lundi, février 29, 2016

Élections législatives : l'impact sur l'ouverture économique de l'Iran

 Les élections législatives iraniennes se sont tenues ce vendredi 26 février. Pour Denis Bauchard, elles seront déterminantes pour l'avenir de l'Iran, notamment sur le plan économique.


Denis Bauchard a été attaché financier pour les pays des Proche et Moyen Orients, ministre conseiller, chargé des questions économiques à la mission permanente de la France auprès des Nations Unies, ambassadeur en Jordanie puis directeur d'Afrique du Nord et du Moyen-Orient au ministre des Affaires étrangères. Il a été président de l'Institut du monde arabe. Il est conseiller pour le Moyen-Orient à L'Institut français des relations internationales (Ifri).


LE FIGARO. - Quels sont les enjeux des élections législatives iraniennes, quels changements en attendre?

Denis BAUCHARD. - Les enjeux des élections législatives iraniennes sont majeurs pour l'avenir politique du président Rohani, et de manière générale pour le devenir de l'Iran, à la fois sur le plan politique et économique. Rohani a besoin d'un Parlement qui soit plus coopératif que ne l'est l'actuel, afin qu'il adopte facilement les réformes engagées. Les Gardiens de la Constitution, une instance qui filtre les candidatures pour les élections, a éliminé un certain nombre de réformateurs. Mais il semble que de nombreux candidats conservateurs modérés sont proches des idées de Rohani, et donc prêts à le soutenir.

Quel est le poids du Majlis sur la vie politique iranienne?

Ces élections ne seront vraisemblablement pas truquées. Ce que dira le Guide, Ali Khamenei, après les résultats influencera l'attitude des nouveaux parlementaires. En Iran, il n'y a pas de parti: ce sont des candidatures individuelles s'inscrivant dans différents courants, mais il n'y a pas de partis organisés, structurés de partis comme ils peuvent exister en Occident. Le Parlement iranien n'a pas de pouvoir très important, mais il a un pouvoir de «nuisance»: il peut gêner le président de deux façons. D'une part en ne votant pas les lois qu'il porte - c'est ce qui était arrivé au président Khatami (1997-2005), dont la politique réformatrice avait été obstruée par les blocages du Parlement -, d'autre part en n'approuvant pas ou en destituant individuellement des ministres - ce qui était arrivé sous la présidence de Mahmoud Ahmadinejad.

La question qui se pose est la suivante: Rohani pourra-t-il mener la politique, notamment économique, qu'il estime indispensable pour redresser le pays?

A la tête du pays depuis 26 ans, quelle a été l'évolution et quel est le bilan du guide suprême Ali Khamenei?

L'âge et la santé déficiente du Guide rendent probable l'avènement, au cours des huit ans du mandat des nouveaux parlementaires, d'un nouveau guide. Mais de même que les candidadures aux élections législatives ont été filtrées par les Gardiens de la Révolution, de même, les candidatures de religieux à l'assemblée des experts , trop éloignés de la ligne de Khamenei ont été écartés, notamment le petit-fils de l'ayatollah Khomeini, qui a la réputation d'être libéral.

En effet, il existe deux courants au sein des religieux. Certains dans la lignée de Khamenei soutiennent le velayat -è faqih, c'est à dire l'idée que le pouvoir devait être aux mains des clercs . A l'inverse, un certain nombre de religieux estiment que leur rôle n'est pas de tenir le pouvoir politique. L'enjeu est de savoir si la République islamique demeurera théocratique ou si le Guide définira les grandes orientations tout en laissant la main et le pouvoir politique au président.

Khamenei est resté le même sur ses principes, mais il a connu une évolution. Il a contribué à l'échec de Khatami et de sa politique de réformes. Ensuite, il a favorisé l'élection, puis la réélection d'Ahmadinejad. Ce dernier, prenant goût au pouvoir, a fait de l'ombre au Guide, à qui il s'est opposé à la fin de son second mandat. Le Guide a laissé faire l'élection de Rohani ; il a estimé qu'après les fortes tensions de 2009 [ndlr: le soulèvement qui a suivi l'élection présidentielle opposant Mahmoud Ahmadinejad à Mir-Hossein Mousavi, entachée de soupçons de fraudes], il convenait de calmer le jeu . Il a fait confiance en Rohani, avec lequel il entretient de bonnes relations.

