mardi, mars 27, 2007

Des dirigeants de Total supçonés de corruption

Le nouveau patron du groupe pétrolier, Christophe de Margerie, devra répondre aux questions sur le versement de 40 millions de dollars à une société de consultants

A peine désigné successeur de Thierry Desmarest, en février, à la tête du groupe pétrolier Total, Christophe de Margerie est déjà au centre d'investigations judiciaires. M. de Margerie a confirmé au Monde, mardi 20 mars, qu'il était convoqué mercredi 21 mars par la police financière dans une affaire visant les activités du groupe en Iran.

La brigade de répression de la délinquance économique (BRDE) est chargée de l'enquête.

Saisie depuis le 18 décembre 2006, la justice cherche à éclaircir les conditions dans lesquelles Total a versé 40 millions de dollars à une société de consultants sans que celle-ci puisse, à ce jour, justifier de prestations correspondant à cette rémunération. Ces fonds pourraient avoir servi à payer des intermédiaires iraniens et corrompre des fonctionnaires locaux afin d'obtenir un contrat gazier.

Conclu en 1997 avec la société pétrolière nationale iranienne NIOC, le contrat signé par Total associait aussi le russe Gazprom et le malaisien Petronas pour exploiter une partie du champ gazier offshore de South Pars. Le groupe français aurait investi plus de 2 milliards de dollars dans ce projet opérationnel depuis 2002. Des transferts de fonds suspects liés à ce contrat auraient perduré après 2000, date d'entrée en vigueur de la convention de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) interdisant les pratiques corruptives dans le cadre du commerce international.

Interrogé par Le Monde sur les investissements réalisés en Iran, M. de Margerie a indiqué que son " groupe estimait que les accords passés, en 1997, sur le contrat gazier en Iran l'ont été dans le respect le plus total des lois applicables ". Questionné sur le recours, avant 2000, comme l'ensemble des groupes pétroliers mondiaux, aux commissions dans le cadre de ses activités, le groupe se refuse à tout commentaire.

M. de Margerie est déjà sous le coup, depuis octobre 2006, d'une mise en examen pour " complicité d'abus de biens sociaux et de corruption d'agents publics étrangers " dans l'affaire " Pétrole contre nourriture ".

Cette nouvelle information judiciaire a été ouverte après la découverte par les autorités suisses du transfert suspect de 60 millions d'euros de commissions par Total à diverses sociétés. La justice helvétique a, dans un premier temps, mené ses propres investigations et sollicité la coopération des juges français avant de leur transmettre le dossier.

Le circuit d'une partie des flux financiers douteux aurait été identifié par les enquêteurs suisses. Une fraction des 40 millions de dollars versés par Total aurait été déposée sur les comptes de sociétés dont l'ayant droit final serait l'un des fils de l'ancien président iranien Hachémi Rafsandjani. La justice dispose, aussi, du témoignage d'un dirigeant de la compagnie pétrolière Statoil évoquant l'existence d'un système de corruption en Iran organisé autour d'une fondation présidée par le fils Rafsandjani et des structures installées à Dubaï.

La Californie veut interdire à ses fonds de pension d'investir dans des entreprises liées à l'Iran

La Californie veut interdire à ses fonds de pension d'investir dans des entreprises liées à l'Iran

LE MONDE | 21.03.07

isé par la justice française, Total est aussi indirectement dans la ligne de mire du gouvernement fédéral de Californie. Mardi 28 mars, les parlementaires de l'Etat de la côte Ouest des Etats-Unis devraient se prononcer sur un projet de loi obligeant les fonds de pension californiens Calpers et Calsters à supprimer de leurs portefeuilles tous les actifs de sociétés investies en Iran ou liées à ce pays.

Selon l'élu républicain Joel Anderson, auteur du texte, 300 entreprises seraient concernées, représentant près de 24 milliards de dollars (18 milliards d'euros) d'investissements. Parmi les cibles figurent donc Total mais aussi Technip, ENI, Repsol, Royal Dutch Shell, Statoil Asia, Siemens ou BNP Paribas.

"Nous ne souhaitons pas que les fonds de pension servent au financement du terrorisme, justifie M. Anderson, et il existe des liens entre l'Iran et les activités terroristes." Vu la somme évoquée, "les cours des actions (des entreprises visées) devraient chuter, poursuit-il, mais ces sociétés peuvent choisir de se désengager de l'Iran".

"ERREUR POLITIQUE"

Cette position radicale a suscité la colère du National Foreign Trade Council, qui défend les intérêts des entreprises américaines à l'export. "Ce choix est une erreur politique, estime son président William Reinsch. Il va irriter les pays partenaires et isoler l'action des Etats-Unis face à l'Iran." En outre, juge-t-il, les retombées économiques seraient bien moindres que les chiffres donnés par M. Anderson.

"Identifier les entreprises (investies en Iran) sera un vrai défi", atteste le porte-parole de Calpers qui, pour le moment, n'a répertorié des participations que dans sept multinationales potentiellement concernées représentant 26,1 millions de dollars d'actifs.

Revendiquant le soutien de représentants démocrates et républicains, M. Anderson se montre toutefois "très optimiste" quant aux chances de voir son texte approuvé par le Parlement fédéral et signé, d'ici à l'automne 2007, par le gouverneur de Californie, Arnold Schwarzenegger. En contact avec Washington, ce dernier espère, en outre, faire de ce projet fédéral un texte à vocation nationale.

Claire Gatinois

Investissements iraniens dans les pays du Golfe persique

Les autorités de Dubaï ont fait une série de calculs sur les investissements étrangers sur leur territoire. Parmi ces chiffres, on a trouvé quelques données sur l’Iran et les Iraniens.

D’après les chiffres, fin 2006 les avoirs des iraniens se chiffraient à 300 milliards de dollars US détenus par quelques 400 000 iraniens dont un nombre important vit et s’est établi à Dubaï. Toujours d’après cette étude, quelque 7000 sociétés dépendant de la république islamique ont un bureau à Dubaï.

On dit que les hommes d’affaires iraniens sont également très actifs sur les deux bourses émiratis, l’Abu Dhabi Securities Market (ADSM) et le Dubai Financial Market (DFM). Ce brusque surplus de liquidités a même poussé les autorités des Émirats Arabes Unis à intervenir pour limiter cet afflux.

En outre, l’importante communauté iranienne émigrée dans le Golfe persique, qui a investi au total près de 200 milliards de $ entre 1979 et 2004, est à présent suspecte de collusion avec le régime iranien et de tentative d’ingérence dans les affaires intérieures des pétro-monarchies et plus spécialement, de Dubaï.

La communauté iranienne est la première communauté de Dubaï et les Iraniens sont plus nombreux que les ressortissants locaux.

L'économie iranienne, or noir et clientélisme

Source : Le Monde, 27 mars 2007

Le complexe pétrochimique d'Assaluyeh, dans le sud-ouest de l'Iran

Morteza Nikoubazl, Le complexe pétrochimique d'Assaluyeh, dans le sud-ouest de l'Iran.

Lorsque le président de la République islamique pointe un "complot de l'étranger" parce que le prix des tomates monte, c'est signe qu'il n'a pas une grande maîtrise de son économie. Et quand Mahmoud Ahmadinejad invoque le ciel pour régler "le problème de la viande et du poulet" - "si Dieu le veut" - c'est qu'il ne contrôle en fait rien.

En Iran, l'inflation atteint, officiellement, 16 %. L'envol des prix des denrées alimentaires provoque la grogne générale et la rancoeur des pauvres, séduits par les promesses du candidat Ahmadinejad lors de la campagne présidentielle de 2005.

En 2006, dans une lettre ouverte, 150 députés (sur 290) lui ont demandé de réduire la dépendance envers les devises pétrolières et de couper dans la dépense publique. La même année, le gouverneur de la banque centrale a mis en garde contre le dérapage de l'inflation et 50 universitaires ont appelé le président à ouvrir l'économie du pays.

L'inquiétude a redoublé le 21 janvier, quand M. Ahmadinejad a présenté un budget mars 2007-mars 2008 avec des dépenses en hausse de 20 % : l'économie résisterait-elle à un renforcement des sanctions qui la touchent ? Le pays affiche néanmoins quelques bons indicateurs, grâce à l'afflux des pétrodollars. "La croissance est soutenue, la balance commerciale excédentaire, les réserves de devises importantes", note l'économiste Thierry Coville, spécialiste de l'Iran.

