samedi, septembre 03, 2016

Vers une désertification de l'Iran ?

A la recherche des lacs et rivières perdus d’Iran

Vahid, 53 ans, se rappelle toujours l’époque où il venait chasser et pêcher avec son oncle dans le lac Gavkhouni, situé dans le centre de l’Iran, à 170 kilomètres d’Ispahan. Aujourd’hui, de cette vaste étendue d’eau de 476 km2, accueillant, il y a quelques années encore, des milliers d’oiseaux migrateurs, d’oies, de cigognes et de cerfs, il ne reste que des terres sèches à perte de vue. « Auparavant, toutes les parcelles autour du lac étaient cultivées, regrette Vahid. Cela fait presque dix ans que la dernière personne est partie d’ici. »

Comme beaucoup d’autres agriculteurs de Varzaneh, ville située à 30 km du lac Gavkhouni, Vahid et sa famille possédaient des hectares de terre autour du lac. A l’époque, la large et grondante rivière de Zayandeh Roud s’y déversait. Sur les champs la longeant, les paysans cultivaient pastèques, blé, betteraves, luzerne et coton en abondance.

Les périodes de sécheresse, les précipitations et les événements climatiques extrêmes tels que les tornades augmentent

Au fur et à mesure, l’eau a commencé à s’épuiser jusqu’à ce que le lac ne disparaisse complètement, poussant les agriculteurs, dont Vahid, à abandonner leurs terres et à en acheter en amont de la rivière, vers Varzaneh. Mais, un jour, Zayandeh Roud s’est aussi retrouvée complètement asséchée à Varzaneh, ainsi qu’à Ispahan.

La ville historique n’est pas la seule touchée. A partir de 2006, le lac d’Ouroumieh, l’ancien plus grand lac du Proche-Orient (5 200 km2), situé dans la région de l’Azerbaïdjan (Nord-Ouest), a commencé à s’assécher. En 2015, il avait perdu 88 % de sa superficie. Le lac Hamoun, dans le sud-est du pays, connaît le même sort.

Ces exemples illustrent la crise de l’eau que traverse l’Iran, connu pour son climat continental. Une pénurie qui affecte avant tout les activités agricoles, car 92 % des eaux consommées sont utilisées dans ce secteur, dont 70 % sont perdues.

LA DÉSERTIFICATION PROGRESSE DANS LE PAYS

 | Infographie "Le Monde"

La situation devrait encore empirer : dans les sept prochaines années, au moins 71 % des terres seront touchées par la sécheresse et, dans vingt ans, un tiers des eaux souterraines et de surface disparaîtront, selon les autorités iraniennes. L’Iran est en effet très affecté par le changement climatique. La désertification progresse dans le pays, tandis que les périodes de sécheresse, les précipitations et les événements climatiques extrêmes tels que les tornades augmentent. Selon une étude de l’Organisation de la défense de l’environnement (équivalent du ministère de l’environnement, sous l’autorité du président Hassan Rohani), la plupart des régions iraniennes connaîtront une augmentation de 0,1 °C à 1 °C par rapport à l’ère industrielle d’ici à 2030.

« Ayant utilisé 97 % de ses eaux superficielles, l’Iran a pratiquement épuisé et asséché toutes ses rivières, alertait Issa Kalantari, le conseiller chargé de l’eau, de l’agriculture et de l’environnement du président Hassan Rohani, en avril 2015

 « Le pays est en train de devenir complètement inhabitable. Si nous ne réagissons pas, dans les trente prochaines années, l’Iran deviendra un pays fantôme. »

Selon les analystes, la forte croissance de la population iranienne, qui a quadruplé en soixante ans pour atteindre 80 millions d’habitants, et le développement économique du pays sont les principales causes de cette crise de l’eau.

Depuis la révolution en 1979 et l’avènement de la République islamique, l’Etat a permis pendant des années le développement sans limites de l’agriculture, cherchant par ce biais une assise sociale et un soutien électoral parmi les couches défavorisées et rurales. En Azerbaïdjan iranien, la superficie des champs cultivés est passée de 150 000 à presque 800 000 hectares en près de quarante ans.

