dimanche, septembre 11, 2016

« Tant que les circuits bancaires ne sont pas rétablis, le redémarrage de l’économie iranienne sera bloqué »

Directeur général d’Ageromys International, société de conseil pour les entreprises opérant avec l’Iran, Michel Makinsky intervient régulièrement sur le régime des sanctions américaines.

Un an après la signature de l’accord sur le nucléaire, comment se porte l’économie iranienne ?

L’économie est dans une phase critique avec un chômage préoccupant. Heureusement, la contraction de la masse monétaire a réduit l’inflation à environ 10 %, et elle devrait encore baisser. La croissance a été nulle en 2015 et atteindra probablement 2 % cette année. Si les blocages bancaires se lèvent, elle pourrait avoisiner 5 % en 2017. L’économie dépend encore des exportations pétrolières et de la remontée du cours du baril. La production pétrolière a été relancée avec succès. Selon le ministre du Pétrole, l’Iran a produit en juin 3,8 millions de barils par jour et, depuis la levée des sanctions en janvier, les exportations ont doublé, à 2 millions de b/j. Les exportations de condensats (NDLR : type de pétrole léger) ont progressé et atteindraient 200 000 barils par jour en juillet. Dans tous les secteurs, la relance dépend des investissements des entreprises étrangères. Tant que les circuits bancaires ne sont pas rétablis, les projets sont bloqués. Le nouveau budget n’est pas encore finalisé. Le Parlement arbitre actuellement les grands choix budgétaires : hypothèses de recettes, réduction des subventions, taxation des Fondations et entreprises des Gardiens de la Révolution qui s’y opposent farouchement. Le gouvernement a réussi à augmenter les recettes fiscales mais cet effort se heurte aux fraudeurs, à ceux qui ne payent pas ou peu d’impôts. La lutte contre la corruption est une arme dont l’équipe du Président Rohani dispose face aux ultra-conservateurs. Après la dénonciation du salaire « astronomique » du patron de la Compagnie centrale d’assurances, le gouvernement a lancé une enquête sur les rémunérations de plusieurs responsables, que les services de la justice, tenue par l'ultra Sadeq Larijani, essaient de freiner devant un scandale devenu national. Le ministre de l’Economie a démissionné les dirigeants de quatre banques (Mellat, Saderat, Refah et Mehr). Embarrassé, Ali Khamenei, le Guide, refuse une « chasse aux sorcières ». Rohani veut neutraliser les corrompus, souvent proches d’Ahmadinejad, des ultras, voire des amis du Guide, lesquels ripostent en attaquant les alliés de Rohani les accusant d'être tout aussi corrompus.

On reparle d’économie de résistance…

Le gouvernement souhaite une économie ouverte. Il fait face à une obstruction politique du Guide, des ultras et d’une partie des pasdarans dont les intérêts sont menacés. Ali Khamenei refuse que Rohani encaisse les dividendes politiques de l’accord sur le nucléaire et blâme la paralysie des banques européennes sous les pressions américaines. Il a lancé un appel à l’économie de résistance et à la défiance envers les étrangers qu’il présente comme une invasion idéologique destinée à faire tomber le régime. Les contrats passés avec les entreprises étrangères seront sévèrement encadrés. Dans un combat acharné contre le gouvernement, les pasdarans, dont le conglomérat industriel Khatam-ol Anbiya, défendent âprement leur « part du gâteau ». Ce groupe retarde le nouveau modèle de contrat pétrolier IPC (Iranian Petroleum Contract). Juste avant les législatives, des miliciens bassiji ont été envoyés par eux manifester devant le ministère du Pétrole, appuyés par l’ancien député Tavakkoli. Ce dernier a obtenu que le vice-président, Eshaq Jahangiri, donne instruction au ministre du Pétrole, Bijan Zanganeh, de réviser le contrat IPC. Zanganeh a aussi remplacé le patron de la NIOC (compagnie pétrolière nationale), Roknedin Javadi, par un fidèle, Ali Kardor, sur fond de divisions.

Comment se porte le système bancaire ?

La détermination du gouverneur de la Banque centrale iranienne à assainir le système bancaire iranien ne fait pas de doute. Les autorités veulent une réforme du secteur car il n’est pas conforme aux standards internationaux en matière de transparence et de rigueur pour opérer la relance économique. Ce système est fatigué, de nombreux établissements devraient être renfloués et réorganisés car ils croulent sous les dettes. Trop de prêts de complaisance ont été accordés, la dette privée gonfle. Le FMI déplore le manque de transparence et de vigueur dans la lutte contre le blanchiment. Le Gafi (FATF) avait émis une appréciation très sévère le 19 février, encourageant ainsi l’Ofac (Office of Foreign Assets Control) aux Etats-Unis à maintenir ses positions dures à l’égard de l’Iran. Le 24 juin, le Gafi, notant les efforts de rigueur iraniens, a retiré le pays de la liste « d’appels à contre-mesures» pour 12 mois. Les grandes banques étrangères exposées ne veulent toujours pas ouvrir des comptes correspondants avec des homologues iraniens. L’articulation des sanctions primaires et secondaires - dont l’ interdiction du dollar, avec des difficultés techniques quand des mécanismes imposent un passage par la monnaie américaine, sans parler des autres contraintes (dont la due diligence) - est dissuasive. Les pressions officieuses américaines jouent leur rôle.