Une vision positive que tempère Denis Bauchard, de l'Institut français des relations internationales (IFRI) : "L'appareil productif iranien est largement nationalisé et peu productif. Il crée peu d'emplois, paie peu d'impôts et des droits de douane élevés protègent de la concurrence étrangère des entreprises publiques très gourmandes en subventions."

Grâce à ses 2,7 millions de barils de pétrole exportés chaque jour, Téhéran a mis en place un robinet à subventions hors du commun. Sur les 55 milliards de dollars (41,4 milliards d'euros) de revenus pétroliers en 2006 (contre 23 milliards de dollars en 2003), une large part a été redistribuée en aides : au logement, à l'emploi, au pain, au riz, aux médicaments ou... à l'essence. Car pour les mollahs, la recette pétrolière est moins un outil de modernisation qu'une rente politique.

Qui contrôle ces subventions (15 à 20 milliards de dollars en 2005, soit 11 % du produit intérieur brut) a le pouvoir de fidéliser une clientèle. La rente énergétique finance tant la hausse des salaires d'une fonction publique pléthorique ou la stabilité des prix agricoles que des prêts à taux zéro pour les jeunes voulant se marier.

Mais le premier bénéficiaire est l'automobiliste. En Iran, le litre à la pompe est le plus bas du monde : 8 centimes d'euros ! Comme le pays importe 40 % des produits raffinés qu'il consomme, une partie des devises tirées de la vente du brut repart pour acheter l'essence utile aux besoins internes. Les subventions à la vente d'essence se monteraient à une dizaine de milliards de dollars par an.

Un chiffre qui va croissant, car les prix bas à la pompe engendrent une forte contrebande. Un des sports préférés des Iraniens est de revendre de l'essence en Irak, en Syrie, au Pakistan ou en Afghanistan. "Des armadas de camions bourrés de jerricans franchissent les frontières. Il y a une économie frontalière très florissante dans les zones limitrophes", souligne Farida Adelkhah, chercheuse au Centre d'études et de recherches internationales (CERI).

Les agriculteurs sont aussi de grands bénéficiaires des aides publiques. Selon la banque centrale d'Iran, les prix garantis aux producteurs de riz, de viande, de produits laitiers ou l'aide à l'achat de pesticides ont pesé 2,3 milliards d'euros en 2005. Objectif : offrir au consommateur des produits alimentaires à bas prix.

Or, les agriculteurs écoulent aussi une partie de leur production à meilleur prix chez leurs voisins. D'où une hausse des prix en Iran. Quand le pouvoir s'est aperçu que ses dépenses pour acheter des citrons montaient, il a baissé les tarifs douaniers pour faire pression sur les producteurs locaux. Résultat : la plupart ont fait faillite.

Depuis l'invasion américaine, en mars 2003, l'Irak est devenu un débouché important pour la République islamique. Elle y écoule électricité, appareils électriques, voitures, tapis, matériaux de construction, poissons, épices, livres, etc. Téhéran voit là un moyen de resserrer des liens avec un pays dont 60 % de la population est, comme la sienne, chiite.

L'économie de rente instituée par le régime a empêché toute modernisation de l'appareil productif, pétrolier inclus. En raison de fuites dans les raffineries, 6 % de la production pétrolière serait perdue. Et l'Iran ne parvient pas à remplir le quota fixé par l'Organisation des pays exportateurs (OPEP). Selon Mme Adelkhah, son économie est traversée de déséquilibres qu'on ne pourrait corriger sans bouleverser l'ensemble du système.

Les 4 millions de citoyens iraniens vivant à l'étranger (Europe, Etats-Unis, Israël...) envoient tous les ans "au pays" pour des centaines de millions de dollars des produits introuvables sur place (médicaments, pièces automobiles...). A Téhéran, sous le tchador, l'iPod diffuse les derniers tubes californiens. L'austérité islamique est tempérée par une vibrante économie informelle dans laquelle les femmes se sont taillé une place inattendue : au Bazar, elles ont le monopole de la lingerie fine et des cosmétiques.

Cette imbrication des économies formelle et souterraine peut continuer à deux conditions : que le prix du brut reste élevé sur les marchés internationaux et qu'aucun embargo ne pénalise les échanges de Téhéran. A l'inverse, que les revenus pétroliers baissent ou que des sanctions draconiennes soient imposées, et des risques de mécontentement considérables surgiraient.

La République islamique connaîtra-t-elle le sort de l'URSS ? Dans les années 1970 et au début des années 1980, Moscou avait financé les importations de biens grâce aux revenus des hydrocarbures, avant que le contre-choc pétrolier de 1986 l'empêche de subventionner l'économie, contribuant à la chute du régime communiste.

Telle est la thèse du géographe Roger Stern, de l'université Johns-Hopkins. Fin 2006, dans un rapport sur l'Iran devant l'Académie des sciences américaine, il pointait un risque de baisse des revenus pétroliers liée à un sous-investissement et... leur disparition en 2015 : "Ce que les Iraniens se font à eux-mêmes est bien pire que tout ce que nous pourrions leur faire", écrivait-il. Dans la crise nucléaire avec Téhéran, les "faucons" américains préfèrent des sanctions immédiates, voire une intervention militaire. Car attendre dix ans, plaident-ils, c'est l'assurance que les Iraniens posséderont la bombe A.

Jean-Michel Bezat et Yves Mamou

lundi, mars 26, 2007

L'ONU alourdit les sanctions contre l’Iran

lefigaro.fr (Avec AFP).

Le Conseil de sécurité sanctionne le refus iranien de suspendre ses activités nucléaires sensibles.

L’ONU a infligé samedi de nouvelles sanctions économiques et commerciales à l'Iran, pour son refus de suspendre ses activités nucléaires sensibles, dans une résolution adoptée à l'unanimité de ses quinze membres.
Rédigée par la France, la Grande-Bretagne et l'Allemagne, la résolution qui porte le numéro 1747, alourdit et étend le champ des sanctions imposées à l'Iran par une précédente résolution, la 1737 du 23 décembre 2006. Téhéran avait déjà ignoré cette première résolution, accélérant au contraire ses opérations d'enrichissement, selon le constat établi par l'Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA).
La nouvelle résolution impose un embargo sur les achats d'armes à l'Iran, des restrictions volontaires aux ventes d'armements à ce pays, des restrictions financières et commerciales, ainsi que sur les voyages de certaines personnalités iraniennes liées au programme nucléaire du pays. Le texte contient en annexe un rappel des propositions économiques et diplomatiques faites à l'Iran par les Européens en juin pour le convaincre de suspendre l'enrichissement. Comme la précédente, la résolution 1747 invoque l'article 41 de la Charte de l'ONU, qui autorise des sanctions économiques et commerciales mais exclut l'usage de la force.
"Rejet international" de l’Iran
Les Etats-Unis ont immédiatement réagi par la voix du numéro trois du département d'Etat américain, Nicholas Burns. Ce dernier a indiqué que les nouvelles sanctions sont la preuve d'un "rejet international" de la République Islamique qui la laisseront encore plus isolée qu'elle ne l'est.
Le ministre iranien des affaires étrangères, Manouchehr Mottaki, a qualifié la résolution d'"illégale, inutile et injustifiable". L'Iran assure mener son programme nucléaire uniquement à des fins civiles, mais la communauté internationale le soupçonne de vouloir se doter de l'arme atomique. Le guide suprême de la république islamique, l'ayatollah Ali Khamenei, et le président Ahmadinejad, ont répété ces derniers jours que la nouvelle résolution et des sanctions supplémentaires ne feront pas plier l'Iran.
Le ministre français des Affaires étrangères, Philippe Douste-Blazy, a salué l'adoption par le Conseil de sécurité de l'Onu de la nouvelle résolution. Il a également appelé Téhéran à libérer "sans délai" les marins britanniques capturés par l'Iran dans le Golfe persique.
Le porte-parole de la diplomatie européenne, Javier Solana, a de son côté affirmé son souhait de rentrer en contact avec Ali Larijani, le principal négociateur iranien, pour voir si une reprise des négociations est possible.

jeudi, mars 22, 2007

Iran-Arménie : Inauguration du gazoduc reliant l’Arménie à l’Iran

Inauguration du gazoduc reliant l’Arménie à l’Iran

mardi 20 mars 2007, Stéphane/armenews




Un gazoduc reliant l’Arménie à l’Iran et réduisant la dépendance de l’Arménie au gaz russe a été inauguré lundi

Le président iranien Mahmoud Ahmadinejad et son homologue arménien Robert Kotcharian ont officiellement ouvert cet ouvrage dans la ville arménienne de l’Agarak, proche de la frontière iranienne.

