lundi, avril 30, 2007

Opinion : La guerre économique de l’administration Bush contre l’Iran

La guerre économique de l’administration Bush contre l’Iran
Par Peter Symonds
Le 14 fevrier 2007
Source : WSWS

Alors que les Etats-Unis continuent à renforcer leur flotte dans le golfe Persique, l’administration Bush a déjà entrepris la guerre économique contre l’Iran dans le but de ruiner le pays. L’aspect le plus connu de cette campagne est la tentative par le Trésor américain et d’autres agences gouvernementales américaines de forcer les gouvernements, les principales banques, les entreprises pétrolières et d’autres secteurs économiques de l’Europe et de l’Asie de mettre fin à leurs investissements, leurs prêts et autres arrangements financiers avec Téhéran.
Les exigences des Etats-Unis vont beaucoup plus loin que les sanctions limitées imposées par le Conseil de sécurité de l’ONU en décembre dernier en réponse au programme de développement nucléaire de l’Iran. Les Etats-Unis veulent frapper au cœur des rapports économiques que l’Iran a établi depuis au moins une dizaine d’années avec l’Europe et l’Asie. La campagne de l’administration Bush montre clairement que l’objectif principal de la confrontation avec Téhéran est le rétablissement de la domination américaine sur ce pays riche en pétrole et ce, aux dépens de ses rivaux. Les affirmations américaines selon lesquelles l’Iran fabrique des armes nucléaires et s’ingère dans l’Irak occupé par les Etats-Unis ne sont que des prétextes bien commodes.

Washington a déjà indiqué qu’il ferait pression pour durcir les sanctions lorsque le cas de l’Iran sera de nouveau étudié par le Conseil de sécurité de l’ONU le 21 février. Pendant ce temps, les responsables américains exploitent la menace d’une guerre imminente ainsi que les lois américaines, qui prévoient des sanctions légales contre les sociétés américaines ou étrangères qui investissent dans les réserves énergétiques iraniennes, dans le but de forcer les banques et des sociétés européennes à mettre fin à leurs relations avec l’Iran.

Vers la fin de janvier, les Etats-Unis ont concentré leur tir pour bloquer les tentatives iraniennes d’attirer le capital dont il a désespérément besoin pour améliorer et agrandir son infrastructure pétrolière et gazière. Un haut dirigeant d’une société européenne a dit au Washington Post qu’un responsable du département d’Etat américain l’avait carrément averti que l’Iran était « chaud et le deviendrait encore plus ». Un autre cadre a dit que « L’administration [américaine] met toute la pression dont elle est capable sur les sociétés étrangères et ne ménage pas ses efforts pour leur faire comprendre que ce serait une erreur que de continuer à faire des affaires avec [l’Iran]. »

Ce n’est pas une surprise de voir que les menaces et la brutalité de Washington suscitent le ressentiment dans les cercles patronaux et gouvernementaux d’Europe. Un consultant européen du secteur pétrolier a déclaré à Associated Press : « Toutes les sociétés pétrolières vous diront qu’elles reçoivent régulièrement la visite d’ambassadeurs américains dans leur pays… Personne en Europe ne va laisser passer l’occasion de faire des affaires avec l’Iran simplement pour faire plaisir aux Américains. »

Le fait de cibler les sociétés pétrolières avait pour but de miner une rencontre qui s’est tenue début février à Vienne et qui était organisée par la société pétrolière nationale iranienne NIOC désireuse de proposer de nouveaux blocs de pétrole aux investisseurs étrangers. Malgré les menaces américaines, plus de 200 représentants d’au moins cinquante compagnies pétrolières internationales étaient présents. Juste une semaine auparavant, Shell le géant anglo-néerlandais de l’énergie avait passé outre les pressions américaines et signé un contrat de plusieurs milliards avec l’Iran pour développer un projet de gaz naturel liquéfié (LNG) dans le gisement de South Pars.

