dimanche, octobre 30, 2016

Cap sur l’Iran pour les régions Belges

Nabil Jijakli (Ducroire): «C’est la ruée vers l’Iran» Le Deputy CEO voit les demandes d’assurance pour l’Iran exploser.Ce samedi 29 octobre 2016, les trois Régions belges décollent vers Téhéran pour une mission économique de trois jours. Près de 150 entreprises seront de la partie, sans le ministre wallon de l’Économie, Jean-Claude Marcourt, qui a annulé sa présence pour cause de Ceta.

Il faut dire que l’Iran a la cote depuis qu’un accord a été trouvé, en juillet 2015, sur le programme nucléaire du pays. Dans la foulée, une série de sanctions économiques ont été suspendues. Certaines sociétés belges ont profité de l’occasion pour réactiver des liens commerciaux avec Téhéran. Nabil Jijakli, deputy CEO du Ducroire, est bien placé pour le savoir : le Ducroire (une institution publique autonome) assure les entreprises qui veulent exporter vers des pays à risque.

Pourquoi une entreprise belge a-t-elle aujourd’hui intérêt à commercer avec l’Iran ?

D’abord, l’Iran est un poids lourd économique de la Région : une population de 80 millions d’habitants, bien éduquée ; des richesses pétrolières et gazières. Puis l’Iran est une économie diversifiée.

Moins dépendante du pétrole que l’Arabie Saoudite, en somme…

Tout à fait. Leurs recettes dépendent aujourd’hui à 43 % du pétrole et du gaz. À côté, ils ont une industrie métallurgique, l’une des industries auto les plus florissantes de la Région… Au niveau de la situation macroéconomique, on s’attend à une croissance proche des 4 % en Iran. L’inflation est maîtrisée. Le ratio dette publique sur PIB est de l’ordre de 15 % (contre plus de 106 % en Belgique, NDLR). Autre point fort, ils ont des réserves de change qui permettent de couvrir 17 mois d’importations. On considère d’habitude que six mois de réserves, c’est déjà bien. Mais 17 mois, c’est remarquable. Puis, suite aux différents embargos sur l’Iran, le pays a également des besoins énormes.

Des besoins en quoi ?

Ils doivent reconstruire leur industrie pétrolière et gazière, devenue un peu obsolète. Toute leur industrie métallurgique et énergétique doit aussi être upgradée. La population a soif de consommer, et certains ont d’énormes réserves de cash. Aussi paradoxal que celui puisse paraître, les Iraniens sont très envieux des produits occidentaux.

L’Iran ne craint pas le « made in Europe » ?

Au contraire. Ils sont demandeurs. Suite aux différents embargos, c’est la Chine qui est devenue un de leur principal partenaire. Et, honnêtement, on entend souvent des Iraniens dire qu’ils “en ont marre du brol chinois”.

Voilà pour les points forts. Mais il y a aussi de fameux risques, quand on commerce avec l’Iran ?

La zone géopolitique est évidemment extrêmement tendue. On est quand même dans une zone où, sur le long terme, on peut se poser des questions. Deuxième élément, le climat des affaires en Iran est détestable. Essentiellement parce que la sécurité juridique est faible, la paperasserie administrative prend énormément de temps, et la corruption est toujours présente. Autre faiblesse, et on en arrive au cœur du problème actuel, ce sont les sanctions. On l’oublie souvent avec la suspension des sanctions sur le programme nucléaire, mais il y a d’autres sanctions qui sont restées actives. Puis sur le programme nucléaire, on a suspendu – mais pas levé- les sanctions selon le mécanisme particulier du snapback.

Snapback, c’est-à-dire ?

On suspend les sanctions sur une période de dix ans. Après les dix années, si tout se passe bien, elles sont définitivement levées. Mais, entre-temps, au moindre non-respect de l’une des clauses de l’accord, on rétablit les sanctions dans les 65 jours. C’est une épée de Damoclès terrible pour tous les investisseurs. Car si les sanctions sont à nouveau établies, notamment sur le système financier, cela signifie que les flux de paiement ne sortent plus d’Iran. La suspension en janvier 2016 de ces sanctions a donné une espèce d’engouement terrible sur l’Iran, puisque la situation macroéconomique est valable. Mais il ne faut pas oublier que d’autres sanctions subsistent : celles liées aux activités terroristes ou supposées telles de l’Iran ; celle relatives au respect des droits de l’Homme ; et celles liées à l’armement. Des sanctions principalement américaines.