"C’est un évènement historique, qui initie une nouvelle ère dans les relations" entre les deux pays, a déclaré M.Kotcharian durant la cérémonie.

"Nos relations se sont approfondies au cours des 15 dernières années et mon intention est de continuer à les développer", a dit M. Ahmadinejad . Il a notamment évoqué la coopération des deux pays en matière d’électricité, d’énergie, d’eau et de communications.
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Au terme du contrat, l’Arménie devrait recevoir 36 milliards de mètres cubes de gaz au cours des 20 années à venir. Les livraisons devraient progressivement augmenter pour atteindre un rythme de 2,3 milliards de mètres cubes par an grâce à ce gazoduc long de 150 kilomètres.

L’Arménie fait actuellement face à un embargo économique de la part de deux de ses voisins, l’Azerbaïdjan et la Turquie, en raison du conflit autour de l’enclave azerbaïdjanaise à majorité arménienne du Nagorny Karabakh et cherche à resserrer ses liens avec l’Iran afin de réduire son isolement.

Un haut responsable iranien avait indiqué lors d’une visite à Erevan en septembre que son pays envisageait la construction d’un deuxième gazoduc vers l’Arménie.

samedi, mars 10, 2007

Travaux de la Commission des affaires étrangères du Sénat français sur l'Iran

TRAVAUX DE LA COMMISSION DES AFFAIRES ETRANGERES



Mercredi 24 janvier 2007

- Présidence de M. Robert Del Picchia, vice-président. -

Audition de M. François Nicoullaud, ancien Ambassadeur de France en Iran

La commission a tout d'abord procédé à l'audition de M. François Nicoullaud, ancien Ambassadeur de France en Iran.

Evoquant dans un premier temps la question du programme nucléaire iranien, M. François Nicoullaud a exposé son analyse de l'échec des négociations entreprises depuis trois ans par les Européens et évalué les possibilités de trouver une issue à la crise.

Il a rappelé que lorsque la nature et l'ampleur du programme nucléaire iranien avaient été révélées à l'opinion internationale, les Etats-Unis penchaient pour une saisine immédiate du Conseil de sécurité des Nations unies, alors que les Européens privilégiaient la recherche d'une solution négociée. L'initiative prise par la France, le Royaume-Uni et l'Allemagne à l'automne 2003 s'est avérée, dans les mois qui ont suivi, comme largement positive. Elle a prouvé la capacité des Européens à influer sur le cours d'une crise, en obtenant des Iraniens la suspension de leurs activités liées à l'enrichissement d'uranium durant plus de deux ans et en amenant les Américains à renoncer, au moins provisoirement, à la logique des sanctions. Malheureusement, cette négociation n'a pas abouti et son échec est en partie imputable aux Européens, qui ont commis deux types d'erreurs d'appréciation.

Les Européens ont surestimé l'état d'avancement technique du programme nucléaire iranien et la capacité de ce dernier à déboucher rapidement sur la mise au point d'une arme nucléaire. La communauté internationale a certes été impressionnée par la large gamme des activités nucléaires menées clandestinement par l'Iran, mais il est finalement apparu que beaucoup d'entre elles n'étaient pas parvenues à maturité. Ainsi, l'Iran ne semble pas encore maîtriser parfaitement la technologie de l'enrichissement d'uranium par centrifugation, les informations recueillies par les experts internationaux faisant notamment état de dysfonctionnement sur les deux batteries de 130 centrifugeuses actuellement en service. Si l'Iran parvenait à faire fonctionner la « cascade » de 3 000 centrifugeuses dont le Président Ahmadinejad a annoncé la construction, il serait alors possible de produire en une année environ les 25 kg d'uranium hautement enrichi nécessaires à la réalisation d'une arme nucléaire, cette réalisation nécessitant elle-même un ou deux ans de travaux supplémentaires. Ce seuil décisif ne paraît pas encore en mesure d'être atteint dans les mois qui viennent, compte tenu de la complexité des paramètres dont cette technologie impose la maîtrise. Il est probable que les Européens ont mal évalué l'échelle de temps des différents jalons techniques du programme nucléaire iranien et que cela a affecté la conduite des négociations.

Dans le même temps, les Européens paraissent avoir sous-estimé les enjeux politiques liés, pour l'Iran, à ces négociations. Les Européens se sont ouvertement placés dans une logique de « la carotte et du bâton », peu appréciée de leurs interlocuteurs, et ils n'ont pas suffisamment distingué le temps de la négociation et celui de l'invocation de la menace. Ils se sont vite heurtés à l'impossibilité pratique d'offrir des contreparties substantielles aux Iraniens. Ces derniers souhaitaient en effet voir levés les différents obstacles leur interdisant l'accès à la haute technologie, par exemple dans le domaine aéronautique, mais les Européens étaient, en ce domaine, totalement dépendants de la bonne volonté des Etats-Unis, peu enclins à lever ou à atténuer leurs sanctions unilatérales. Dans ces conditions, les Européens ont eu tendance à laisser traîner les négociations, avant de formaliser des propositions qui ont été jugées décevantes, puis rejetées par les Iraniens. Il était par ailleurs illusoire de penser que les Iraniens accepteraient de renoncer définitivement à la technologie de la centrifugation, alors qu'ils ont toujours très clairement écarté cette éventualité, quelle que soit l'issue des négociations, et qu'ils ont insisté sur le caractère temporaire de la suspension des activités liées à l'enrichissement.

M. François Nicoullaud a précisé que s'il soulignait particulièrement la part européenne dans l'échec des négociations, l'Iran portait aussi de lourdes responsabilités. En présentant à l'opinion publique le programme nucléaire comme un enjeu de souveraineté essentiel, les autorités iraniennes lui ont notamment donné une dimension symbolique aussi forte que la nationalisation des compagnies pétrolières par Mossadegh dans les années 1950. Elles ont de ce fait réduit leur marge de manoeuvre.

En conclusion sur ce point, M. François Nicoullaud a considéré qu'en dépit de ce constat d'échec, dont la résolution du Conseil de sécurité tirait la conséquence, la perspective d'une « négociation de la dernière chance » ne devait pas être définitivement écartée. Une telle négociation devrait mettre entre parenthèses l'application des sanctions internationales, être menée, comme du côté iranien, par une personnalité s'y consacrant à plein temps et se fixer une échéance précise, de l'ordre de 6 mois. Elle mériterait d'être tentée avant tout renforcement des sanctions ou recours à la force, étant précisé qu'en tout état de cause, l'objectif de la communauté internationale doit rester d'empêcher l'Iran d'accéder à l'arme nucléaire.

A la suite de cet exposé, M. Jean François-Poncet s'est demandé si le contexte politique intérieur, et notamment un affaiblissement du Président Ahmadinejad, voire sa démission, pourrait influer sur le cours du dossier nucléaire. Il a également évoqué l'impact des sanctions internationales, notamment des mesures d'ordre bancaire prises par les Etats-Unis, et l'inquiétude qu'elles semblent susciter au sein même du Parlement iranien. Il s'est montré perplexe sur la nature des propositions occidentales susceptibles d'amener les Iraniens à assouplir leurs positions, que ce soit en matière d'accès aux technologies nucléaires ou sur le plan de la politique régionale. Enfin, il s'est interrogé sur la possibilité et l'opportunité de procéder à des frappes aériennes pour détruire les sites nucléaires iraniens.

M. André Rouvière a observé que la presse occidentale imputait aux Iraniens, et non aux Européens, la responsabilité de la prolongation des négociations sur le dossier nucléaire. Il a marqué son scepticisme sur la possibilité, pour l'Iran et les Etats-Unis, de trouver un terrain d'entente. Il a souhaité savoir si l'hypothèse d'une action militaire israélienne pouvait être retenue.

Mme Hélène Luc a demandé si la proposition de la Russie de réaliser sur son territoire l'enrichissement de l'uranium iranien était toujours d'actualité. Elle a évoqué les récentes déclarations à Paris du directeur général de l'Agence internationale de l'énergie nucléaire (AIEA), M. El Baradei, insistant sur les risques liés à la prolifération nucléaire et sur la nécessité de trouver un compromis tenant compte des préoccupations régionales de l'Iran, ce dernier pouvant d'ailleurs être facilité par des progrès sur les autres dossiers de la région, comme le Liban et le conflit israélo-palestinien.

