mardi, juillet 15, 2014

L’économie suisse fait les yeux doux à l’Iran

Les signaux positifs envoyés dans le cadre des négociations sur le nucléaire iranien rendent le pays des mollahs à nouveau attrayant aux yeux des investisseurs occidentaux. La Suisse se prépare elle aussi en vue de la fin annoncée de l’embargo. Les contacts avec les représentants de la République islamique se multiplient.

«Depuis six mois, les représentants européens se bousculent en Iran», affirme Suhail el Obeid, spécialiste du Moyen-Orient auprès de l’organisme de promotion économique Switzerland Global Enterprise (S-GE). Cet intérêt des entreprises pour le marché iranien a été relancé en début d’année. A la suite des négociations de novembre 2013 à Genève entre l’Iran et les puissances disposant du droit de veto au Conseil de sécurité de l’ONU - Russie, Etats-Unis, France, Grande-Bretagne, Chine et Allemagne (groupe 5+1) -, l’Union européenne et la Suisse ont déjà suspendu les sanctions concernant certains produits et services destinés à l’Iran.

Des représentants de l’UDC à Téhéran

Fin avril, trois députés et deux ex-députés de l’Union démocratique du centre (UDC / droite conservatrice) en voyage «privé» ont dû faire l’expérience de l’intérêt des médias iraniens pour les délégations occidentales.

Selon leurs affirmations, ils se sont rendus en Iran pour déterminer si les entreprises américaines respectaient les sanctions, ou si au contraire la Suisse souffrait injustement de cet embargo. Dans le cadre des entretiens qui ont eu lieu sur place, le député Luzi Stamm a critiqué les sanctions imposées à l’Iran. Des sanctions qui sont également suivies par la Suisse.

Père de l’initiative «anti-minarets» acceptée par le peuple suisse en 2009, Ulrich Schlüer s’est lui aussi laissé courtiser par le régime iranien. Les politiciens suisses ont été photographiés par les médias iraniens à l’occasion d’une poignée de main avec le président de la Commission des affaires étrangères du parlement iranien. Les images et les textes diffusés par les médias ont laissé entendre qu’il s’agissait d’une délégation parlementaire officielle, provoquant en Suisse un débat sur le bien-fondé des voyages parlementaires privés.

«En règle générale, plusieurs délégations étrangères se rendent simultanément à Téhéran», explique Suhail el Obeid. L’objectif est d’être prêts «dès que les sanctions seront levées», souligne le représentant de S-GE. «Les entreprises veulent savoir s’il y a des débouchés pour leurs produits ou leurs services. Pour les PME, il est très important de trouver des partenaires, des grossistes et des clients spécifiques et de mener des discussions d’affaires».


Beaucoup d’attentes

La levée des sanctions contre l’Iran dépendra du succès ou non des négociations sur le nucléaire. Des représentants du groupe 5+1 sont réunis ces jours à Vienne dans le but de parvenir à un accord d’ici au 20 juillet. Le point central de l’accord signé en novembre à Genève repose sur la poursuite des négociations au mois de juin, résume Philippe Welti, président de la toute nouvelle «Chambre de commerce Suisse-Iran».

L’ancien ambassadeur de Suisse en Iran connaît bien la République islamique, et il dispose également d’un solide réseau au sein de l’économie suisse. «La Chambre de commerce prépare le terrain dans le but d’améliorer les contacts directs entre l’économie suisse et les clients iraniens», affirme-t-il.

Les signaux envoyés dans le cadre des négociations sur le nucléaire iranien ont soulevé de nombreuses attentes quant à de «de probables changements rapides», affirme Philippe Welti. Si l’Iran apparaît comme un eldorado aux yeux de l’économie, c’est en raison de ses énormes réserves de gaz et de pétrole mais aussi du retard pris dans ses infrastructures technologiques de pointe. «L’élément central réside dans l’amélioration de l’exploitation et du traitement des ressources gazières et pétrolières. Ce qui manque à l’Iran, c’est la technologie, tant du point de vue quantitatif que qualitatif, qui lui permettra d’optimiser ses énormes gisements pétroliers».

La Suisse bien placée

L’économie suisse a de bonnes chances de s’imposer avec succès sur ce marché lucratif, estime Philippe Welti. Elle fait partie des plus performantes du monde en ce qui concerne certains produits de niche. «L’industrie automobile en Iran représente un immense marché. En Suisse, il y a de nombreux petits sous-traitants dont les noms sont peu connus du grand public mais qui détiennent près de 90% du marché mondial de certains composants automobiles».