L’administration Bush n’a pas l’intention de laisser de tomber. Prenant la parole le 7 février à Munich, l’ambassadeur américain à l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA), Gregory Shulte, a déclaré : « Je serai franc : du point de vue des Etats-Unis, le Conseil de sécurité a pris trop de temps et a fait trop peu. Les pays européens peuvent faire plus, et devraient faire plus. »

Shulte a spécifiquement pointé du doigt les prêts gouvernementaux visant à faciliter le commerce : « Pourquoi, par exemple, les pays européens utilisent-ils des crédits d’exportation pour subventionner les exportations vers l’Iran ? Pourquoi, par exemple, les gouvernements européens ne prennent-ils pas davantage de mesures pour décourager les investissements et les transactions financières ? » Selon les Etats-Unis, les gouvernements européens ont fourni à l’Iran 18 milliards dollars de garanties de prêts en 2005 : 6,2 milliards de dollars de l’Italie, 5,4 milliards de dollars de l’Allemagne, 1,4 milliard de dollars de la France et 1 milliard de dollars de l’Espagne et de l’Autriche. Les Etats-Unis font aussi pression sur les grandes banques internationales pour qu’elles coupent les liens avec l’Iran.

Le prêt de crédits commerciaux par les gouvernements est une pratique internationale très répandue. Cela n’est pas illégal et ne contrevient pas aux clauses des sanctions américaines contre l’Iran. La détermination de Washington à empêcher les relations économiques avec Téhéran vise autant ses rivaux que l’Iran lui-même. Au cours de la dernière décennie, l’Union européenne (UE) est devenue le plus important partenaire commercial de l’Iran en vendant des machines, de l’équipement industriel et d’autres produits en échange de réserves énergétiques. Les Etats-Unis en revanche ne font presque pas de commerce avec l’Iran, ayant pratiquement maintenu un blocus économique sur le pays depuis que le shah Reza Pahlavi, proche allié des Etats-Unis, a été évincé en 1979.

Les gouvernements et les entreprises de l’Europe ne sont pas les seuls à être visés. La Chine se voit menacée de représailles par les Etats-Unis à cause de ses accords commerciaux avec l’Iran. Le plus important producteur de pétrole offshore de l’Iran et de la Chine, CNOOC, a annoncé en décembre un accord préliminaire évalué à 16 milliards de dollars pour développer le gisement gazier offshore iranien de North Pars. Une commission du Congrès américain enquête déjà sur cet accord pour déterminer si des sanctions économiques ne pourraient être imposées à CNOOC en vertu de la Loi sur les sanctions contre l’Iran, récemment renouvelée.

L’Inde a été menacée par la même loi, qui fournit aux Etats-Unis le droit de sanctionner toute compagnie étrangère qui investirait plus de 40 millions de dollars dans le secteur de l’énergie en Iran. L’ambassadeur américain en Inde, David Mulford, a annoncé de manière significative qu’il avait informé le ministre des Affaires étrangères de l’Inde, Pranab Mukherjee, de cette loi avant son voyage en Iran la semaine dernière. L’Inde participe à un important projet de pipeline gazier de 7 milliards de dollars, qui part d’Iran et traverse le Pakistan, projet auquel se sont opposés les Etats-Unis.

L’administration Bush a aussi fait pression sur la Russie pour qu’elle cesse la construction de l’usine nucléaire iranienne de Bushehr, qui est pratiquement achevée. Après l’achèvement du contrat de 1 milliard de dollars, la Russie pourrait obtenir d’autres importants contrats, car Téhéran prévoit de construire des réacteurs nucléaires additionnels. Washington a aussi sévèrement critiqué la vente d’armes russes à l’Iran, y compris son achat récent de systèmes de missiles anti-aériens sophistiqués.

Le prix du pétrole comme arme

Le mois dernier, un commentaire dans le Times de Londres intitulé : « Une nouvelle stratégie américaine pour l’Iran émerge de Davos », a qualifié l’offensive économique de l’administration Bush de « mouvement de tenailles économiques consistant en une diplomatie financière d’un côté et en une politique énergétique de l’autre ».

La première moitié des tenailles vise à isoler l’Iran de la finance et du commerce internationaux. L’Iran est le quatrième producteur mondial de pétrole, mais il a désespérément besoin d’investissements pour moderniser et développer ses infrastructures. D’après cet article, la seconde moitié consiste à faire baisser volontairement les prix mondiaux du pétrole afin de miner les revenus iraniens provenant des exportations pétrolières. Le principal allié de l’administration Bush dans cette tentative de faire baisser les prix du pétrole est l’Arabie saoudite, qui considère l’Iran comme son plus grand rival régional et qui, en tant que producteur mondial le plus important, est en mesure d’augmenter sa production afin de maintenir les prix bas.