M. Robert Bret s'est inquiété des informations témoignant de la préparation d'une action militaire contre l'Iran, tant aux Etats-Unis qu'en Israël. Il a regretté l'absence de tout signe de reprise du dialogue et a estimé à ce sujet que l'envoi d'un émissaire, envisagé par la France, aurait peut-être pu constituer un geste positif.

En réponse à ces interventions, M. François Nicoullaud a apporté les précisions suivantes :

- l'Iran n'a jusqu'à présent pas cédé aux différentes pressions de la communauté internationale ; la perspective de sanctions plus dures inquiète incontestablement la population et l'on ne peut exclure, de ce fait, un assouplissement de la position des autorités gouvernementales ; pour autant, il est vraisemblable que le président actuel ira jusqu'au bout de son mandat, en 2009, et que le retour au pouvoir des « pragmatiques » n'est pas encore d'actualité ;

- sur le plan technique, les concessions éventuelles pourraient porter sur l'accès à la technologie de la centrifugation ; il serait imaginable que l'Iran soit autorisé à mener des activités de recherche et de développement dans ce domaine et à disposer d'une capacité limitée, de l'ordre de 500 centrifugeuses par exemple ; il importerait bien entendu que le territoire iranien soit pleinement soumis aux contrôles de l'AIEA, que l'enrichissement de l'uranium n'aille pas au-delà de 5 %, niveau requis pour le combustible utilisé par les installations nucléaires civiles, enfin que l'uranium enrichi soit transféré dans un autre pays, par exemple en Russie, puisque cette dernière doit fournir le combustible pour la centrale iranienne de Bushehr ; le cumul de ces différentes garanties permettrait de déceler immédiatement toute tentative iranienne d'utiliser les capacités de centrifugation pour s'orienter vers un programme de nature militaire ; les risques d'une telle solution ne sont pas plus grands que ceux d'une renonciation officielle de l'Iran à l'enrichissement d'uranium ; même dans ce second cas en effet, les Iraniens pourraient tenter de développer un programme clandestin. Mais les contrôles de l'AIEA ont fait de grands progrès et ce programme clandestin, s'il prenait de l'ampleur, serait rapidement détecté ;

- les Iraniens s'étaient initialement fixé une échéance de l'ordre de 6 mois à un an pour la durée des négociations, car ils ne souhaitaient pas prolonger outre mesure la suspension de leurs activités ; ce sont les Européens qui les ont amenés à prolonger ces négociations sur une durée d'environ deux ans ;

- il n'est pas aujourd'hui démontré que les dirigeants iraniens veulent absolument réaliser une arme nucléaire, car pour au moins une partie d'entre eux, une telle politique créerait beaucoup plus de difficultés au pays qu'elle ne lui apporterait d'avantages ; en revanche, l'intérêt du régime pour un programme pacifique évolué s'explique au moins partiellement par les possibilités qu'un tel programme offrirait d'accéder rapidement à une capacité nucléaire militaire en cas de menace vitale ;

- les Iraniens n'ont jamais été séduits par la proposition d'effectuer l'enrichissement de l'uranium en Russie, dans la mesure où cette solution privait leurs ingénieurs et techniciens de toute possibilité d'accéder à la technologie de la centrifugation ;

- il ne serait pas réaliste de vouloir lier le dossier nucléaire à une négociation plus globale portant sur les questions régionales, comme l'Irak, le Liban ou la Palestine ; le dossier nucléaire touche à des questions suffisamment circonscrites pour continuer de faire l'objet d'une négociation spécifique ;

- il est logique que l'armée israélienne procède à des travaux de planification incluant des frappes aériennes sur l'Iran ; il est toutefois probable qu'Israël préfèrerait de beaucoup que les Etats-Unis se chargent d'une telle mission, tant pour des raisons politiques que pour des raisons militaires, la multiplicité des sites et leur éloignement rendant une telle opération très complexe pour l'aviation ou la marine israélienne ; l'administration américaine, pour sa part, semble mettre actuellement en place les mesures préparatoires lui permettant d'agir si elle en prenait la décision ;

- tant que l'Iran accepte les contrôles de l'AIEA sur ses activités nucléaires, l'option du recours à la force n'apparaît pas légitime ; il en irait autrement si l'Iran parvenait effectivement à faire fonctionner le nombre de centrifugeuses nécessaire à la production de matière fissile pour des armes nucléaires, hors de tout contrôle de l'AIEA ou, à plus forte raison, après un retrait du traité de non-prolifération (TNP) ;

- l'envoi éventuel d'un émissaire français n'aurait rien de choquant ; les Etats-Unis discutent quant à eux avec la Corée du Nord, qui est allée très au-delà de l'Iran, puisqu'elle a déjà procédé à un essai nucléaire.

M. François Nicoullaud a ensuite évoqué le rôle de l'Iran sur le plan régional. Il a précisé que le regain d'activisme fréquemment souligné, que ce soit au Liban, en Irak ou dans l'ouest de l'Afghanistan, était surtout le fait des pasdarans, dont les initiatives échappaient au contrôle du gouvernement et qui se sentaient investis d'une mission sacrée au service de l'expansion de la révolution islamique. Il a toutefois souligné que le Hezbollah, comme la communauté chiite d'Irak, constituaient des acteurs autonomes et ne pouvaient aucunement être considérés comme de simples instruments aux mains de l'Iran. De ce point de vue, la notion d'arc chiite au travers du Moyen-Orient lui a paru aller très au-delà de la réalité.

Mme Maryse Bergé-Lavigne a souligné le caractère souvent schématique des visions occidentales sur l'Iran. Elle a demandé si l'Iran souhaitait réellement exercer un leadership sur le monde musulman et considérait les pays arabes comme des puissances hostiles.

M. Robert Bret a estimé qu'il importait de sortir l'Iran de la logique de l'affrontement pour l'inclure dans un processus politique reconnaissant son rôle régional.

M. Jean François-Poncet s'est interrogé sur les causes de l'échec des partisans du Président Ahmadinejad lors des dernières élections locales.

M. François Nicoullaud a estimé qu'au plan régional, tout renforcement excessif de l'influence iranienne susciterait immédiatement, et de manière naturelle, l'apparition de contrepoids, ce qui rend le régime prudent vis-à-vis de toute affirmation trop prononcée de ses ambitions régionales. Il a également précisé que la population iranienne était relativement peu sensible à la situation au Liban ou en Palestine. Il a souligné l'intérêt de ramener l'Iran au sein de la communauté internationale.

S'agissant des résultats des dernières élections locales, il a considéré qu'ils s'expliquaient largement par le mécontentement de la population face à la dégradation de la situation économique et aux promesses non tenues. Il a également estimé que la population désapprouvait les rhétoriques de l'invective et de l'imprécation pratiquée par le Président Ahmadinejad.

Audition de M. Bernard Hourcade, directeur de recherche au CNRS, sur l'Iran

La commission a procédé à l'audition de M. Bernard Hourcade, directeur de recherche au CNRS, sur l'Iran.

M. Bernard Hourcade a tout d'abord souligné que l'opposition entre tradition et modernité, souvent invoquée à propos de l'Iran, ne saurait être considérée comme une clé de lecture pertinente. Il a proposé une grille d'analyse reposant sur les trois « i », que sont l'Iran et le nationalisme iranien, l'Islam dans un pays géré par les mollahs depuis 25 ans et l'international.

Il a évoqué plusieurs personnalités politiques iraniennes au travers de cette grille d'analyse, aucun interlocuteur iranien ne pouvant, par exemple, être vu selon le seul prisme de son « occidentalisation » supposée mais comprenant toujours une part de nationalisme et de relation avec les dignitaires religieux du régime. Il a considéré que la question nucléaire pouvait être perçue à 60 % comme une question internationale et un enjeu de recherche et de technologie, à 25 % comme un enjeu de nationalisme et, pour le reste, seulement comme un enjeu lié à l'Islam. Il convient de ne pas se laisser aveugler par une lecture de cette question qui serait seulement religieuse.

Il a estimé que l'Iran se trouvait en situation de faiblesse, qu'il s'agisse de sa position internationale, de ses capacités techniques ou de sa situation interne.

