni, les russes Gazprom et Lukoil ou encore le japonais Mitsubishi… Les Iraniens sont très vite revenus dans le jeu pétrolier après la levée des sanctions, début 2016, refusant les injonctions de l’Arabie Saoudite qui leur demandait de participer aux coupes de production réclamées aux autres membres de l’Organisation des pays exportateurs de pétrole (Opep) pour faire remonter les cours déprimés de l’or noir.

Nouer des contacts

Des protocoles d’accord ont été signés avec plusieurs compagnies internationales. Parmi elles, Total a conclu un contrat de 4,8 milliards de dollars (4,5 milliards d’euros) pour l’exploitation du grand champ gazier Pars-Sud, situé dans le Golfe, devenant ainsi la première grande compagnie pétrolière et gazière occidentale à revenir en Iran. Idem pour d’autres secteurs, comme la défense, la finance, la santé ou encore l’automobile. Depuis des mois, patrons et autres émissaires de grandes multinationales n’ont cessé de nouer des contacts avec Téhéran. Histoire de plancher sur d’éventuels projets de partenariat industriels et autres business models. Ainsi, en France, PSA a versé les capitaux pour créer la première coentreprise du groupe tricolore en Iran, entre Peugeot et l’entreprise iranienne Khodro. Parallèlement, PSA négocie l’installation de Citroën en Iran, toujours en partenariat avec une entreprise locale. Si nombre de multinationales s’agitent aux portes de l’Iran, elles ne génèrent que peu de flux financiers. Du moins avant la levée des sanctions. Les investissements directs étrangers n’ont pas dépassé les 15 milliards de dollars en 2015, selon la Conférence des Nations unies sur le commerce et le développement (Cnuced). A titre de comparaison, la Turquie en attirait dix fois plus la même année.

Hassan Rohani sait combien l’essor des investissements étrangers est important pour son pays qui compte officiellement près de 10 % de chômeurs, un taux qui devrait être multiplié par deux pour refléter la réalité sociale du pays. Les investissements étrangers sont d’autant plus cruciaux pour Téhéran que le pays «produit» chaque année 500 000 détenteurs d’une maîtrise ou d’un doctorat… Mais la plupart d’entre eux viennent gonfler le nombre des chômeurs. Certes, le pays bénéficie d’un fort potentiel pour basculer dans le camp des pays émergents. Mais il lui faudra pour cela réaliser ce que le gouvernement qualifie, lui-même, de «croissance inclusive»pouvant profiter aux différentes catégories socio-économiques. Ce qui signifie tenir un rythme de croissance de près de 6 % par an et ce, pendant plusieurs années.

Source : Libération du 13 janvier 2017