L’article du Times explique : « L’économie de l’Iran dépend entièrement des ventes du pétrole, qui comptent pour 90 pour cent des exportations et approximativement pour la même part du budget gouvernemental. Depuis juillet dernier, le prix du baril de pétrole a chuté de 78 dollars à un prix légèrement supérieur à 50 dollars, réduisant d’un tiers les revenus du gouvernement. Si le prix du pétrole baissait pour atteindre un montant compris entre 35 dollars et 40 dollars, l’Iran se trouverait en déficit, et étant donné que l’accès au marché de prêts étrangers est bloqué par les sanctions de l’ONU, la capacité du gouvernement de continuer à financer ses mandataires étrangers s’épuiserait rapidement. L’Iran a réagi à cette menace en demandant à l’OPEC de stabiliser les prix, mais en pratique, un seul pays a suffisamment d’influence pour le faire et c’est l’Arabie saoudite.

« Au début du mois, dans une déclaration très significative, Ali al-Naimi, le ministre saoudien du Pétrole, s’est publiquement opposé à l’appel iranien pour une réduction de la production dans le but de freiner la chute des prix. Le discours de M. Naimi était présenté comme une question technique sans rapport avec la politique, mais il semble confirmer les avertissements privés du roi Abdullah que son pays allait tout tenter pour contrecarrer l’hégémonie iranienne partout dans la région, que ce soit au moyen d’une intervention militaire ou par l’intervention plus subtile de moyens économiques. »

Les coûts de production iraniens de 15 à 18 dollars le baril étant beaucoup plus élevés que les 2 à 3 dollars le baril de l’Arabie saoudite, la baisse du prix du baril touche donc beaucoup plus Téhéran que Riyad. L’Arabie saoudite a bien entendu, nié que son refus de réduire la production et d’augmenter les prix du pétrole était d’ordre politique. Le Times, cependant, n’est pas le seul à spéculer sur une stratégie délibérée des Etats-Unis et de l’Arabie saoudite visant à miner l’économie iranienne.

Commentant la chute des prix du pétrole, le New York Times notait le mois dernier que des motivations autres que purement commerciales « semblent avoir aussi été à l’œuvre, y compris le désir des Saoudiens de réprimer les ambitions de l’Iran dans la région. Quelle influence les Etats-Unis ont-ils exercée ? Cela reste une question qui demeure sans réponse. Le vice-président Dick Cheney a rencontré le roi Abdullah de l’Arabie saoudite à Riyad en novembre, mais son bureau refuse de dire si le pétrole a été un sujet de discussion. La Maison-Blanche soutient la politique énergétique de l’Arabie saoudite et le président Bush et son père sont proches du Prince Bandar bib Sultan, le ministre saoudien de la Sécurité nationale et ancien ambassadeur à Washington. »

Un conseiller saoudien à la sécurité, basé aux Etats-Unis, Nawaf Obaid, qui, comme Bandar bin Sultan, défend une politique saoudienne plus agressive pour bloquer l’influence iranienne, a ouvertement lancé l’idée dans un article du Washington Post de novembre d’utiliser le pétrole comme arme économique. « Si l’Arabie saoudite augmentait sa production et diminuait de moitié les prix du pétrole, le royaume pourrait encore financer ses dépenses courantes. Mais ce serait dévastateur pour l’Iran, qui fait face à des difficultés économiques même avec les prix élevés d’aujourd’hui », expliquait-il.

On ne sait pas dans quelle mesure un tel projet est actuellement mis en oeuvre. Mais ce qui est indéniable, c’est que l’administration Bush mène une offensive économique contre l’Iran dans le but de miner son économie et d’affaiblir le gouvernement tandis que les Etats-Unis préparent une agression militaire. Les objectifs plus larges de la stratégie économique et militaire sont les mêmes : établir la domination américaine sur l’Iran et ses réserves d’énergie, ce qui représente un élément de son plan d’hégémonie américaine sur tout le Moyen-Orient et l’Asie centrale.

Article original en anglais paru le 12 février 2007.

vendredi, avril 27, 2007

L'économie iranienne - Or noir et clientélisme

L'économie iranienne - Or noir et clientélisme
Le Monde du 28.03.07

Des sanctions internationales accrues ou une baisse du prix du brut pourraient mettre la République islamique à genoux. Car le système productif de l’Iran est fondé sur la redistribution de la manne pétrolière en subventions publiques
orsque le président de la République islamique pointe un « complot de l'étranger » parce que le prix des tomates monte, c'est signe qu'il n'a pas une grande maîtrise de son économie. Et quand Mahmoud Ahmadinejad invoque le ciel pour régler « le problème de la viande et du poulet » - « si Dieu le veut » - c'est qu'il ne contrôle en fait rien.