Sur le plan international, si les sanctions économiques jusqu'alors imposées par la communauté internationale étaient relativement inefficaces, elles n'en étaient pas moins ressenties par l'Iran comme une condamnation morale et une atteinte à l'honneur du pays.

Sur le plan technique, les échéances annoncées pour la mise en oeuvre de 3 000 centrifugeuses dans le cadre du programme nucléaire ont été régulièrement repoussées, ce qui montre que l'Iran n'est pas en mesure d'acquérir une capacité d'enrichissement autonome avant deux ans. Cette situation pourrait conduire l'Iran à réviser sa tactique sur le dossier nucléaire.

Enfin, sur le plan intérieur, le pays rencontre de grandes difficultés. Le président actuel, élu sur un programme de réformes économiques, n'a obtenu aucun résultat et, à l'heure actuelle, n'est pas capable de présenter le budget de l'Etat devant le Parlement, dans un contexte de baisse des prix du pétrole. Les investissements nécessaires au développement du secteur pétrolier n'ont pas été réalisés depuis 25 ans. La production baisse de 300 000 barils/jour par an, ce qui situe la production iranienne à moins de quatre millions de barils par jour (ce qui était l'objectif de 1990) et ce, dans un contexte de forte croissance de la demande intérieure de pétrole. Faute de raffineries, l'essence consommée par l'Iran provient, pour 40 %, d'importations. A l'horizon de 2010-2012, la baisse des revenus pétroliers, conjuguée à la hausse de la demande intérieure, devrait placer le pays devant des échéances financières catastrophiques. L'industrie locale est quasi inexistante et les entreprises internationales sont faiblement implantées. Les expatriés occidentaux et leurs familles ne représentent pas plus de 3 000 personnes.

Parallèlement, la société iranienne est en pleine expansion. Le recul des populations illettrées et rurales fait place à une progression constante de la population éduquée et urbaine, tendance que la révolution khomeiniste de 1979 n'a pas remis en cause.

La proportion des femmes dans les universités est aujourd'hui supérieure à celle des hommes et le taux de fécondité, en baisse depuis 1986, s'élève aujourd'hui à 1,98 enfant par femme. Les Iraniens éduqués, parfaitement au fait des ressorts du développement économique et de la culture internationale, n'en ont cependant qu'une expérience limitée, seuls 2 % de la population ayant des contacts avec la diaspora. Un fossé s'est creusé entre les attentes sur le terrain économique et les résultats obtenus par le régime.

M. Bernard Hourcade a ensuite évoqué la géographie électorale de l'Iran. Il a indiqué que le vote en faveur de l'actuel président se concentrait dans le centre du pays, alors que les régions périphériques sunnites ou non persanophones avaient voté contre M. Ahmadinejad, contrairement à la localisation du vote pour et contre M. Khatami en 2001. Dans ce contexte, l'élection de M. Ahmadinejad en 2005, peut être considérée comme un « accident électoral », dans un pays dont la constitution, calquée sur celle de la France, permet malgré tout un débat politique. Le président Ahmadinejad avait bénéficié d'une grande dispersion des voix et du rejet de l'ancien président Rafsandjani, considéré comme le symbole de la corruption et de la « mollahcratie ». Lors des élections locales de décembre 2006, plus de 50 % des votants ont soutenu le courant mené par l'actuel maire de Téhéran, M. Qalibaf, militaire entré tardivement en politique et qui fut un des héros de la guerre contre l'Irak. La nouvelle génération des « Gardiens de la révolution » qui arrivent aujourd'hui au pouvoir est très hétérogène. Elle n'est pas, par principe, anti-occidentale. Les anciens preneurs d'otages de l'ambassade américaine en 1979 peuvent ainsi être considérés comme des interlocuteurs valables, dans la mesure où ceux-ci, ayant été des étudiants tiers-mondistes formés aux Etats-Unis, se réclamaient d'un Iran certes islamiste, mais moderne. Ils représentent aujourd'hui un courant modéré et pragmatique. Nombre d'entre eux ont été, par la suite, des partisans du président Khatami. M. Bernard Hourcade a souligné l'antagonisme opposant les combattants du front de la guerre Iran-Irak, au nombre desquels figure M. Qalibaf, à ceux qui, à l'instar de M. Ahmadinejad, avaient fait une carrière dans les services de renseignements intérieurs.

Evoquant le dossier nucléaire, M. Bernard Hourcade a considéré que le caractère de puissance nucléaire de l'Iran était désormais un fait, le pays disposant de la capacité technique et scientifique d'enrichir l'uranium. La destruction totale du programme nucléaire iranien par des moyens militaires est illusoire. L'application du protocole additionnel au Traité de non-prolifération de 2003 et 2005 a permis que ce programme se déroule sous le contrôle des inspecteurs de l'Agence internationale pour l'énergie atomique (AIEA), ce qui n'est plus le cas actuellement. En l'absence de toute avancée dans les négociations, ce programme se poursuit hors de tout contrôle international. Une action militaire serait une erreur majeure conduisant à une « bunkerisation » de l'Iran susceptible de vivre sur ses réserves et avec le risque que le pays développe, en dix ans, une capacité atomique militaire.

Devant l'impossibilité technique de parvenir à un résultat dans des délais brefs, la majorité de l'opposition iranienne considère l'objectif d'acquisition d'une capacité nucléaire militaire comme un suicide économique. Au contraire, l'annonce, pour le Nouvel an iranien (le 21 mars 2007), d'une avancée technologique symbolique, comme celle de la mise en service opérationnelle d'une capacité de centrifugation limitée (500 centrifugeuses), permettrait peut-être de contenter le pôle nationaliste et de sauver la face en cachant ainsi l'échec technologique. Dans cette hypothèse, les négociations pourraient reprendre en acceptant le programme dans son état d'avancement actuel mais en le plaçant immédiatement sous contrôle de l'AIEA, ce qui permettrait de satisfaire l'exigence d'un arrêt vérifiable et durable du programme militaire et d'éviter sa poursuite clandestine. L'Iran devrait alors appliquer totalement le protocole additionnel du Traité de non-prolifération.

M. Bernard Hourcade a observé que cette option faisait débat entre les Etats-Unis et l'Europe. Il a estimé que l'Iran ne contrôlait plus directement le Hezbollah, dont les capacités militaires sont affaiblies au Liban, et que la préférence de Téhéran allait à une situation sous contrôle en Irak et non au désordre qui risquerait de se propager. L'Iran, conscient de ses faiblesses internationales, économiques et politiques, pourrait accepter une négociation, permettant le maintien de la République islamique.

Il a souligné, en conclusion, que le débat était ouvert en Iran mais aussi à l'échelle internationale. En France, le dossier suscite des clivages qui traversent les partis politiques et en rendent la gestion difficile. Il a ainsi regretté que la reprise d'initiative de la France ait été compromise par une évocation prématurée dans la presse de l'envoi d'un émissaire.

Un débat s'est instauré avec les commissaires.

M. André Dulait a souhaité des précisions sur l'état d'avancement du projet d'implantation de l'entreprise Renault en Iran. Il a souligné la contradiction entre les déclarations des religieux, selon lesquelles « le nucléaire militaire serait contraire à l'Islam » et la poursuite du programme nucléaire sur le terrain. Il s'est interrogé sur les relations entre la Turquie et l'Iran, ainsi que sur l'effectif des différentes forces de sécurité.

M. Bernard Hourcade a souligné que le cas de Renault illustrait moins l'embargo américain appliqué à l'Iran, que « l'auto embargo » que s'inflige le pays, les Iraniens nationalistes étant hostiles aux implantations étrangères qui tireraient profit de leurs activités dans le pays. Pour ce qui concerne Renault, le projet a été soutenu par les partenaires iraniens qui avaient réalisé des investissements importants, notamment à Tabriz. S'agissant de la licéité de l'arme atomique au regard de l'Islam, de nombreux islamistes considèrent que le rapport entre le coût et les bénéfices du programme nucléaire militaire est trop élevé et que la priorité doit être donnée aux échéances énergétiques civiles à l'horizon 2020. Le pays, qui compte 70 millions d'habitants, est un géant dans la région et n'a pas besoin de la bombe atomique pour s'affirmer comme tel. La feuille de route annoncée en 2005 par Téhéran sur le programme nucléaire consiste à se doter de capacités d'enrichissement, puis à signer le protocole additionnel au TNP. Cette décision pourrait faire l'objet d'une annonce d'ici la fin du mois de mars. Ce scénario est considéré comme crédible par le directeur général de l'AIEA, M. El Baradei. Par ailleurs, l'Iran et la Turquie entretiennent des rivalités, mais s'accordent sur la question du Kurdistan. Cependant, a souligné M. Bernard Hourcade, la grille ethnique, trop utilisée, en particulier aux Etats-Unis, n'est pas pertinente pour l'analyse du pays. Les Kurdes font certes primer leur nationalité, mais le clivage entre Sunnites et Chiites est devenu plus important. Il faut surtout tenir compte de l'évolution « moderne » de la population et de la nouvelle classe moyenne qui domine le pays. Les effectifs des Pasdarans s'élèvent à environ 150 000, ceux de l'armée à environ 300 000 personnes, quant aux Bassidjis, ils constituent une force populaire de volontaires et non de combattants dont l'effectif, variable, ne peut être précisément évalué.