Les opérateurs ont à l’esprit l’amende imposée à BNP Paribas…

Les Etats-Unis ont exploité la souveraineté monétaire. BNP Paribas avait utilisé le dollar. Les sanctions primaires américaines interdisent aussi d’employer du personnel américain ou disposant d’une green card, d’avoir 10 % ou plus de composants US. Il y a aussi la crainte relative d’un retour (snap back) de toutes les sanctions nucléaires si l’accord du 14 juillet 2015 n’est pas respecté, même si elles ne seront pas immédiates et que ce risque peut être couvert. Le 10 mai à Londres, l’Association britannique de banques et des banquiers européens ont demandé à John Kerry des assurances pour ne pas être pénalisés en cas de relations avec l’Iran. Kerry et ses équipes ont répondu que Washington encourage les transactions avec l’Iran si elles respectent les autres sanctions américaines. Le Département d’Etat a invité les banques à poser leurs questions à l’Ofac qui vient de publier quelques précisions sur ces sujets. Ceci n’a rassuré personne (dont Stuart Levey, chief legal officer de HSBC), face aux pressions visant les banques européennes sous des formes sournoises : menace de boycott, articles incendiaires dans un grand journal américain, conseils « amicaux » donnés aux fonds de pension pour désinvestir du capital de la banque ou des entreprises concernées, lettres personnelles et publiques adressées par l’UANI (United Against Nuclear Iran) à des dirigeants industriels ou banquiers (y compris américains !)….

Airbus a-t-il une chance d’avoir le feu vert américain pour fournir des aéronefs à l’Iran ?

La situation est encore complexe alors que Boeing a obtenu l’autorisation de négocier au titre de la licence H (exception aux sanctions primaires). L’OFAC n’a pas répondu aux demandes des Trésors anglais, allemand et français pour obtenir des lettres de confort assurant un traitement équitable. Pour Téhéran, Washington ne respecte pas l’esprit de l’accord, notamment quand la Cour Suprême autorise la saisie de 2 milliards de dollars d’avoirs iraniens. De longue date, l’ensemble des avoirs iraniens gelés était évalué entre 100 et 120 milliards de dollars. La réalité est différente. En septembre 2015, Valliolah Seif, gouverneur de la Banque centrale d’Iran, a ramené le montant à 29 puis 32 milliards de dollars. Le niveau actuel serait de 8 milliards de dollars. Selon John Kerry, 3 milliards de dollars ont pu être récupérés par Téhéran. En fait, une grande partie de ces avoirs a déjà été engagée ou gagée sur des opérations. Ils ne sont plus utilisables. Par ailleurs, les fonds privés iraniens ne peuvent pas non plus être rapatriés. Les banques internationales ne veulent pas les transférer par peur de sanctions (lutte contre le blanchiment, le terrorisme). Les détenteurs de ces fonds sont en général incapables d’en justifier leur traçabilité complète.

La Maison Blanche a voulu cet accord avec l’Iran mais continue à l’affaiblir économiquement…

C’est tout le paradoxe américain. Dès 2009, Obama voulait renouer avec l’Iran, y compris politiquement en pensant implicitement rouvrir à terme une ambassade. Le but initial des sanctions était d’empêcher l’Iran de se doter de l’arme nucléaire. Mais l’Amérique entend résolument conquérir des parts de marché dans ce pays, à la faveur de la levée des sanctions. Ceci passe par l’élimination de la concurrence européenne. L’application de l’accord sur le nucléaire dépend aussi des luttes d’influence internes au-delà du Congrès. Le pouvoir n’est pas centralisé aux Etats-Unis comme en France. Le Trésor a sa propre vision. Adam Szubin, sous-secrétaire d’Etat chargé du terrorisme et du renseignement financier ne souhaite pas mettre en péril l’accord par un excès de sanctions tout en le « surveillant » avec rigueur. Certains agents de l’institution, à l’écoute des lobby ultra-conservateurs et pro-israéliens, souhaitent poursuivre la politique d’exclusion. Quelques anciens du Trésor se retrouvent dans des think tanks néo-conservateurs.

Sans rétablissement des flux financiers, Rohani pourra-t-il être réélu en 2017 ?

L’accord sur le nucléaire était aussi destiné à « sauver le soldat Rohani ». Son avenir politique reste à conforter alors que la présidentielle se profile en 2017. La population est impatiente de percevoir les fruits de la levée des sanctions. Pour être réélu, il doit rapidement créer des emplois et améliorer le pouvoir d’achat de ses compatriotes. Outre la fin des blocages bancaires, il veut développer le secteur privé. Il se heurte toutefois à l’hostilité des bénéficiaires de prébendes, du secteur para-public, d’une partie des Gardiens de la Révolution et de leurs alliés… Sans oublier la pression du Congrès américain pour freiner et torpiller l’accord. Plus on approche de la présidentielle américaine, moins la marge de manœuvre sera grande. Et même si Hillary Clinton est élue, elle devrait être plus à l’écoute des Israéliens et des lobbys hostiles à l’accord sur le nucléaire. Les choix de Washington face à l’Arabie Saoudite pèseront aussi.

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