En Iran, l'inflation atteint, officiellement, 16 %. L'envol des prix des denrées alimentaires provoque la grogne générale et la rancoeur des pauvres, séduits par les promesses du candidat Ahmadinejad lors de la campagne présidentielle de 2005.

En 2006, dans une lettre ouverte, 150 députés (sur 290) lui ont demandé de réduire la dépendance envers les devises pétrolières et de couper dans la dépense publique. La même année, le gouverneur de la banque centrale a mis en garde contre le dérapage de l'inflation et 50 universitaires ont appelé le président à ouvrir l'économie du pays.

L'inquiétude a redoublé le 21 janvier, quand M. Ahmadinejad a présenté un budget mars 2007-mars 2008 avec des dépenses en hausse de 20 % : l'économie résisterait-elle à un renforcement des sanctions qui la touchent ? Le pays affiche néanmoins quelques bons indicateurs, grâce à l'afflux des pétrodollars. « La croissance est soutenue, la balance commerciale excédentaire, les réserves de devises importantes », note l'économiste Thierry Coville, spécialiste de l'Iran.

Une vision positive que tempère Denis Bauchard, de l'Institut français des relations internationales (IFRI) : « L'appareil productif iranien est largement nationalisé et pe u productif. Il crée peu d'emplois, paie peu d'impôts et des droits de douane élevés protègent de la concurrence étrangère des entreprises publiques très gourmandes en subventions. »

Grâce à ses 2,7 millions de barils de pétrole exportés chaque jour, Téhéran a mis en place un robinet à subventions hors du commun. Sur les 55 milliards de dollars (41,4 milliards d'euros) de revenus pétroliers en 2006 (contre 23 milliards de dollars en 2003), une large part a été redistribuée en aides : au logement, à l'emploi, au pain, au riz, aux médicaments ou... à l'essence. Car pour les mollahs, la recette pétrolière est moins un outil de modernisation qu'une rente politique.

Qui contrôle ces subventions (15 à 20 milliards de dollars en 2005, soit 11 % du produit intérieur brut) a le pouvoir de fidéliser une clientèle. La rente énergétique finance tant la hausse des salaires d'une fonction publique pléthorique ou la stabilité des prix agricoles que des prêts à taux zéro pour les jeunes voulant se marier.

Mais le premier bénéficiaire est l'automobiliste. En Iran, le litre à la pompe est le plus bas du monde : 8 centimes d'euros ! Comme le pays importe 40 % des produits raffinés qu'il consomme, une partie des devises tirées de la vente du brut repart pour acheter l'essence utile aux besoins internes. Les subventions à la vente d'essence se monteraient à une dizaine de milliards de dollars par an.

Un chiffre qui va croissant, car les prix bas à la pompe engendrent une forte contrebande. Un des sports préférés des Iraniens est de revendre de l'essence en Irak, en Syrie, au Pakistan ou en Afghanistan. « Des armadas de camions bourrés de jerricans franchissent les frontières. Il y a une économie frontalière très florissante dans les zones limitroph es », souligne Farida Adelkhah, chercheuse au Centre d'études et de recherches internationales (CERI).

Les agriculteurs sont aussi de grands bénéficiaires des aides publiques. Selon la banque centrale d'Iran, les prix garantis aux producteurs de riz, de viande, de produits laitiers ou l'aide à l'achat de pesticides ont pesé 2,3 milliards d'euros en 2005. Objectif : offrir au consommateur des produits alimentaires à bas prix.

Or, les agriculteurs écoulent aussi une partie de leur production à meilleur prix chez leurs voisins. D'où une hausse des prix en Iran. Quand le pouvoir s'est aperçu que ses dépenses pour acheter des citrons montaient, il a baissé les tarifs douaniers pour faire pression sur les producteurs locaux. Résultat : la plupart ont fait faillite.

Depuis l'invasion américaine, en mars 2003, l'Irak est devenu un débouché important pour la République islamique. Elle y écoule électricité, appareils électriques, voitures, tapis, matériaux de construction, poissons, épices, livres, etc. Téhéran voit là un moyen de resserrer des liens avec un pays dont 60 % de la population est, comme la sienne, chiite.