M. Jean François-Poncet s'est déclaré surpris par l'accent mis par l'orateur sur la faiblesse de l'Iran. Il a relevé que ce qualificatif n'était pas précisément celui qu'utilisaient les voisins de ce pays. Il a souhaité des précisions sur le clivage entre le chiisme et le sunnisme, tel que présenté dans le discours des autorités jordaniennes et saoudiennes sur le développement du « croissant chiite ». Il a considéré que, dans l'hypothèse d'un éclatement de l'Irak, ce clivage serait pertinent. Il a estimé que l'argument de la faiblesse de l'Iran pourrait contribuer à conforter les thèses des Etats-Unis en faveur d'une chute du régime.

M. Bernard Hourcade a concédé que son propos pouvait apparaître comme paradoxal, mais que l'Iran était une grande puissance régionale par défaut et qu'il avait toujours suscité la crainte de ses voisins. Le fait chiite est un fait objectif et ancien en Iran, mais aussi dans d'autres pays du Moyen-Orient. Les évolutions actuelles portent sur l'arrivée au pouvoir de Chiites dans des pays gouvernés jusqu'à présent par une minorité sunnite. L'opposition entre arabes et persans s'est ainsi déplacée vers une opposition entre Chiites et Sunnites. L'Iran peut certes utiliser cette géographie culturelle, mais ses moyens d'action restent limités. Le Hezbollah n'est pas seulement un agent de l'Etat iranien. L'arc chiite existe, mais il n'est pas nouveau. L'approfondissement du clivage entre Sunnites et Chiites nuirait au premier chef à l'Iran. L'Iran est un pays fort « par nature », mais la République islamique est actuellement affaiblie malgré son discours.

Le régime est profondément enraciné et l'on ne peut espérer sa chute à brève échéance. Il est vraisemblable que le président Ahmedinejad, en dépit d'un affaiblissement très réel de sa position, ira jusqu'au terme de son mandat, en 2009. Mais une recomposition politique est envisageable autour d'hommes tels que Khatami et Qalibaf. Un effondrement de l'Iran reproduirait vraisemblablement la situation irakienne. Des pressions politiques, diplomatiques, économiques ou encore culturelles sont préférables à une attaque frontale. La politique américaine a le défaut de vouloir aller trop vite et de ne pas prendre suffisamment en compte les réalités.

M. Josselin de Rohan s'est interrogé sur l'efficacité des sanctions économiques et financières, ainsi que sur l'évocation dans la presse de l'initiative du Président de la République d'envoyer un émissaire à Téhéran.

M. Robert Bret s'est interrogé sur les initiatives politiques envisageables face à une vision simpliste et réductrice de l'Iran.

M. Bernard Hourcade a rappelé que l'Iran était sous embargo depuis 25 ans, ce qui montre que l'arme économique a une efficacité marginale. En tant que pays en développement, l'Iran peut supporter des pressions plus fortes. Certains Etats, à l'exemple du Venezuela, de la Chine et de la Russie, sont susceptibles d'offrir une aide économique, tandis que la population, bien que mécontente, s'est accoutumée à une certaine médiocrité de son niveau de vie. Les entreprises internationales connaissent le potentiel du pays, mais le dossier nucléaire bloque toutes les initiatives, alors que certains en Iran ne souhaitent pas la venue d'entreprises étrangères et craignent notamment les évolutions sociales que ne manquerait pas d'entraîner la venue d'un nombre important d'expatriés. La sortie de la crise nécessiterait d'accepter l'Iran tel qu'il est dans ses trois composantes islamiste, nationaliste et scientifique, ainsi que l'état d'avancement du nucléaire iranien, et de privilégier la négociation. En France, le débat traverse les partis, mais ne bénéficie pas du suivi politique nécessaire, qui avait prévalu en 2003. L'Iran souhaite vraisemblablement des discussions discrètes et informelles permettant d'étudier les scénarios possibles de sortie de crise et de proposer des solutions aux négociations officielles. En tout état de cause, le statu quo est la pire des situations.

L'ancien vice-ministre de la Défense aurait fait défection

L'ancien vice-ministre de la Défense aurait fait défection

Disparu depuis plusieurs semaines, Ali Reza Asgari serait en train de livrer des informations aux services de renseignements américains ou israéliens, selon le Washington Post.

Ali Reza Asgari, un ancien vice-ministre de la Défense iranien qui a dirigé la garde révolutionnaire, a quitté son pays et collabore avec des agences de renseignements occidentales en leur fournissant des informations sur le mouvement du Hezbollah et ses liens avec l'Iran, rapporte le Washington Post.

Ali Reza Asgari a disparu le mois dernier lors d'une visite en Turquie. Des responsables iraniens ont indiqué mercredi qu'il avait pu être enlevé par des agents israéliens ou américains. Selon le responsable américain, Asgari coopère de son plein gré. Sans révéler où se trouvait Asgari ni qui l'interrogeait, il a clairement annoncé que les services de renseignements américains avaient pleinement accès aux informations qu'il détenait.

Asgari a été membre du gouvernement iranien jusqu'au début 2005 sous la présidence de Mohammad Khatami. Sa carrière laisse penser qu'il a une très bonne connaissance des infrastructures de sécurité nationales de l'arsenal conventionnel dont dispose l'Iran et de ses liens avec le Hezbollah dans le Sud-Liban. Des responsables iraniens ont indiqué qu'Asgari n'était pas impliqué dans le programme nucléaire de l'Iran. D'anciens responsables en lien avec le Mossad ont souligné mercredi qu'Asgari avait joué un rôle clé dans l'établissement du Hezbollah dans les années 1980, à l'époque du bombardement d'infrastructures militaires américaines à Beyrouth.

L'agence de presse officielle iranienne, l'IRNA, a rapporté les propos du chef de la police, le général de brigade Ahmadi Moqaddam, selon lequel Asgari a probablement été enlevé par des agents au service d'agences de renseignements occidentales. Le journal israélien Ha'Aretz dit qu'il se trouve aux Etats-Unis. Un autre représentant américain, qui a tenu à garder l'anonymat, a nié cette information et laissé entendre que la disparition d'Asgari avait été orchestrée par les Israéliens. Le porte-parole du Conseil de sécurité nationale du président Bush s'est refusé à tout commentaire.

Le gouvernement israélien réfute tout lien avec Asgari. "A ma connaissance, Israël n'a absolument rien à voir avec cette disparition" a déclaré Mark Regev, porte-parole du ministère des Affaires étrangères israélien.

Un responsable iranien a indiqué, sous couvert d'anonymat, que les services de renseignements iraniens ne savaient pas avec certitude où se trouvait Asgari et qu'il avait peut-être reçu de l'argent, probablement de la part des Israéliens, pour quitter le pays. Il a ajouté qu'Asgari était supposé être en Europe. "Cela fait quatre ou cinq jours qu'il a été mis à l'écart", a-t-il ajouté.

Dafna Linzer
The Washington Post

jeudi, mars 08, 2007

Lancement d'un nouveau billet de banque avec logo nucléaire

L'Iran va lancer un nouveau billet de banque, d'une valeur de 50'000 rials, portant un logo nucléaire et illustrant les progrès du programme atomique. Le nouvelle coupure, dont le montant représente un peu moins de sept francs, sera la plus élevée disponible.

Le billet porte au verso un dessin d'un atome autour duquel orbitent des électrons, et accompagné d'un hadith (parole sacrée) du Coran disant: "Si la science existe dans cette constellation, les hommes de la Perse l'atteindront". Le recto est lui orné, comme toutes les coupures iraniennes, d'un portrait du fondateur de la république islamique, l'ayatollah Rouhollah Khomeyni.

