lundi, octobre 31, 2016

Le retour tourmenté des entreprises françaises en Iran

Source : Challange 25 octobre 2016

"C'est une course d'obstacles redoutable" confie le patron d'une entreprise de taille intermédiaire (ETI) française qui ambitionne de s'implanter en Iran. Dans le viseur de cet entrepreneur spécialisé dans la santé: la frilosité des banques françaises à financer les entreprises dans leurs projets persans. La visite du président Hassan Rohani fin janvier à Paris, quelques jours après la levée officielle des sanctions contre Téhéran, avait pourtant suscité un immense espoir pour les entreprises tricolores qui lorgnent le prometteur marché iranien. 15 milliards d’euros d’accords commerciaux avaient été signés dont un méga contrat avec Airbus portant sur l’acquisition de 118 avions - réduit ensuite à 112. 

Sauf qu'en neuf mois, il ne s'est pas passé grand chose. Hormis Air France qui est revenu en Iran avec trois vols par semaine, PSA et Renault qui ont acté leur retour industriel dans ce pays de 82 millions d'habitants et Airbus qui a obtenu le feu vert des États-Unis pour la vente de 17 des avions commandés, les entreprises tricolores tardent à finaliser leurs projets. "Les banques françaises sont toujours très frileuses et bloquent la finalisation de nombreuses opérations", indique Kourosh Shamlou, fondateur du cabinet d'avocats franco-iranien Shamlou.

"Nous allons tenter notre chance du côté des banques allemandes"

A ce jour, seules deux petites banques françaises – Wormser Frères et Delubac - assurent des flux financiers peu conséquents entre les deux pays, les autres ne bougent pas, échaudées par l'amende record infligée en 2014 par Washington à la BNP pour violation de l'embargo américain. Une situation qui a même obligé le groupe PSA Peugeot-Citroën à se tourner vers la petite banque italienne Banca Popolare di Sondrio pour transférer 14 millions d’euros en Iran. "Nous avons sollicité une demi-douzaine de grandes banques françaises qui ont toutes refusé de nous accorder des financements, appuie le même dirigeant d'une ETI. Nous allons tenter notre chance du côté des banques allemandes".

Trois d'entre elles: EIH, KFW bank et AKA bank acceptent en effet de financer pour des montants relativement peu élevés le secteur privé en Iran. Il faut aussi ajouter les banques autrichiennes Raiffeisen Bank et Erstebank, les banques Italiennes Mediobanka et Banca Popolare di Sondrio, les banques belges KBC et ING ainsi que la banque Turque Halk. Celles-ci, contrairement aux six grandes banques françaises (BNP Paribas, BPCE, Crédit agricole, Crédit mutuel-CIC, Société générale et La Banque postale) qui ont des filiales aux États-Unis ne sont pas exposées au dollar.

Et ce blocage s'explique essentiellement par la peur de subir les foudres de Washington qui interdit les transactions en dollar avec l'Iran et veille scrupuleusement à l’application de "l'International Emergency Economic Powers Act", cette loi fédérale américaine de 1977 qui autorise le président des Etats-Unis à restreindre les relations commerciales avec certains pays. L’Office of foreign assets control (OFAC), véritable bras armé économique des USA, actualise par exemple régulièrement une liste intitulée "specially designated nationals", longue de 973 pages mentionnant des personnes ou des sociétés avec lesquelles il est interdit d'avoir des relations commerciales.

Vers une amélioration?

Mais pour certains observateurs la situation est toutefois en voie d'amélioration. "On constate depuis quelques semaines que les choses se clarifient peu à peu, précise Matthieu Etourneau, le Directeur général du centre français des affaires de Téhéran qui a ouvert ses portes mi-octobre. Le feu vert donné par l'Ofac à Airbus et Boeing fin septembre envoie un bon signal aux investisseurs. C'est un déclic psychologique. Un autre signal positif serait de voir l'Iran sortir de la liste noire du Groupe d'action financière sur le blanchiment des capitaux (Gafi)". Alain Wormser, le PDG de la banque Wormser Frères, qui réalise grâce à l'Iran 7% de son chiffre d'affaires soit environ un million d'euros abonde. "Des situations se sont débloquées chez nous depuis peu, notamment grâce à un travail diplomatique plus soutenu".

Un contexte qui a suscité ces dernières semaines plusieurs discussions entre les autorités américaines et françaises. "Il y a un dialogue avec le Trésor américain et l’Ofac pour les amener à préciser leur régime de sanctions, à le rendre plus lisible et donc plus rassurant pour le secteur bancaire", précise-t-on à Bercy. Le patron du Quai d'Orsay, Jean-Marc Ayrault, est aussi attendu à Téhéran d'ici la fin de l'année pour faire avancer plusieurs projets tricolores.

L'élection américaine, l'autre enjeu

"L'ouverture de l'économie iranienne est laborieuse mais elle est inexorable, observe l’avocat d’affaires franco-iranien Ardavan Amir-Aslani, conseiller de PSA et Vinci en Iran. La situation s'améliore peu à peu et la volonté politique est là. Le guide suprême Ali Khamenei a par exemple refusé que Mahmoud Ahmadinejad soit candidat à l'élection présidentielle de mai 2017 pour ne pas revenir sur cette ouverture". Quant au président Hassan Rohani, qui visera un deuxième mandat l'an prochain, il estime que pour moderniser son outil industriel et relancer l'économie, son pays a besoin de 30 à 50 milliards de dollars d'investissements étrangers par an.

L'élection américaine devrait en tout cas permettre de lever quelques doutes. "Si Donald Trump est élu, les Américains ne vont pas amender leur position vis à vis de Téhéran, bien au contraire, mais si c’est Hillary Clinton, les choses pourraient avancer", espère un banquier d’affaires. Un avis que ne partage pas forcément Hassan Rohani. Le président iranien a en effet déclaré dimanche 23 octobre qu’il n’avait aucune préférence entre la candidate démocrate et le tonitruant milliardaire. "A l’Organisation des Nations unies, le président d’un pays m’a demandé lequel des deux candidats je préférais. J’ai répondu: "Est-ce que je préfère le mal au pire ou le pire au mal?". 

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