L'économie de rente instituée par le régime a empêché toute modernisation de l'appareil productif, pétrolier inclus. En raison de fuites dans les raffineries, 6 % de la production pétrolière serait perdue. Et l'Iran ne parvient pas à remplir le quota fixé par l'Organisation des pays exportateurs (OPEP). Selon Mme Adelkhah, son économie est traversée de déséquilibres qu'on ne pourrait corriger sans bouleverser l'ensemble du système.

Les 4 millions de citoyens iraniens vivant à l'étranger (Europe, Etats-Unis, Israël...) envoient tous les ans « au pays » pour des centaines de millions de dollars des produits introuvables sur place (médicaments, pièces automobiles...). A Téhéran, sous le tchador, l'iPod diffuse les derniers tubes californiens. L'austérité islamique est tempérée par une vibrante économie informelle dans laquelle les femmes se sont taillé une place inattendue : au Bazar, elles ont le monopole de la lingerie fine et des cosmétiques.

Cette imbrication des économies formelle et souterraine peut continuer à deux conditions : que le prix du brut reste élevé sur les marchés internationaux et qu'aucun embargo ne pénalise les échanges de Téhéran. A l'inverse, que les revenus pétroliers baissent ou que des sanctions draconiennes soient imposées, et des risques de mécontentement considérables surgiraient.

La République islamique connaîtra-t-elle le sort de l'URSS ? Dans les années 1970 et au début des années 1980, Moscou avait financé les importations de biens grâce aux revenus des hydrocarbures, avant que le contre-choc pétrolier de 1986 l'empêche de subventionner l'économie, contribuant à la chute du régime communiste.

Telle est la thèse du géographe Roger Stern, de l'université Johns-Hopkins. Fin 2006, dans un rapport sur l'Iran devant l'Académie des sciences américaine, il pointait un risque de baisse des revenus pétroliers liée à un sous-investissement et... leur disparition en 2015 : « Ce que les Iraniens se font à eux-mêmes est bien pire que tout ce que nous pourrions leur faire », écrivait-il. Dans la crise nucléaire avec Téhéran, les « faucons » américains préfèrent des sanctions immédiates, voire une intervention militaire. Car attendre dix ans, plaident-ils, c'est l'assurance que les Iraniens posséderont la bombe A.

Jean-Michel Bezat et Yves Mamou

L'Iran fait la chasse aux femmes non voilées

L'Iran fait la chasse aux femmes non voilées

En Iran, la police a interpellé près de 300 femmes accusées de ne pas avoir la tête et les épaules suffisamment couvertes.

Les autorités leur reprochent de porter des vêtements trop près du corps ou de laisser dépasser trop de cheveux de leur voile.

Le code vestimentaire islamique iranien exige de ne découvrir que le visage et les mains. Il est observé par un grand nombre de femmes qui portent le tchador, un long voile noir couvrant le corps de la chevelure jusqu'aux pieds. Le port de T-shirts révélant d'éventuels pectoraux, ainsi que des cheveux dressés sur la tête et fixés avec du gel est très en vogue parmi les jeunes hommes de la capitale.

Cette campagne, lancée depuis lundi dans les rues des grandes villes du pays, est l'une des plus dures jamais menées au cours des 20 dernières années.

"Entre le début de la campagne samedi à 10H00 et la mi-journée dimanche, 1.347 femmes ont reçu un avertissement", a indiqué à l'AFP Mehdi Ahmadi, chef du service d'information de la police de Téhéran.

Mais 170 ont été interpellées, a-t-il ajouté, "dont 58 ont été relâchées après avoir signé un engagement à modifier leur conduite et après avoir modifié leur tenue".

Le cas des autres femmes interpellées "a été transmis aux autorités judiciaires", a-t-il précisé, sans autres détails.

L'agence Fars avait indiqué auparavant que les premières contrevenantes aux canons de la mode islamique étaient averties dans un premier temps, et emmenées dans un centre correctionnel si elles protestaient.

Cette initiative laisse à penser que le président Mahmoud Ahmadinejad est tenté de réinstaurer le code vestimentaire très strict imposé aux femmes au moment de la Révolution islamique.

Le code vestimentaire allégé est l'une des dernières survivances de la période de libéralisation initiée par le prédécesseur d'Ahmadinejad, le président réformateur Mohammad Khatami, au pouvoir entre 1997 et 2005.

Source : AFP.

