lundi, octobre 10, 2016

Iran : le nouveau champ de bataille de l’antique rivalité Renault-Peugeot


A l’aéroport Imam-Khomei­ni de Téhéran, le salon VIP s’appelle le salon CIP, pour Commercial Important Person. C’est même un terminal séparé, où les hommes d’affaires étrangers sont convoyés, choyés, assistés dans leurs démarches.

Dès l’aérogare, le ton est donc donné et le message est clair : l’Iran est officiellement le nouveau paradis du business. Les constructeurs automobiles français ne sont pas les derniers à l’avoir compris. Ils sont même pionniers dans leur secteur, premiers acteurs mondiaux de la voiture à relancer publiquement des projets industriels en Iran depuis que l’accord permettant la levée des sanctions liées au programme nucléaire a été signé, en juillet 2015.

En quelques mois, PSA et le groupe Renault ont multiplié les annonces, signatures, rencontres au sommet. Dernier épisode, la tournée de Carlos Tavares, en Iran, du 4 au 6 octobre. Le patron de PSA, flanqué de son comité exécutif, a passé en revue son dispositif iranien et a rencontré ses deux partenaires locaux : le premier constructeur automobile du pays, Iran Khodro (IKCO) – avec lequel il a fondé une coentreprise à 50-50 pour relancer Peugeot –, et le concurrent Saipa, numéro deux du marché. Avec ce dernier, M. Tavares a signé un accord stratégique, le 6 octobre, pour fabriquer et distribuer des Citroën en territoire persan.

Quelques jours avant, dans les travées du Mondial de l’automobile, qui s’achève le 16 octobre à Paris, le PDG de Renault, Carlos Ghosn, et le ministre de l’industrie de l’Iran, Mohammad Reza Nematzadeh, annonçaient la création d’une nouvelle société automobile iranienne majoritairement détenue par le constructeur français. Ainsi, le décor est planté : le nouveau champ de bataille de l’antique rivalité Renault-Peugeot sera la République islamique.

« Trahison »
Sur ce terrain, PSA a une position avantageuse. Difficile de rater les vieilles Peugeot − même rafistolées, renommées, relookées −, surtout des 206 et des 405, qui parcourent le réseau routier local. La marque au lion revendique 4 millions de clients et une part de marché de 35 %, une situation qui semble très difficile à renverser.

Seulement voilà, PSA n’a touché aucune redevance sur les centaines de milliers de Peugeot vendues entre 2012 et 2015. Il y a ­quatre ans, le groupe français avait précipitamment quitté le pays pour éviter d’être pris dans la tourmente des sanctions internationales, laissant aux constructeurs iraniens la tâche de gérer seuls la production. A l’époque, PSA était en négociations pour créer une alliance avec le géant américain General Motors. Toute activité commerciale avec l’Iran aurait menacé l’existence même de l’entreprise française.

Malgré ces fortes raisons, les Iraniens ont encore aujourd’hui du mal à digérer la « trahison ». « Le peuple iranien a été malheureux de voir PSA quitter l’Iran », a rappelé le PDG d’IKCO, Hashem Yekezareh, à Carlos Tavares lors de la cérémonie de lancement du joint-venture IKAP (Iran Khodro Automobiles Peugeot), le 5 octobre.

Coentreprise
« Il fallait que les Iraniens puissent me dire en direct combien ils avaient été meurtris, a convenu, plus tard, M. Tavares. Et il faut être capable de l’entendre pour pouvoir tourner la page correctement. »

Cette parenthèse aura laissé une autre trace : faute de pièces de qualité, les Peugeot version iranienne sont devenues moins fiables, comme semble le montrer le nombre non négligeable de véhicules en panne que l’on croise le long des routes nationales.

En face, Renault part de plus loin (4,8 % de part de marché en 2015), mais avec quelques atouts, qui mettent en relief les insuffisances de son concurrent. En premier lieu, la marque au losange est auréolée du fait qu’elle n’a jamais quitté l’Iran, même au plus fort des sanctions. Le français a créé, en 2003, une coentreprise avec IKCO et Saipa, qui n’a pas cessé son activité. Ceci explique, sans doute, que le pouvoir iranien ait fait une exception en laissant ­Renault détenir 60 % d’une nouvelle société automobile établie en partenariat, non pas avec un constructeur, mais avec le conglomérat d’Etat Idro, bras armé économique du régime.

« Si vous demandez aux Iraniens quels sont les meilleurs véhicules fabriqués en Iran, ils vous répondront Renault », assure Peyman Kargar, directeur général de ­Renault-Iran.

« Il n’y a pas de vraie rivalité »
La marque a fondé sa réputation sur la qualité des ­Logan (appelées là-bas Tondar) et Sandero.

« Lors du lancement de la nouvelle Sandero Stepway, nous avons enregistré 4 000 commandes avec prépaiement en une heure », se réjouit M. Kargar.
Surtout, Renault a sa potion magique : la Kwid, un petit 4 × 4 urbain à moins de 5 000 euros, qui fait déjà un tabac en Inde. « La Kwid aura un succès phénoménal en Iran », prédit Didier Hedin, consultant automobile. Avec de tels atouts, Renault veut arriver à produire et à vendre entre 350 000 et 400 000 voitures dès 2021, soit exactement le même objectif que PSA.

« Il n’y a pas de vraie rivalité, tempère M. Hedin. Les deux constructeurs sont complémentaires. Le plan de PSA est, lui aussi, excellent, et Peugeot a toujours une très bonne image en Iran. »

Le choix de marcher sur deux jambes (une coentreprise pour chacune de ses marques) facilite la liberté de manœuvre de PSA. Renault prend, de son côté, davantage de risques compte tenu de l’existence de sanctions américaines résiduelles à l’égard de l’Iran, car Nissan est très implanté aux Etats-Unis.

Les risques, chaque constructeur français les assume. « Nous ouvrons la voie », confirme Carlos Tavares. Par contraste, les constructeurs allemands et japonais ont déjà accumulé un net retard. Sur un marché qui devrait atteindre 2 millions de véhicules en cinq ans, l’industrie française a, pour une fois, pris de l’avance.

Le Monde, 8 octobre 2016

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