Le chef de l'imprimerie de la Banque centrale a démenti tout lien entre l'émisson de cette nouvelle coupure et la hausse des prix à la consommation. Les nouvelles coupures seront mises en circulation le 12 mars, peu avant la célébration du nouvel an iranien, qui commence le 21 mars.

Automobile : Lancement de la commercialisation de la Logan en Iran

Le constructeur automobile Français Renault a annoncé vendredi le lancement, à partir d'aujourd'hui, de la commercialisation en Iran de la voiture à bas coût la Logan.

Ce véhicule sera commercialisé sous la marque Renault et sous le nom de Tondar-90, indique un communiqué de Renault, précisant que les Logan seront assemblées par les constructeurs iraniens, Iran Khodro et Saipa.

Le groupe français, dont les Logan sont déjà fabriquées en Roumanie, au Maroc, en Russie et en Colombie, estime à 150.000 véhicules la capacité initiale de production dans chacun des deux sites iraniens.

La Logan sera proposée en Iran à partir de 6.750 euros dans trois finitions, précise Renault, qui juge très dynamique le marché de l'automobile dans ce pays avec la vente de près d'un million d'unités en 2006.

Les véhicules de moins de 8.000 euros représentaient 50% du marché iranien en 2006, selon le constructeur automobile français.

USA: la Chambre pourrait renforcer les sanctions contre l'Iran

USA: la Chambre pourrait renforcer les sanctions contre l'Iran
AFP 06.03.07


La Chambre des représentants américaine pourrait prochainement renforcer le régime de sanctions économiques contre l'Iran, en renforçant de fait les punitions encourues par les compagnies pétrolières étrangères qui investissent dans la République islamique.

Le président démocrate de la commission des Affaires étrangères Tom Lantos a annoncé mardi le dépôt dans la semaine d'un projet de loi "contre la prolifération (nucléaire) en Iran", destiné principalement, a-t-il dit, à empêcher l'Iran d'obtenir des armes nucléaires ou les moyens d'en produire.

"Mon projet de loi entraînera une croissance exponentielle de la pression économique appliquée contre l'Iran, et appuiera nos efforts diplomatiques en renforçant la loi sur les sanctions iraniennes", a déclaré M. Lantos lors d'une audition parlementaire consacrée à la République islamique en présence du numéro trois du département d'Etat, Nicholas Burns.

"Si Shell concrétise son accord de 10 milliards de dollars avec l'Iran, elle sera sanctionnée. Si la Malaisie concrétise un accord similaire elle sera également sanctionnée et le même traitement sera réservé à la Chine et à l'Inde si elles concrétisent des accords avec l'Iran", a menacé M. Lantos.

Actuellement la législation américaine en vigueur prévoit de telles sanctions, comme une interdiction de faire des affaires aux Etats-Unis, mais l'administration a le pouvoir de les lever, ce qui réduit considérablement leur impact.

Ce projet de loi semble avoir d'autant plus de chance d'être adopté qu'il semble proche d'un texte annoncé par la numéro deux de la commission, la républicain Ileana Ros-Lehtinen, également destiné à renforcer le régime des sanctions.

Toutefois M. Burns a exprimé sa réticence devant ces initiatives, indiquant que Washington préfèrerait sanctionner directement Téhéran plutôt que des sociétés de pays alliés comme la pétrolière Shell.

Certes, a-t-il dit, "il est important que les sociétés n'investissent pas dans les secteur pétrolier et gazier iraniens", mais il a souligné que l'administration était déjà en contact avec les PDG de plusieurs sociétés, y compris la Shell, et que jusqu'à présent seul des "accords préliminaires" avaient été conclus, pas d'accords "à long terme".

"Nous pensons que les sanctions contre l'Iran ont un intérêt dissuasif (..) mais nous croyons aussi que si nous ciblons les sanctions sur nos alliés plutôt que sur l'Iran, cela n'est peut-être pas le meilleur moyen d'entretenir la coalition réunie depuis mars 2005" sur le dossier iranien, a-t-il dit.

dimanche, mars 04, 2007

La guerre économique de l’administration Bush contre l’Iran

La guerre économique de l’administration Bush contre l’Iran


par Peter Symonds

Mondialisation.ca, Le 14 fevrier 2007
WSWS


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Alors que les Etats-Unis continuent à renforcer leur flotte dans le golfe Persique, l’administration Bush a déjà entrepris la guerre économique contre l’Iran dans le but de ruiner le pays. L’aspect le plus connu de cette campagne est la tentative par le Trésor américain et d’autres agences gouvernementales américaines de forcer les gouvernements, les principales banques, les entreprises pétrolières et d’autres secteurs économiques de l’Europe et de l’Asie de mettre fin à leurs investissements, leurs prêts et autres arrangements financiers avec Téhéran.

Les exigences des Etats-Unis vont beaucoup plus loin que les sanctions limitées imposées par le Conseil de sécurité de l’ONU en décembre dernier en réponse au programme de développement nucléaire de l’Iran. Les Etats-Unis veulent frapper au cœur des rapports économiques que l’Iran a établi depuis au moins une dizaine d’années avec l’Europe et l’Asie. La campagne de l’administration Bush montre clairement que l’objectif principal de la confrontation avec Téhéran est le rétablissement de la domination américaine sur ce pays riche en pétrole et ce, aux dépens de ses rivaux. Les affirmations américaines selon lesquelles l’Iran fabrique des armes nucléaires et s’ingère dans l’Irak occupé par les Etats-Unis ne sont que des prétextes bien commodes.

Washington a déjà indiqué qu’il ferait pression pour durcir les sanctions lorsque le cas de l’Iran sera de nouveau étudié par le Conseil de sécurité de l’ONU le 21 février. Pendant ce temps, les responsables américains exploitent la menace d’une guerre imminente ainsi que les lois américaines, qui prévoient des sanctions légales contre les sociétés américaines ou étrangères qui investissent dans les réserves énergétiques iraniennes, dans le but de forcer les banques et des sociétés européennes à mettre fin à leurs relations avec l’Iran.

Vers la fin de janvier, les Etats-Unis ont concentré leur tir pour bloquer les tentatives iraniennes d’attirer le capital dont il a désespérément besoin pour améliorer et agrandir son infrastructure pétrolière et gazière. Un haut dirigeant d’une société européenne a dit au Washington Post qu’un responsable du département d’Etat américain l’avait carrément averti que l’Iran était « chaud et le deviendrait encore plus ». Un autre cadre a dit que « L’administration [américaine] met toute la pression dont elle est capable sur les sociétés étrangères et ne ménage pas ses efforts pour leur faire comprendre que ce serait une erreur que de continuer à faire des affaires avec [l’Iran]. »

Ce n’est pas une surprise de voir que les menaces et la brutalité de Washington suscitent le ressentiment dans les cercles patronaux et gouvernementaux d’Europe. Un consultant européen du secteur pétrolier a déclaré à Associated Press : « Toutes les sociétés pétrolières vous diront qu’elles reçoivent régulièrement la visite d’ambassadeurs américains dans leur pays… Personne en Europe ne va laisser passer l’occasion de faire des affaires avec l’Iran simplement pour faire plaisir aux Américains. »

Le fait de cibler les sociétés pétrolières avait pour but de miner une rencontre qui s’est tenue début février à Vienne et qui était organisée par la société pétrolière nationale iranienne NIOC désireuse de proposer de nouveaux blocs de pétrole aux investisseurs étrangers. Malgré les menaces américaines, plus de 200 représentants d’au moins cinquante compagnies pétrolières internationales étaient présents. Juste une semaine auparavant, Shell le géant anglo-néerlandais de l’énergie avait passé outre les pressions américaines et signé un contrat de plusieurs milliards avec l’Iran pour développer un projet de gaz naturel liquéfié (LNG) dans le gisement de South Pars.