Menaces contre les entreprises européennes investissant en Iran

Washington cherche à contrarier les ambitions du groupe pétrolier en Iran

Total est au coeur de la rivalité franco-américaine
Source : Le Monde, du 03.04.07

La justice suit son cours et Christophe de Margerie son calendrier. Malgré sa mise en examen, le 22 mars, pour « corruption d'agents publics étrangers » et « abus de biens sociaux » dans le cadre d'un contrat gazier signé avec l'Iran en 1997, le directeur général de Total a inauguré, jeudi 29 mars, le gigantesque gisement de Dalia, en Angola, qui assurera au groupe 9 % de sa production. Business as usual ?

Total doit affronter deux menaces : les foudres de la justice française, qui applique la convention anticorruption de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), ce qui vaut aujourd'hui deux mises en examen à M. de Margerie ; le risque de rétorsion des Américains, qui stigmatisent les mauvaises fréquentations de Total - hier avec l'Irak de Saddam Hussein, aujourd'hui avec l'Iran des mollahs.

Début mars, le président démocrate de la commission des affaires étrangères de la Chambre des représentants a annoncé le dépôt de propositions de loi accroissant les sanctions. La numéro deux de cette commission veut aussi obliger les fonds de pension fédéraux à céder les actions des compagnies pétrolières investissant plus de 20 millions de dollars (15 millions d'euros) en Iran dans les hydrocarbures, un secteur vital pour le régime qui y puise l'essentiel de ses ressources.

Cette campagne touche aussi l'anglo-néerlandais Shell, le russe Gazprom ou le malaisien Petronas, mais les deux mises en examen de M. de Margerie ont relancé les attaques américaines.

Dans un rapport intitulé Stratégies de désinformation des médias américains à l'égard des entreprises européennes, la délégation aux affaires stratégiques (DAS) du ministère de la défense recense les attaques avant et après le veto de Paris à la guerre en Irak et décrit les liens entre l'administration Bush, les think tanks néo ou ultra-conservateurs et les médias américains.

Le document note que les groupes français restent dans le collimateur, même si le French bashing (« casser du Français ») est moins hystérique qu'en 2003 et 2004. « La création au Pentagone, en mars 2006, d'un «Iranian Directorate» constitue une claire menace pour les entreprises françaises ou européennes ayant des projets/activités avec l'Iran, comme Technip/Cryostar, Total ou BNP Paribas », prévient le rapport.

Le parapétrolier français Technip et Cryostar, dont le siège social est en France, ont déjà été la cible d'attaques de l'administration et des médias américains en 2003-2004. Il leur était reproché la vente de pompes cryogéniques risquant de contribuer à un programme d'armement nucléaire iranien.

Ces groupes ont peut-être « joué avec le feu », avance le rapport, mais les accusations s'inscrivaient dans une campagne visant à citer des firmes françaises dans un dossier sur la prolifération nucléaire. Les médias avaient laissé entendre que des camions Renault Trucks servaient de laboratoires mobiles pour des armes biologiques.

L'Amérique cherche aussi à tailler des croupières aux concurrents en Chine, où tout investissement étranger « fera l'objet de l'attention particulière de l'administration américaine » (défense, aérospatial, télécommunication, énergie) et en Inde. La DAS estime que Washington a un avantage dans le sous-continent indien : l'alliance stratégique sécurité-défense scellée par l'Inde, les Etats-Unis et Israël. « Or dans un pays où la corruption est quasi institutionnalisée, le partenariat avec les Israéliens pourrait s'avérer particulièrement intéressant pour les entreprises américaines, rappelle le rapport : Israël n'est pas signataire de la convention OCDE. »

Aux yeux de politiques et d'éditorialistes américains, Total a toujours été d'une complaisance coupable à l'égard de régimes autoritaires ou dictatoriaux (Venezuela, Iran, Irak...). Ils l'accusent d'avoir passé des contrats avec le régime de Saddam Hussein pour préparer l'après-embargo sur l'Irak. Si les liens n'ont jamais été rompus avec le régime irakien, le groupe affirme n'avoir jamais signé de contrat contournant le régime de sanctions de l'ONU.

Les majors américaines sont-elles devenues des parangons de vertu ? Pourtant, elles ont aussi préparé l'après-Saddam. Ainsi la très conservatrice Heritage Foundation avait étudié un partage de l'exploitation de l'or noir entre trois consortiums - suivant le partage ethnico-religieux chiites, sunnites et kurdes -, chacun étant dirigé par une compagnie américaine. ExxonMobil et Chevron financent cette fondation.