Depuis l'arrivée de Hassan Rohani à la présidence de la République islamique, la politique de réforme économique s'est intensifiée. Un chantier à poursuivre?

Sur le plan de la politique intérieure, le redressement d'une économie sinistrée est le défi relevé par Rohani. La question de la levée des sanctions extérieures est évidemment primordiale, mais elle n'est pas la seule. Sous Ahmadinejad, il y a eu une mauvaise gouvernance économique se traduisant par un manque d'investissements, une inflation galopante, un très fort taux de chômage, en particulier chez les jeunes. Un autre défi est celui du respect des droits de l'homme dont la situation ne s'est pas améliorée depuis l'élection du nouveau président. Comment se positionnera le nouveau parlement sur la question de la liberté d'expression? Malgré l'élection de Rohani, la société reste verrouillée, un certain nombre de journalistes sont poursuivis, la peine de mort reste largement utilisée…

Avec la levée des sanctions, les exportations de pétrole, qui se trouve à un niveau très bas (1 M/bj) vont augmenter de façon progressive mais interviendront dans un marché très déprimé. La reprise des financements et du commerce avec les Occidentaux va se faire très progressivement car les modalités de levée des sanctions par l'OFAC (Office of Foreign Assets Control), l'agence du Trésor chargée de programmer et de faire respecter les sanctions, n'ont toujours pas été entièrement précisées. Les banques étrangères demeurent par conséquent extrêmement prudentes, notamment quant au financement des investissements en Iran.

Lorsque Rohani est venu à Paris, fin janvier 2016, il a fait savoir qu'il appartenait aux entreprises étrangères d'apporter les financements nécessaires à la réalisation des investissements ou des contrats commerciaux, notamment pour l'achat des 118 Airbus prévus. Mais les entreprises françaises ont en mémoire la décision d'un tribunal américain qui a imposé une amende record de 9 milliards à la BNP en mai 2015 pour non respect des sanctions . Or les Etats-Unis ont maintenu des sanctions motivées par les atteintes aux droits de l'homme ou des actions de terrorisme, dont certaines datent de 1996. Les Européens en particulier restent ainsi très prudents, compte tenu de l'usage abusif du principe d'extra-territorialité du droit américain qui fait que libeller un contrat en dollars US vous rend justiciable des tribunaux américains.

Les réformateurs ont-ils raison de capitaliser sur l'électorat féminin et jeune?

Les conservateurs suscitent en effet une réaction de rejet d'une majorité de jeunes et de l'électorat féminin. Mais ce scrutin sera sans doute marqué par une abstention importante. Un certain nombre de jeunes sont désabusés sur la capacité du pouvoir à changer de poltique. La politique de Rohani, notamment son accord sur le nucléaire, n'a pas encore modifié substantiellement la vie quotidienne des Iraniens, la levée théorique des sanctions venant juste d'intervenir. 

Quelles seront les répercussions de ces élections sur l'ouverture de l'Iran au monde extérieur?

Quel que soit le résultat, il n'y aura pas d'inflexion sensible. L'accord nucléaire trouvé avec les Etats-Unis n'est pas synonyme d'un apaisement durable des relations irano-étasuniennes. La lutte contre les «infiltrations», c'est-à-dire le risque d'ingérence voire de «regime change» mené par les pays occidentaux, Etats-Unis en tête, devrait se poursuivre. La politique moyen-orientale, en Syrie et en Irak ne connaîtra pas de changement sensible. L'alliance stratégique avec le régime syrien, qui remonte à 1970, reste toujours en place. Mais on peut espérer que les Iraniens, inquiets des progrès de Daech, favoriseront une solution de sortie de crise, qui pourrait être concertée avec la Russie et les pays occidentaux.

Le Figaro du 28 fevrier 2016


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