lundi, octobre 10, 2016

L’Iran, un eldorado pavé de chausse-trappes pour les entrepreneurs français

Dans la vitrine de Tartine, la première boutique d’une chaîne française de restauration rapide, sont alignés croque-monsieur, muffins et chouquettes. Un peu plus loin, un jeune ouvrier iranien s’essaye à faire des crêpes sur une plaque… Autant de pâtisseries méconnues en Iran, notamment dans le quartier de Kargar-é Jonoubi, dans le sud de Téhéran où est située Tartine, inaugurée début octobre. Sur les murs sont accrochées des photos de la tour Eiffel, de l’Arc de triomphe et de Montmartre. « Nous avons cherché à apporter un peu de France à ce coin de Téhéran qui n’a rien à voir avec le nord et sa population riche », explique Romain Quenet qui codirige, avec Xavier Monard, la chaîne Tartine dans la capitale iranienne.

Arrivés il y a huit mois, ces deux jeunes Français font partie de la nouvelle vague d’entrepreneurs et d’hommes d’affaires ayant choisi de tenter leur chance en Iran. Ils ont été notamment encouragés par l’accord sur le nucléaire iranien en juillet 2015, et la levée partielle des sanctions internationales, en janvier 2016. Les échanges entre Paris et Téhéran sont ainsi repartis à la hausse : de 304 millions d’euros au premier semestre de 2015, ils sont passés à 536 millions d’euros au premier semestre de 2016, soit une progression de 76 %.

Or, l’effervescence des débuts semble aujourd’hui peu logique, tant le chemin est semé d’embûches. Romain Quenet et Xavier Monard qui n’ont réussi à enregistrer leur société d’importation et de distribution d’aliments français qu’avec beaucoup de difficultés, se battent toujours contre la lourde bureaucratie et la législation iraniennes, notamment sur les questions d’impôts sur les revenus. Une complexité qui a conduit Sephora, filiale de LVMH, à reporter son implantation en Iran de 2016 au second semestre 2017 « au plus tôt ».

Doutes des investisseurs

Les grandes banques françaises continuent à refuser de faire des opérations avec l’Iran, notamment à la suite de la lourde amende infligée par les Américains à BNP Paribas, en 2014, pour avoir organisé des transactions avec des pays sous embargo, dont l’Iran. Voilà pourquoi certains continuent, comme durant les années des sanctions, à rapporter du liquide dans leurs « valises ». Cette frilosité des banques est d’autant plus justifiée que les sanctions américaines, concernant des centaines d’entités et de personnalités iraniennes pour « activités terroristes » et « atteintes aux droits de l’homme », sont, elles, toujours en vigueur. Cela oblige les entreprises à procéder à une étape longue et lourde de vérification, avant tout partenariat avec les Iraniens. « Il peut arriver que des dirigeants soient des prête-noms et que des sociétés soient des façades de structures moins recommandables », explique l’analyste Michel Makinsky.

Les grandes sociétés ont donc mis en place des services de « compliance », chargés de l’évaluation de la conformité aux lois, ou, comme l’explique ce représentant en Iran d’un grand groupe français, font appel aux avocats spécialisés sur la question. Ce Français dit avoir recours aux « banques régionales » qui « ne sont ni en France ni en Europe », refusant d’avancer davantage de détails sur ces établissements. D’autres hommes d’affaires et analystes mentionnent des banques italiennes, autrichiennes, la belge KBC et la française Wormser Frères pour de petites opérations.
Les jeunes patrons de Tartine n’utilisent pour le moment que leurs propres fonds, pour le financement de leurs quatorze autres boulangeries et cafés à Téhéran, Shiraz et Ispahan. « La condition principale posée à l’acceptation des projets d’investissement en Iran est de financer tout ou partie de l’investissement, explique Michel Makinsky. Et là, l’investisseur étranger se heurte au refus des banques internationales de procéder à cet investissement. »

A ces difficultés s’ajoute l’incertitude. Si pour l’instant l’Iran semble bien respecter l’accord nucléaire, la crainte du rétablissement des sanctions plane en cas de manquement de Téhéran à ses obligations nucléaires. L’éventuelle élection aux Etats-Unis de Donald Trump, qui tient une ligne plus dure envers l’Iran que son adversaire démocrate, Hillary Clinton, ainsi que l’élection d’un conservateur en Iran à la prochaine présidentielle, en mai 2017, ne font qu’accentuer les doutes des investisseurs qui veulent se lancer en Iran.


Dans ce contexte incertain, l’annonce fin septembre, que Boeing et Airbus avaient obtenu le feu vert de l’administration américaine pour vendre des avions à l’Iran a remonté le moral des entrepreneurs.

Le Monde, 8 octobre 2016

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