lundi, février 29, 2016

La ruée vers l'Iran

Le départ de laurent Fabius du Quai d'Orsay est l'occasion de faire le point sur l'action de la France à l'étranger depuis 2012. À côté de quelques ratés et de succès comme la COP21, d'autres dossiers laissent une impression plus mitigée, voire négative.

C'est le cas du dossier iranien marqué par l'accord de juillet 2015 sur le nucléaire, la visite du président Rohani à Paris et l'engagement officiel de l'Iran aux côtés des occidentaux en Syrie. Rappelons que la France, en la personne de Fabius, s'est longtemps opposée avec fermeté, à la signature d'un accord à minima sur le nucléaire, alors que les autres négociateurs avaient très vite baissé pavillon. La France a eu raison d'avoir cette attitude qui désormais lui donne le droit et même le devoir de rester attentive et exigeante pour la suite des contrôles sur le nucléaire. Nous pouvons d'ailleurs nous attendre à quelques sérieux dérapages.

Les industriels qui se précipitent en Iran, vont découvrir une situation bien différente de celle que leur fait imaginer l'image souriante et débonnaire du président Rohani qualifié souvent de « modéré ». Or, « modéré », il ne l'est que dans la forme. Rohani est en réalité un redoutable stratège qui s'est parfaitement adapté à un système qui est tout sauf modéré.

Le pouvoir suprême n'est, en effet, pas exercé par le Parlement comme dans tout pays démocratique, ni par le Président de la République qui joue, en Iran, plutôt le rôle de premier ministre. Il est d'ailleurs significatif que cette fonction (de premier ministre) qui était prévu dans la Constitution initiale de 1979, a été supprimée à l'occasion de la révision constitutionnelle de 1989. Le pouvoir réel est entre les mains d'un personnage unique dans son genre: le Guide suprême. Les lois, les décrets, les jugements n'ont d'effet que s'il ne s'y oppose pas. Ce guide, est coopté dans le milieu des grands ayatollahs selon une procédure parfaitement verrouillée et non démocratique par le Conseil des experts.

Le système électoral qui pourrait constituer une amorce de système démocratique, est très étroitement encadré. Les candidats à une élection ne peuvent se présenter que s'ils y ont été autorisés. Rohani lui-même était passé sous les fourches caudines. Et il ne faut pas croire que ce contrôle n'est que pur forme. Ainsi, 90% des candidats soi-disant modéré pour les prochaines élections ont été écartés. Dont... le petit-fils de Khomeiny qui, s'il avait pu accéder au l'Assemblée des experts, aurait pu peser sur la désignation du prochain Guide suprême dans un sens qui ne convenait pas à l'actuel détenteur du titre.

Mais un autre phénomène doit être mis en lumière qui aura et a déjà des effets dans la vie des affaires et donc dans la réussite ou l'échec de nos entreprises parties à la conquête des marchés iraniens. Le Guide suprême et son entourage, contrôlent des biens commerciaux et industriels provenant parfois de confiscation aux ennemis du régime.

Ce n'est pas tout : lors de la révolution, l'armée et, certains grands services hérités de l'époque du chah qui ont refusé le terrorisme théocratique de Khomeiny, ont perdu sa confiance. D'autres entités ont été créées pour les doubler, chargées à la fois de fonction répressive et économique. L'exemple le plus connu ce sont les "Gardiens de la révolution" ou Pasdaran, qui à la fois servent d'armée et de police du régime et contrôlent de nombreux secteurs économiques comme le nucléaire, le commerce international, l'énergie etc.

Or l'idéologie des Pasdaran n'est pas celle dont Rohani fait l'étalage dans ses relations avec l'étranger. En outre, malgré la levée partielle des sanctions, la force spéciale Qods et certains commandants des Pasdarans restent classés parmi les organisations terroristes des Etats-Unis. 

Les relations commerciales avec les Pasdarans sont donc risquées. Les USA ont confié à une agence du Trésor, l'Office of foreign assets control (OFAC), la surveillance de ce secteur. Selon, les milieux d'affaires qui s'y sont déjà frottés, l'actuel directeur de l'OFAC, John Smith, conçoit sa mission "comme une croisade" (JDD, 31 janvier 2016). Voilà qui devrait donner à réfléchir.

D'autant que d'une façon plus générale, faire des affaires avec l'Iran peut signifier une participation aux violations quotidiennes des normes universelles de l'Organisation Internationale du Travail (OIT) qui déplore régulièrement les cas de violations liées à l'activité économique en Iran. Celles-ci sont nombreuses : recours au travail des enfants, absence de syndicats libres (avec des dizaines de syndicalistes emprisonnés et même tués pour avoir revendiquer ce droit), absence de protection légale pour les salariés victimes d'abus, discrimination à l'égard des femmes qui ne peuvent accéder à certaines professions, de même que pour les minorités religieuses ou ethniques et les dissidents politiques.

L'Organisation de Coopération et de Développement Économiques (OCDE), se charge de s'assurer que les entreprises ne contribuent pas à des violations des droits humains à l'étranger. Faute de respecter leurs responsabilités en matière de droits humains, les entreprises françaises s'exposent donc à des risques juridiques et au danger de discrédit. Le manquement aux codes de conduite définis par l'OCDE peut conduire à des poursuites.

Miser sur le gouvernement Rohani est aussi un pari politique très risqué. La faction Rafsandjani-Rohani est de plus en plus mise à mal par l'intransigeance du guide suprême. À la tête de la faction dure qui domine le régime, Khamenei a, rappelons-le, récemment cautionné la décision d'écarter de nombreux candidats soi-disant "modérée" pour les législatives du 26 février. Depuis l'accord sur le nucléaire, en juillet 2015, le Guide n'a cessé de mettre en garde contre les dangers de "l'infiltration occidentale" et de s'opposer à toute ouverture politique à l'intérieur.

Cette crispation fragilise d'autant plus Rohani que le prochain parlement risque d'être toujours contrôlé par les gardiens de la révolution et les durs du régime. Cette tendance ne présage pas une libéralisation de l'économie, contrôlée en 50 à 70% par les Pasdaran et les fondations affiliées au Guide. Une situation intenable pour tout investisseur étranger qui ne souhaite pas avoir affaire à des militaires extrémistes.

Par exemple, Peugeot ne doit pas perdre de vue que la société Iran-Khodro avec laquelle il vient de signer un accord, est une filiale du SETAD, décrit par Reuters « l'une des organisation les plus puissante et les plus opaques d'Iran », un gigantesque conglomérat d'une quarantaine de firmes créé en 1989 et contrôlé par le guide suprême. Les activités économiques des Pasdaran et du SETAD servent à financer la machine de répression à l'intérieur, les groupes islamistes et terroristes dans la région et la terrible guerre de Bachar Assad contre sa population.


Source : Le Huffington Post, 24 février 2016, par François Colcombet Président de la Fondation d’Etudes pour le Moyen-Orient (FEMO)

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