Des sociétés américaines ont aussi contourné l'embargo contre l'Iran, y investissant via des filiales offshore ou bénéficiant de licences à l'export du département du Trésor. En 2004, le parapétrolier Halliburton, présidé jusqu'en 2000 par le vice-président Dick Cheney, signait un accord pour aider l'Iran à exploiter son gaz... après avoir annoncé - sous la pression de fonds de pension - son retrait du pays. Des analystes estiment que cette coopération de longue date aurait permis à Téhéran de progresser dans son programme nucléaire. Des firmes américaines (General Electric, Dresser Rand...) font des affaires avec des « Etats voyous » (Iran, Soudan...). Selon le Bureau américain des statistiques, le montant des exportations vers ces rogue states a atteint 1,15 milliard de dollars en 2006.

Jean-Michel Bezat

L'étau financier se resserre sur l'Iran

L'étau financier se resserre sur l'Iran
Article paru dans Le Monde du 17.04.07

Depuis l'automne 2006, le Trésor américain multiplie les mises en garde pour inciter les banques et les entreprises occidentales à cesser toute coopération avec Téhéran. Avec un succès certain


C'est l'autre ligne de front, dans la sourde bataille des nerfs qui oppose depuis des mois l'Iran et les Etats-Unis : l'étranglement financier de la République islamique. Cet endiguement-là n'a pas la même visibilité que les autres moyens - déploiement de porte-avions et de missiles Patriot dans le Golfe, arrestations de vrais-faux diplomates iraniens à Erbil - déployés par Washington pour tenter d'amener le régime de Téhéran à résipiscence, que ce soit sur le dossier nucléaire ou pour ses agissements en Irak.

C'est un combat plus discret qui se livre dans le milieu feutré des banques et de la finance internationale, ainsi qu'auprès des sièges des grandes sociétés étrangères traitant avec l'Iran, notamment dans le domaine énergétique. L'objectif : obtenir que les flux d'investissements, de prêts et de garanties de crédit vers l'Iran se tarissent. Exercer une pression telle que le régime des mollahs, placé devant la perspective d'un coûteux isolement économique, fera le constat qu'il vaudrait mieux lâcher du lest face aux Occidentaux.

Cette stratégie de l'étau financier s'est intensifiée depuis l'automne 2006. Elle a été conçue et mise en oeuvre par les responsables du Trésor américain. Ils se sont inspirés des mesures prises précédemment contre la Corée du Nord. Avec son économie bien plus ouverte que celle du régime stalinien nord-coréen, l'Iran, puissance pétrolière souffrant d'un manque d'investissements, est encore plus vulnérable, ont-ils jugé. Des délégations américaines se sont donc succédé, en Europe, principal partenaire commercial de l'Iran, pour démarcher les grandes banques et firmes.

Les Américains ont présenté les choses de la façon suivante : ne ternissez pas votre réputation et ne mettez pas en péril vos intérêts aux Etats-Unis en ayant partie liée avec un régime qui trempe dans le terrorisme, la prolifération, et menace de rayer Israël de la carte. Une formule résume l'avertissement : « Naming and shaming », c'est-à-dire désigner les acteurs économiques jugés trop complaisants avec l'Iran, et les accabler d'un sentiment de honte.

Les résultats sont là. Selon des diplomates et des experts économiques, plus aucune banque européenne ne se lance dans le financement de grands projets en Iran. C'est une évolution majeure. « Les Américains ont joué assez finement », observe-t-on de source diplomatique à Paris. Les Etats-Unis ne se sont pas lancés, en effet, dans une logique d'extraterritorialité de leur propre législation visant le business avec l'Iran, comme dans les années 1990, lorsqu'ils avaient fortement irrité les Européens. Ils sont allés voir directement des entreprises étrangères cotées à Wall Street. Ils ont évoqué les sanctions, les amendes, ou les éventuelles décisions de fonds de pension américains auxquelles ces sociétés pourraient être exposées si elles devaient poursuivre leurs affaires avec la République islamique. « C'est extrêmement efficace. Que peut-on faire ? », commente un diplomate français.

Au départ, les responsables français s'étaient montrés hostiles à cette campagne américaine de dissuasion, perçue comme intrusive, prématurée, et dangereusement unilatérale. Depuis, ils ont été placés devant le fait accompli, d'autant que certains, au Congrès américain, parlent de faire voter de nouveaux textes restreignant les transactions avec l'Iran. Paris a fini par reconnaître l'efficacité du mécanisme, dit-on côté américain. La preuve de cette efficacité serait le débat qui s'est engagé à Téhéran entre « pragmatiques » et « radicaux », au sein même de la nébuleuse du pouvoir, sur l'opportunité de poursuivre la confrontation avec l'Ouest.

