mercredi, février 03, 2016

Les banques occidentales hésitent à financer les entreprises dans leur conquête du marché iranien

Malgré les très belles perspectives qu'offre le marché iranien depuis la levée des sanctions contre Téhéran, les banques restent prudentes et peinent à s'engager dans ce pays, craignant toujours d'être mises à l'amende par les Etats-Unis.

La visite du président iranien Hassan Rohani à Paris, quelques jours après l'entrée en vigueur de l'accord nucléaire, a été l'occasion d'annoncer jeudi une flopée d'accords commerciaux, pour un montant "potentiel" de 15 milliards d'euros, selon l'Elysée.

Pour autant, derrière ces annonces se cache la question du financement des investissements en Iran.

Car aujourd'hui les banques européennes hésitent à se lancer, échaudées par les pénalités infligées par Washington à certaines d'entre elles pour avoir violé les embargos américains sur certains pays, dont l'Iran.

L'exemple le plus spectaculaire reste l'amende record de 8,9 milliards de dollars imposée à BNP Paribas en 2014.

"Nous ne prenons aucune initiative nouvelle dans le domaine", a confié à l'AFP une grande banque française, préférant garder l'anonymat.

"Il y a eu la levée des sanctions mais concrètement cela manque encore beaucoup de clarté", a indiqué cette source, soulignant que les interprétations entre les Américains et l'Europe n'étaient "pas alignées".

La question inquiète aussi d'autres établissements bancaires en Europe.

"Deutsche Bank a pris acte de l'assouplissement des sanctions américaines et européennes contre l'Iran", a indiqué à l'AFP la banque allemande, qui a quitté le pays fin 2007 et écopé en novembre d'une pénalité américaine de 258 millions de dollars. "Jusqu'à nouvel ordre, le groupe s'en tiendra à sa décision et ne fera pas d'affaires liées à l'Iran", a-t-elle ajouté.

'Incertitude' sur les sanctions

"Il y a une incertitude", a déclaré Yves-Thibaut de Silguy, vice-président du Medef International sur France Info jeudi, soulignant que les Etats-Unis appliquaient la levée des sanctions nucléaires, mais que d'autres sanctions américaines restaient en vigueur, notamment contre le terrorisme.

Le secrétaire d'Etat au Commerce extérieur Matthias Fekl a indiqué jeudi avoir demandé aux autorités américaines une "clarification" sur le calendrier et le périmètre de levée des sanctions à l'OFAC (Office of Foreign assets control), un organisme américain de contrôle des avoirs étrangers.

Pour Thierry Coville, chercheur à l'Institut de relations internationales et stratégiques (Iris), les Etats-Unis entretiennent volontairement le flou sur l'état des sanctions.

"Cela peut être une politique américaine de dire +attention c'est compliqué+ pour que l'on n'y comprenne rien et que l'on croie qu'elles sont toujours là", déclare-t-il.

"Légalement, les banques peuvent faire des choses", mais il leur faut "toutes les assurances du monde pour qu'elles reviennent en Iran", estime-t-il.

Pour l'heure, même si elles se positionnent sur le marché iranien, elles préfèrent rester discrètes sur leurs intentions. "Je vois mal comment des grands groupes peuvent conclure des contrats sans avoir de soutiens financiers", souligne l'économiste.

Selon Pascal de Lima, économiste en chef à Economic Cell, un cabinet de veille économique, l'Iran possède un bon potentiel économique, en dépit d'"un risque pays élevé" dû à "la situation géopolitique avec Israël et d'une confiance minée par la sanction de BNP Paribas".

Pour tenter de rassurer les entreprises, l'Etat français a annoncé mardi un accord permettant d'apporter les garanties publiques nécessaires aux investissements en Iran via la Coface, qui permettra de couvrir les risques d'impayés sur place.

En outre, des équipes spécialisées sur les questions des sanctions, opérant au ministère des Finances et celui des Affaires étrangères, se tiennent à disposition des entreprises souhaitant savoir si leurs activités sont en conformité avec la législation américaine, a rappelé jeudi M. Fekl lors d'un discours au Medef.

Mais selon M. Coville, avoir laissé l'OFAC "faire pression directement sur les banques européennes" était "une "erreur stratégique qui se paye aujourd'hui".

"Politiquement, c'est lamentable de la part des Européens", déplore-t-il. "Maintenant c'est une arme financière et géopolitique que les Etats-Unis ne vont pas se priver de réutiliser dans d'autres circonstances".

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