BEAUCOUP D’AGRICULTEURS ONT ABANDONNÉ LEURS TERRES

Hadj Abassi,  89 ans, dans son champ de grenades desséché. | Isabelle Eshraghi/Agence VU pour "Le Monde"

A Varzaneh, pour se fournir en eau, les agriculteurs ont foré des puits, parfois sans permission. Or, faute de pluie et d’écoulement de la rivière Zayandeh Roud, les nappes phréatiques n’ont pas été réalimentées pendant des années. « Goûtez à l’eau de mon puits, invite Hadj Abbas, un agriculteur de Varzaneh âgé de 90 ans. Elle est tellement salée que les arbres tout autour sont morts. »

Voilà pourquoi beaucoup d’agriculteurs ont abandonné leurs terres et essayé de trouver un autre emploi. Ainsi, tous les matins, des centaines de jeunes de Varzaneh quittent la ville à bord de minibus pour se rendre au travail à Ispahan, à Yazd ou ailleurs. Vahid, lui, a acheté un 4 × 4 grâce à un prêt bancaire et fait visiter aux rares touristes les dunes de sable dans la région.

Dans les villes également, des industries ont été développées sans étude scientifique préalable sur la faisabilité des activités, comme dans les régions traversées par la Zayandeh Roud. Si l’ancien chef de l’Etat Mohammad Khatami (1997-2005) a fait dériver une partie du cours d’eau à Yazd (Centre), où différentes usines, exigeant un grand approvisionnement, avaient vu le jour, c’est sous la présidence de Mahmoud Ahmadinejad (2005-2013) que la rivière a été complètement asséchée dans la ville d’Ispahan. Cet ex-président ultraconservateur, connu pour ses décisions populistes, avait permis, en 2011, aux agriculteurs de la province de Chahar-Mahaal-et-Bakhtiari d’utiliser à l’envi l’eau de la Zayandeh Roud sans prendre en compte les besoins des paysans plus à l’ouest, dans la province d’Ispahan. Des heurts violents sont ainsi survenus, en février 2013, entre les habitants de Varzaneh et la police à cause de la gestion « discriminatoire » de l’eau de la rivière.

C’est aussi pendant les deux mandats consécutifs de M. Ahmadinejad que le lac d’Ouroumieh a presque disparu. Son bilan environnemental pousse ainsi de nombreux chercheurs à le désigner comme le responsable politique ayant le plus aggravé la crise de l’eau en Iran.

LE LAC D’OUROUMIEH EN PARTIE SAUVÉ

A Varzaneh, 15 août, Hadj Abass devant son puits à l’eau désormais saumâtre.  | Isabelle Eshraghi / Agence VU pour Le Monde

Depuis l’élection du modéré Hassan Rohani, en juin 2013, la défense de l’environnement est devenue l’une des priorités du gouvernement. « Sous Ahmadinejad, il n’était pas question de protéger l’environnement, explique Shahnaz Zargham, une militante écologiste à Ispahan. Masoumeh Ebtekar [vice-présidente de la République, chargée de l’environnement], elle, voyage pour sensibiliser aux problèmes environnementaux, essaye de résoudre des problèmes et y consacre des budgets. »

Les efforts déployés par le gouvernement ont permis de sauver en partie le lac d’Ouroumieh. En avril, son niveau avait augmenté de 33 cm en l’espace d’un an. Cela grâce à un ensemble de mesures de l’Etat, notamment le développement de techniques d’irrigation plus efficaces dans certains villages afin de diminuer la consommation d’eau.

A Ispahan pourtant, les militants se plaignent du manque de progrès dans le plan de sauvetage de Gavkhouni, malgré les promesses étatiques. La situation est d’autant plus inquiétante que le déversement dans le lac d’eaux industrielles, riches en métaux toxiques, rend son assèchement extrêmement dangereux. « Ces métaux, absorbés par le sol asséché, se transforment en particules microscopiques qui peuvent s’envoler sur des centaines de kilomètres, explique Heshmatollah Entekhabi, un militant écologiste à Ispahan. Elles peuvent causer cancers et maladies respiratoires. Il faut peut-être attendre que les particules atteignent la capitale pour que les problèmes de Zayandeh Roud et de Gavkhouni soient enfin pris au sérieux. 

Par  Ghazal Golshiri (Varzaneh et Ispahan, Iran, envoyée spéciale), Le Monde, 23 août 2016


Aller plus loin : lire aussi "La disparition du lac d’Ourmia à l’origine de troubles en Iran", http://www.middleeasteye.net/fr/reportages/la-disparition-du-lac-d-ourmia-l-origine-de-troubles-en-iran-1254276040


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