Pour ces sociétés hautement spécialisées, le potentiel apparaît énorme en Iran. «On peut citer par exemple les compresseurs à piston, qui sont très utilisés en Iran. La société de Winterthour Burkhardt Compression est leader mondial dans ce domaine», relève Philippe Welti. Quant à la fiabilité des partenaires économiques dans un pays qui occupe une peu enviable 144e place sur 177 en matière de corruption, l’ex-ambassadeur affirme: «Le gouvernement iranien peut démontrer qu’il est un partenaire fiable en signant des contrats prévoyant par exemple des paiements anticipés pour certains produits qui sont importants pour le pays».

Reste que l’économie iranienne ne fonctionne pas selon les principes occidentaux. «Dans le cas d’un conflit juridique avec un débiteur iranien, vous ne pouvez pas vous attendre à être traité sur un pied d’égalité par la justice», reconnaît Philippe Welti.

Chiffres contradictoires

Shakib Mohammad-Gou, un Iranien qui a grandi en Allemagne, exploite un service d’information en ligne sous le nom de Swiss-Persian.ch. Selon lui, le montant des échanges entre la Suisse et l’Iran serait bien plus important que celui avancé par le SECO. Il se monterait à 1,7 milliard d’euros, affirme-t-il en se basant sur les chiffres des services de douane iraniens.

Selon Shakib Mohammad-Gou, le marché iranien est également intéressant pour des entreprises suisses telles que Nestlé, Novartis, Roche, ABB et les banques UBS et Credit Suisse. Officiellement du moins, ces entreprises auraient réduit leurs activités en Iran. Mais elles jouiraient d’une bonne réputation et d’un solide réseau au sein de la République islamique.  

Une partie des échanges commerciaux avec l’UE, qui ont été réduits après les sanctions prononcées par Bruxelles, transiteraient par la Suisse. La Suisse agit de manière «pragmatique» dans la mise en œuvre des sanctions «lorsque cela concerne des marchandises qui ne sont pas directement liées au programme nucléaire ou à la construction de nouvelles installations gazières ou pétrolières», affirme Shakib Mohammad-God

Comment payer?

Théoriquement, l’exportation de nombreux produits vers l’Iran n’a jamais été interdite. Mais pour ne pas froisser les Etats-Unis, beaucoup d’entreprises ont décidé de leur propre chef de ne plus commercer avec ce pays. «Par ailleurs, en raison des sanctions internationales, elles doivent se soumettre à une chaîne d’autorisations complexe», affirme Philippe Welti. Qui relève toutefois que «le plus grand problème reste toujours le trafic des paiements».

L’Iran est exclu du système bancaire international Swift (Society for Worldwide Interbank Financial Telecommunication). Un paiement juridiquement sécurisé par-delà les frontières nationales n’est pratiquement possible que via Swift. Les alternatives sont compliquées et coûteuses. «Les Etats-Unis ont un contrôle sur pratiquement chaque dollar qui est échangé dans le monde», avance Philippe Welti.

Les réserves émises par la SERV, l’assurance suisse contre les risques à l’exportation, montrent à quel point il est difficile de faire des affaires avec l’Etat iranien. La SERV est «actuellement disposée à examiner des demandes de couverture pour l’Iran, pour autant que l’exportateur puisse proposer un mode de paiement acceptable aux yeux de la SERV», explique le Secrétariat d’Etat à l’économie (SECO) à swissinfo.ch.

«En dépit de l’assouplissement des sanctions par le Conseil fédéral, la SERV n’a toutefois pu traiter aucune demande de couverture car les modes de paiement n’ont pas encore été établis», poursuit le SECO. Malgré un intérêt marqué, le commerce entre la Suisse et l’Iran ne décolle pas (encore). Durant les quatre premiers mois de 2014, les exportations ont augmenté de 12,8% par rapport à la même période de l’an dernier, pour atteindre 99,3 millions de francs. Les importations ont connu une hausse de 11,2% pour s’établir à 12,8 millions de francs. En raison de la courte période concernée, le SECO n’est pas en mesure de dire si ce phénomène s’explique par un assouplissement sélectif des sanctions ou simplement par des fluctuations naturelles.