Plusieurs banques européennes, notamment l'allemande Commerzbank et les suisses UBS et Crédit suisse, se sont laissé rapidement convaincre par l'administration Bush. A des degrés divers, elles se sont détournées de l'Iran, pays jugé d'autant plus infréquentable que son président a tenu des propos négationnistes sur la Shoah.

Du côté des banques françaises, c'est aussi la méfiance, sans que les choses soient portées sur la place publique. « On a mis la pédale douce avec l'Iran. Il n'est quand même pas banal qu'un secrétaire américain au Trésor vienne voir directement des responsables de banques ici », dit une source bancaire.

La BNP Paribas a fortement réduit ses engagements en Iran, sans l'annoncer publiquement. Ses intérêts aux Etats-Unis ne méritaient pas d'être compromis. BNP Paribas a été, historiquement, la première banque européenne à s'installer en Israël. Il lui faut être particulièrement attentive à son image outre-Atlantique, où il lui est arrivé de subir un flot de critiques pour son rôle dans le système « Pétrole contre nourriture », le programme de sanctions aménagées contre l'Irak de Saddam Hussein de 1996 à 2003.

Selon des évaluations, l'encours des banques françaises en Iran s'est réduit de moitié sur une période d'un an. Sans endosser formellement l'offensive financière américaine, le ministère des finances et le Quai d'Orsay ont fait passer des messages aux banques et aux entreprises françaises, soulignant le risque de s'engager plus avant en Iran, et appelant les investisseurs à « prendre leurs responsabilités », face à un contexte tendu et imprévisible au Moyen-Orient.

Cherchant à limiter les dégâts, l'ambassadeur iranien à Paris, Ali Ahani, multiplie les contacts dans les milieux économiques. Il a notamment demandé, ce mois-ci, à rencontrer les patrons de BNP-Paribas et de la Société générale, Michel Pébereau et Daniel Bouton.

Mais c'est surtout le pétrolier Total que les Iraniens voudraient conserver comme partenaire. Du fait des pressions américaines, la firme française ne trouve plus de financements bancaires pour son projet de gaz liquéfié sur le champ iranien de South-Pars, l'un des gisements les plus importants de la région. Ce problème est reconnu en catimini par des sources au sein de Total, et il est décrit comme un fait avéré par des diplomates.

Cela pose, pour Total, la question de l'autofinancement et des coûts en Iran, qui ont grimpé, contraignant pour l'heure la société à geler le projet. Le patron de Total, Christophe de Margerie, n'a pas dit si la « major » allait se lancer cette année dans le nouvel investissement de South Pars, comme cela avait été envisagé. Si Total passe outre aux injonctions américaines, la société s'expose aux dispositions de la législation ILSA (Iran-Libya Sanctions Act) de 1996, adoptée sous Clinton. En effet le waiver (l'exemption) dont la firme française avait pu bénéficier à partir de 1998, pour d'autres projets à South Pars, ne s'appliquerait plus.

Le dilemme est d'autant plus aigu que Total doit surveiller sa réputation aux Etats-Unis, mise à mal par le scandale sur les abus de « Pétrole contre nourriture », et l'ouverture de plusieurs enquêtes en France contre des responsables de la société, notamment sur des cas de corruption en Iran.

Les Etats-Unis ont mené ces derniers mois une campagne auprès de 40 banques et institutions financières à travers le monde. Selon le sous-secrétaire américain au Trésor, chargé des questions de terrorisme et de renseignements financiers, Stuart Levey, cet effort a porté ses fruits. « Pour les banquiers, a-t-il déclaré le 21 mars, devant une commission du Sénat, garder quelques clients en Iran ne vaut pas le risque de mettre en péril sa capacité à faire des affaires aux Etats-Unis. »

C'est ainsi que, contournant la difficulté d'accroître les sanctions de l'ONU contre l'Iran - la Russie et la Chine étant réticentes -, les Etats-Unis ont trouvé d'autres biais, plus discrets, multiformes, et faciles à moduler, pour contraindre l'adversaire iranien. Reste que Téhéran continue de tenir tête, et poursuit ses travaux nucléaires.

Natalie Nougayrède
Source : Le Monde du 17.04.07