On ne peut pas commercer en dollars, en gros ?

Voilà. C’est la force d’une monnaie comme le dollar. D’une part, les Américains maintiennent un embargo général sur le commerce avec l’Iran. Mais ils interdisent aussi les transactions en dollars aux sociétés non-américaines. À côté de cela, il y a aussi les sanctions secondaires, lorsque vous avez des relations avec des gens ou des sociétés qui figurent sur la liste américaine liée au terroriste. Là-dedans, vous avez par exemple les Gardiens de la Révolution, qui gèrent à peu près 30 % de l’économie iranienne. Donc si vous faites des transactions avec l’Iran, vous ne pouvez pas les faire en dollars, et pas avec n’importe quoi. Il faut toujours s’assurer que la société avec laquelle vous commercez ne figure pas sur la liste noire américaine. Ce qui n’est pas toujours évident, car le système iranien est très peu transparent.

Mais cette blacklist américaine ne s’applique pas aux sociétés européennes ?

C’est là que ça devient vicieux. Pour faire une transaction, il faut passer par les banques, qui – à un moment ou l’autre- traitent toujours en dollars. Ceci implique que les grandes banques ont extrêmement peur de rouvrir avec l’Iran actuellement. C’est l’un des freins principaux à la reprise économique normale.

Aucune grande banque n’accepte aujourd’hui de travailler avec l’Iran ?

La situation diffère de banque à banque. Ce que l’on voit, c’est qu’une série de banques accepte de faire des transactions en euros sur le court terme, moyennant une série de règles de compliance, pour vérifier que l’on est hors du cadre des sanctions américaines. Mais quand on parle de restaurer l’industrie, ce sont des projets qui durent plusieurs années. Et là, il n’y a aucune banque qui accepte de financer des opérations commerciales avec l’Iran aujourd’hui.

Ça restreint fortement les possibilités des sociétés belges en Iran…

C’est extrêmement compliqué. En Belgique, il y a deux banques qui acceptent de le faire (Belfius et KBC font partie de la mission économique, NDLR). Mais c’est extrêmement lourd. Et j’ai beaucoup parlé des sanctions. Mais il y a également deux éléments géopolitiques importants qui expliquent les craintes actuelles des banques. Le premier, ce sont les élections américaines. Quoi qu’on en dise, les relations Iran-USA restent extrêmement compliquées. Si on lit le programme des candidats actuels, Trump cassera le deal avec l’Iran dans les semaines qui suit son élection, et Hilary Clinton est moins favorable à la reprise des échanges que n’était Obama. Donc il y a déjà une incertitude de ce côté-là. La deuxième crainte, que l’on mentionne moins souvent, c’est qu’il y a également des élections présidentielles en Iran au printemps prochain. Rohani, le président actuel, qui est le maître d’œuvre de cette ouverture, est combattu par les conservateurs qui étaient contre l’accord nucléaire. Avant les élections iraniennes, je pense donc que la position des banques risque de ne pas évoluer.

Les banques ne prêtent pas, il y a une épée de Damoclès sur les sanctions, un risque géopolitique… Quelles sont les entreprises qui auraient envie d’aller en Iran ?

Malgré tout, il y a un certain nombre d’entreprises belges qui viennent nous voir, qui sont en négociation de contrats, et qui nous demandent de les assurer. Mais ces entreprises sont toujours à la recherche d’un financement.

Vous avez recommencé à assurer des activités en Iran depuis janvier 2016. Ça marche ?

Très clairement. C’est la ruée vers l’Iran. En septembre, l’enveloppe du Ducroire disponible pour faire des affaires sur l’Iran est passée de 230 à 750 millions d’euros, car le classement de l’Iran s’est amélioré. Mais actuellement, nous avons des demandes qui vont au-delà de ces 750 millions. Donc la demande est là.

Combien de dossiers ?

Une vingtaine.

Lesquels ?

Je ne peux pas communiquer cette information. Mais on parle du secteur de la construction et du dragage, du secteur énergétique, de la grosse industrie pour la production de verre, de la fourniture de machines pour la production de câbles, de valves pour l’industrie chimique. Dans le secteur télécoms et textile aussi.

Des contrats ont-ils été conclus ?

On donne une promesse dans certains cas, disant que l’on est prêt à les assurer, même si le deal n’est pas encore conclu. Toutes ces sociétés se heurtent actuellement au problème de financement pour le commerce à long terme.

Source : Le Soir

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