Contrats de livraison de gaz

En 2008, la Suisse a signé un contrat de livraison de gaz avec l’Iran, en présence de Micheline Calmy-Rey, alors ministre des Affaires étrangères. Le contrat a suscité une vive polémique en Suisse, en raison notamment du foulard porté par Micheline Calmy-Rey à cette occasion. Le contrat a été suspendu peu après, dans la foulée des sanctions prises par la communauté internationale.

Ni le Département fédéral des Affaires étrangères ni AXPO Trading SA, qui avait conclu le contrat sous le nom d’EGL, ne souhaitent s’exprimer sur d’éventuels efforts entrepris pour relancer le contrat. «La situation géopolitique actuelle ne permet pas de livraisons de gaz depuis l’Iran», écrit Axpo. Elle dit s’appuyer à l’heure actuelle sur le «TAP (Trans Adriatic Pipeline) pour l’approvisionnement en gaz depuis l’Azerbaïdjan».

OMV, la plus grande société industrielle autrichienne, avait également signé à l’époque un accord de livraison de gaz avec l’Iran. Selon plusieurs médias, des rencontres entre des représentants d’OMV et du ministère iranien du pétrole ont eu lieu ces derniers jours.

Prudence avec les médias iraniens

Le regain d’intérêt de l’Occident pour l’économie iranienne est bien perçu dans ce pays, et les médias nationaux s’en font volontiers l’écho. Les sources sur lesquelles reposent les informations sont cependant parfois mystérieuses.

«Le fabricant de vélos électriques Biketec est prêt à investir en Iran», rapportait récemment la radio officielle iranienne (IRIB) sur son site internet, qui diffuse des informations en plusieurs langues, dont l’allemand et le français.

Un membre du Conseil d’administration de l’entreprise suisse se serait déclaré prêt à construire des ateliers de production et d’assemblage sur l’île iranienne de Kish. Chez Biketec, on ne sait pas d’où tombe cette nouvelle. «Nous n’avons aucunement l’intention d’étendre nos activités à l’Iran», communique l’entreprise.

Source : SWI swissinfo.ch, 19. juin 2014, Peter Siegenthaler

mardi, juillet 01, 2014

La nouvelles stratégie régionale de l'Iran

Source : Zaman (www.zamanfrance.fr), 01/07/2014
La politique internationale s'apparente parfois à un feuilleton. Par exemple, si on compare la position et le prestige de la Turquie pendant les Printemps arabes avec aujourd'hui, on constate que ce prestige a été si grand que le Premier ministre turc pouvait sermonner les Arabes du Caire – centre du monde arabe – sur les vertus de la sécularisation et de la bonne gouvernance alors qu'aujourd'hui, la Turquie n'a même pas d'ambassadeur au Caire.
Dans un contraste fort avec le déclin de la Turquie, l'Iran, après s'être battu avec succès pour Damas, est maintenant prêt à défendre Bagdad. Téhéran a pu changer le cours des événements et monter en tant qu'équilibre régional. Comment cela a-t-il été possible ?