L’administration Bush n’a pas l’intention de laisser de tomber. Prenant la parole le 7 février à Munich, l’ambassadeur américain à l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA), Gregory Shulte, a déclaré : « Je serai franc : du point de vue des Etats-Unis, le Conseil de sécurité a pris trop de temps et a fait trop peu. Les pays européens peuvent faire plus, et devraient faire plus. »

Shulte a spécifiquement pointé du doigt les prêts gouvernementaux visant à faciliter le commerce : « Pourquoi, par exemple, les pays européens utilisent-ils des crédits d’exportation pour subventionner les exportations vers l’Iran ? Pourquoi, par exemple, les gouvernements européens ne prennent-ils pas davantage de mesures pour décourager les investissements et les transactions financières ? » Selon les Etats-Unis, les gouvernements européens ont fourni à l’Iran 18 milliards dollars de garanties de prêts en 2005 : 6,2 milliards de dollars de l’Italie, 5,4 milliards de dollars de l’Allemagne, 1,4 milliard de dollars de la France et 1 milliard de dollars de l’Espagne et de l’Autriche. Les Etats-Unis font aussi pression sur les grandes banques internationales pour qu’elles coupent les liens avec l’Iran.

Le prêt de crédits commerciaux par les gouvernements est une pratique internationale très répandue. Cela n’est pas illégal et ne contrevient pas aux clauses des sanctions américaines contre l’Iran. La détermination de Washington à empêcher les relations économiques avec Téhéran vise autant ses rivaux que l’Iran lui-même. Au cours de la dernière décennie, l’Union européenne (UE) est devenue le plus important partenaire commercial de l’Iran en vendant des machines, de l’équipement industriel et d’autres produits en échange de réserves énergétiques. Les Etats-Unis en revanche ne font presque pas de commerce avec l’Iran, ayant pratiquement maintenu un blocus économique sur le pays depuis que le shah Reza Pahlavi, proche allié des Etats-Unis, a été évincé en 1979.

Les gouvernements et les entreprises de l’Europe ne sont pas les seuls à être visés. La Chine se voit menacée de représailles par les Etats-Unis à cause de ses accords commerciaux avec l’Iran. Le plus important producteur de pétrole offshore de l’Iran et de la Chine, CNOOC, a annoncé en décembre un accord préliminaire évalué à 16 milliards de dollars pour développer le gisement gazier offshore iranien de North Pars. Une commission du Congrès américain enquête déjà sur cet accord pour déterminer si des sanctions économiques ne pourraient être imposées à CNOOC en vertu de la Loi sur les sanctions contre l’Iran, récemment renouvelée.

L’Inde a été menacée par la même loi, qui fournit aux Etats-Unis le droit de sanctionner toute compagnie étrangère qui investirait plus de 40 millions de dollars dans le secteur de l’énergie en Iran. L’ambassadeur américain en Inde, David Mulford, a annoncé de manière significative qu’il avait informé le ministre des Affaires étrangères de l’Inde, Pranab Mukherjee, de cette loi avant son voyage en Iran la semaine dernière. L’Inde participe à un important projet de pipeline gazier de 7 milliards de dollars, qui part d’Iran et traverse le Pakistan, projet auquel se sont opposés les Etats-Unis.

L’administration Bush a aussi fait pression sur la Russie pour qu’elle cesse la construction de l’usine nucléaire iranienne de Bushehr, qui est pratiquement achevée. Après l’achèvement du contrat de 1 milliard de dollars, la Russie pourrait obtenir d’autres importants contrats, car Téhéran prévoit de construire des réacteurs nucléaires additionnels. Washington a aussi sévèrement critiqué la vente d’armes russes à l’Iran, y compris son achat récent de systèmes de missiles anti-aériens sophistiqués.

Le prix du pétrole comme arme

Le mois dernier, un commentaire dans le Times de Londres intitulé : « Une nouvelle stratégie américaine pour l’Iran émerge de Davos », a qualifié l’offensive économique de l’administration Bush de « mouvement de tenailles économiques consistant en une diplomatie financière d’un côté et en une politique énergétique de l’autre ».

La première moitié des tenailles vise à isoler l’Iran de la finance et du commerce internationaux. L’Iran est le quatrième producteur mondial de pétrole, mais il a désespérément besoin d’investissements pour moderniser et développer ses infrastructures. D’après cet article, la seconde moitié consiste à faire baisser volontairement les prix mondiaux du pétrole afin de miner les revenus iraniens provenant des exportations pétrolières. Le principal allié de l’administration Bush dans cette tentative de faire baisser les prix du pétrole est l’Arabie saoudite, qui considère l’Iran comme son plus grand rival régional et qui, en tant que producteur mondial le plus important, est en mesure d’augmenter sa production afin de maintenir les prix bas.

L’article du Times explique : « L’économie de l’Iran dépend entièrement des ventes du pétrole, qui comptent pour 90 pour cent des exportations et approximativement pour la même part du budget gouvernemental. Depuis juillet dernier, le prix du baril de pétrole a chuté de 78 dollars à un prix légèrement supérieur à 50 dollars, réduisant d’un tiers les revenus du gouvernement. Si le prix du pétrole baissait pour atteindre un montant compris entre 35 dollars et 40 dollars, l’Iran se trouverait en déficit, et étant donné que l’accès au marché de prêts étrangers est bloqué par les sanctions de l’ONU, la capacité du gouvernement de continuer à financer ses mandataires étrangers s’épuiserait rapidement. L’Iran a réagi à cette menace en demandant à l’OPEC de stabiliser les prix, mais en pratique, un seul pays a suffisamment d’influence pour le faire et c’est l’Arabie saoudite.

« Au début du mois, dans une déclaration très significative, Ali al-Naimi, le ministre saoudien du Pétrole, s’est publiquement opposé à l’appel iranien pour une réduction de la production dans le but de freiner la chute des prix. Le discours de M. Naimi était présenté comme une question technique sans rapport avec la politique, mais il semble confirmer les avertissements privés du roi Abdullah que son pays allait tout tenter pour contrecarrer l’hégémonie iranienne partout dans la région, que ce soit au moyen d’une intervention militaire ou par l’intervention plus subtile de moyens économiques. »

Les coûts de production iraniens de 15 à 18 dollars le baril étant beaucoup plus élevés que les 2 à 3 dollars le baril de l’Arabie saoudite, la baisse du prix du baril touche donc beaucoup plus Téhéran que Riyad. L’Arabie saoudite a bien entendu, nié que son refus de réduire la production et d’augmenter les prix du pétrole était d’ordre politique. Le Times, cependant, n’est pas le seul à spéculer sur une stratégie délibérée des Etats-Unis et de l’Arabie saoudite visant à miner l’économie iranienne.

Commentant la chute des prix du pétrole, le New York Times notait le mois dernier que des motivations autres que purement commerciales « semblent avoir aussi été à l’œuvre, y compris le désir des Saoudiens de réprimer les ambitions de l’Iran dans la région. Quelle influence les Etats-Unis ont-ils exercée ? Cela reste une question qui demeure sans réponse. Le vice-président Dick Cheney a rencontré le roi Abdullah de l’Arabie saoudite à Riyad en novembre, mais son bureau refuse de dire si le pétrole a été un sujet de discussion. La Maison-Blanche soutient la politique énergétique de l’Arabie saoudite et le président Bush et son père sont proches du Prince Bandar bib Sultan, le ministre saoudien de la Sécurité nationale et ancien ambassadeur à Washington. »

Un conseiller saoudien à la sécurité, basé aux Etats-Unis, Nawaf Obaid, qui, comme Bandar bin Sultan, défend une politique saoudienne plus agressive pour bloquer l’influence iranienne, a ouvertement lancé l’idée dans un article du Washington Post de novembre d’utiliser le pétrole comme arme économique. « Si l’Arabie saoudite augmentait sa production et diminuait de moitié les prix du pétrole, le royaume pourrait encore financer ses dépenses courantes. Mais ce serait dévastateur pour l’Iran, qui fait face à des difficultés économiques même avec les prix élevés d’aujourd’hui », expliquait-il.

On ne sait pas dans quelle mesure un tel projet est actuellement mis en oeuvre. Mais ce qui est indéniable, c’est que l’administration Bush mène une offensive économique contre l’Iran dans le but de miner son économie et d’affaiblir le gouvernement tandis que les Etats-Unis préparent une agression militaire. Les objectifs plus larges de la stratégie économique et militaire sont les mêmes : établir la domination américaine sur l’Iran et ses réserves d’énergie, ce qui représente un élément de son plan d’hégémonie américaine sur tout le Moyen-Orient et l’Asie centrale.

Article original en anglais paru le 12 février 2007.


Peter Symonds est un collaborateur régulier de Mondialisation.ca. Articles de Peter Symonds publiés par Mondialisation.ca