samedi, janvier 16, 2010

2010 et le défi iranien

2010 et le défi iranien
Les échos du 04/01/10

Par Dominique MOÏSI, Conseiller spécial à l'IFRI

La première décennie de notre nouveau siècle se termine. Sur le plan géopolitique quels seront les événements et les évolutions les plus remarquables de l'année 2010 ? Sera-t-elle l'année de « la nouvelle révolution iranienne » ? L'année du « vrai retour » d'une Amérique qui, ayant dépassé avec succès le défi que constituait la réforme de son système de santé, peut enfin se projeter dans le monde avec confiance et détermination ? L'année de l'entrée dans un monde devenu pleinement multipolaire et où les puissances émergentes derrière la Chine acceptent enfin de prendre toutes les responsabilités qui désormais leur incombent ? L'année où l'Europe apprendra à harmoniser ses poli tiques avec les institutions dont elle dispose désormais, en particulier ses nouveaux instruments diplomatiques ?

De 2001 à 2007, de la chute des tours de Manhattan aux premiers frémissements de ce qui allait devenir la plus importante crise financière et économique depuis les années 1930, il existait comme un divorce entre les évolutions économiques et géopoli tiques. Les spécialistes de géopolitique apparaissaient comme des Cassandre et leur pessimisme, justifié, contrastait avec l'optimisme, sans doute excessif, de leurs collègues économistes. De 2007 à 2009, par étapes, les inquiétudes des économistes ont rejoint et même pendant de brefs instants largement dépassé les prévisions pessimistes des géopoliticiens. En 2010, ne va-t-on pas retrouver un divorce classique entre des économistes fondamentalement optimistes -« le pire est derrière nous » - et des spécialistes de géopolitique fondamentalement pessimistes -« le pire est devant nous » ? En 2008-2009, le pire a clairement été évité au moins sur le plan financier. Pendant cette même période, les progrès réalisés sur le plan géopoli tique n'ont-ils pas été marginaux par rapport aux aggravations constatées du Pakistan à l'Afghanistan, du réchauffement climatique devenu problème de sécurité au durcissement de la Russie, sinon de la Chine…

La crise iranienne en ce début d'année 2010 apparaît comme mûre, si l'on veut dire par là qu'elle est prête à entrer dans une phase nouvelle et imprévisible. N'y a-t-il pas comme le début d'une guerre civile larvée entre deux camps qui regroupent leurs forces ? L'affaiblissement du régime à l'intérieur, qui est indéniable depuis la confiscation des élections de juin 2009, s'accompagne de son durcissement à l'extérieur, qui se caractérise par un comportement de plus en plus irrationnel du régime en place. Nous ne sommes plus face aux finasseries de la diplomatie du bazar, mais face à l'imprévisibilité d'un régime aux abois. Devant cette situation, quel doit être le comportement de la communauté internationale ? Doit-elle attendre avec patience que le régime s'effondre de lui-même, convaincu qu'il n'en a plus pour très longtemps ? Il y a des dérives fascistes dans le régime iranien actuel, avec néanmoins une différence majeure avec l'Italie de Mussolini. Ce n'est pas le monde extérieur qui humilie la majorité des Iraniens, c'est le régime qui les domine avec son mélange de plus en plus intolérable de vulgarité et de brutalité. La « communauté internationale » doit-elle à l'inverse durcir le ton, pratiquer une politique de sanctions toujours plus dures, en disant bien au peuple iranien -et c'est difficile -que les sanctions visent le régime et non eux-mêmes, que nous sommes derrière eux et que leur souffrance est la nôtre ? Un discours peut-être impossible à tenir en ces termes, compte tenu de l'état des relations entre le monde occidental et l'Islam, et un discours qui ne correspond ni sur le fond ni sur la forme aux politiques privilégiées aujourd'hui par les Russes et les Chinois.

En réalité l'Amérique de l'après-réforme du système de santé, l'Europe de l'après-Lisbonne, la Chine de l'après-Copenhague, sans parler de l'Inde et de la Russie, se trouvent toutes confrontées au défi iranien. Comment renforcer l'opposition, affaiblir le régime et éloigner le calendrier d'un Iran nucléaire… et tout cela en évitant le recours pur et simple à la force militaire, une intervention qui risquerait de ressouder la population derrière le régime en place ? Bref, la quadrature du cercle, mais aussi le premier test d'un monde multipolaire qui doit inventer de nouvelles règles du jeu pour faire face au défi iranien.

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