La situation chaotique des sunnites

Premièrement, la montée de l'Iran est le produit direct de la géographie transnationale chiite. Les Printemps arabes ont en quelque sorte activé l'identité régionale chiite. Du Liban à l'Iran, des pays du Golfe à l'Afghanistan, les chiites se sont organisés avec succès. Ainsi, une leçon majeure des Printemps arabes peut être tirée du rôle essentiel des réseaux religieux transnationaux. Même les critiques les plus ardents des mollahs en Iran peuvent, je pense, voir aujourd'hui l'importance vitale des réseaux.
Les hommes politiques iraniens porteront désormais une plus grande attention à ces réseaux transnationaux dans toute la région. Les événements prouvent que pour l'Iran, protéger ces réseaux est essentiel. Dans un sens, le réseau mondial chiite a passé un test pendant les Printemps arabes, en particulier en Syrie, et est en train d'en passer un aujourd'hui, en Irak.
Deuxièmement, la montée de l'Iran est le résultat indirect de la situation chaotique des musulmans sunnites. Beaucoup aujourd'hui mettent en avant l'idée d'une crise de l'islam. Cette idée a du mérite, mais la crise est plus celle de l'islam sunnite. L'islam sunnite est prêt à donner naissance à son pire enfant, c'est-à-dire à une interprétation radicale qui ne s'abstient pas de décapiter ses ennemis.
Certaines parties de l'islam sunnite ont été happées par cette interprétation radicale. Par conséquent, l'islam sunnite n'a pas réussi à se réorganiser dans la région. Le chaos n'a rien à voir avec les masses. Une division similaire peut aussi être constatée chez les Etats sunnites.
Une tradition étatique forte
Troisièmement, la montée de l'Iran est liée d'une certaine manière à sa forte tradition étatique. L'Iran a beaucoup de problèmes en termes de démocratie et de développement économique, mais sa tradition étatique est d'une force considérable. Pendant que nous assistions aux chutes des Etats en Libye et en Irak, la performance de l'Iran était remarquable.
Même la Turquie fait face à différentes crises avec le problème du PKK. Des rapports officiels ont confirmé que le PKK était capable de maintenir des postes de contrôle sur des routes de l'Est de la Turquie.
Pourtant, en cette époque de chutes d'Etat et de crises étatiques, l'Iran va bien par rapport aux autres pays. Ce que j'entends par «tradition étatique», ce n'est pas seulement la capacité matérielle de l'Etat mais aussi la capacité stratégique des élites au pouvoir.

Un Iran hybride pour la survie de sa stratégie

La grande stratégie de l'Iran peut-elle durer sur le long terme ? J'ai déjà mentionné le rôle des réseaux transnationaux informels dans le succès de l'Iran. Mais j'ajouterais maintenant que le succès à long terme de l'Iran requiert une combinaison de ses réseaux informels et de sa capacité formelle.
L'Iran peut utiliser deux instruments : l'Etat moderne et les réseaux chiites de l'islam. Pour l'Iran, c'est un «must» que d'atteindre un équilibre entre les deux. Un Iran hybride (qui utilise des instruments à la fois formels et informels) pourrait se révéler être la meilleure voie pour la survie à long terme de la stratégie de l'Iran. Je pense que c'est exactement cela que veut réaliser le nouveau président iranien, Hassan Rohani.
Cet étudiant fidèle intelligent de l'islam chiite iranien sait très bien en quoi les réseaux transnationaux sont fondamentaux pour l'Iran. Mais il sait bien aussi que l'Iran a besoin de liens légitimes avec les marchés au niveau international et avec le monde. S'il réussit à construire ce modèle hybride, le « rohanisme » sera peut-être la deuxième idéologie la plus importante pour la formation de l'Iran, après le « khomeinisme ».

Mission parlementaire française en Iran

Source : Le Figaro avec AFP, 29 juin 2014

Une mission parlementaire française a séjourné du 24 au 27 juin en Iran pour des entretiens ayant porté notamment sur le dossier nucléaire et la situation en Irak, a annoncé aujourd'hui l'un de ses participants, le député UMP Jacques Myard, dans un communiqué. "Cette visite s'est inscrite dans le cadre de la diplomatie parlementaire (...) à un moment où doit se jouer à Vienne, d'ici le 20 juillet, une phase décisive avec Téhéran sur le dossier nucléaire", précise-t-il.

La délégation parlementaire était conduite par Odile Saugues (SRC), vice-présidente de la commission des Affaires étrangères de l'Assemblée nationale. Elle comprenait également Philippe Mallé (SRC) et Jean-Luc Reitzer (UMP), tous deux aussi de la commission des Affaires étrangères.

Les parlementaires, poursuit le communiqué, ont été reçus par plusieurs officiels iraniens. L'un d'eux, le vice-ministre des Affaires étrangères, Takht-Ravanchi, l'un des négociateurs sur le nucléaire, a déclaré à ses interlocuteurs qu'il se rendait "à Vienne avec la volonté d'aboutir", dit M. Myard.

Les discussions entre les grandes puissances du groupe 5+1 et l'Iran doivent reprendre le 2 juillet à Vienne sous la conduite de Mme Ashton et du ministre iranien des Affaires étrangères, Mohammad Javad Zarif. Les 5+1 souhaitent obtenir avant le 20 juillet un accord avec l'Iran sur le nucléaire.

"La position iranienne peut être résumée d'une phrase: +si nos intérêts nationaux sont mis en danger, nous ferons ce qui doit être fait", écrit à propos de l'Irak Jacques Myard dans le communiqué.