lundi, mai 23, 2016

Pourquoi le retour des entreprises françaises en Iran est complexe

Après la levée des sanctions, les grands groupes français entendent profiter de la visite du président Hassan Rohani à Paris, pour relancer les relations économiques entre les deux pays. Si Airbus va signer un contrat pharaonique avec Téhéran, certains freins subsistent.

Les entreprises françaises sont dans les starting-blocks. Une dizaine de jours après l'entrée en vigueur officielle de l'accord de Vienne et la levée des sanctions, Hassan Rohani effectue les 27 et 28 janvier, à Paris, une visite officielle à forts enjeux. Le président iranien, à la tête d'une importante délégation d'hommes d'affaires, entend relancer les relations économiques avec un pays qui était l'un de ses principaux partenaires économiques avant le renforcement des sanctions internationales en 2012.

Ce voyage doit ainsi être l'occasion d'annoncer la signature de plusieurs contrats. L'Iran va par exemple en profiter pour finaliser une commande de 114 avions civils à Airbus, un contrat pharaonique qui pourrait dépasser les 10 milliards de dollars. D'autres secteurs comme l'aéroportuaire, l'automobile, l'agriculture ou la pharmacie devraient bénéficier de cette reprise des échanges commerciaux.

Mais si l'Iran, avec un marché de près de 80 millions d'habitants, une volonté d'accueillir 30 à 50 milliards de dollars d'investissements étrangers d'ici cinq ans et des perspectives de croissance à deux chiffres, offre de beaux débouchés aux entreprises hexagonales, la reconquête ne s'annonce pas si facile. "On repart presque de zéro, l'aggravation des sanctions de l'Union européenne en  2012 a très fortement touché nos exportations", souligne une source diplomatique. Celles-ci sont en effet passées en dix ans de 3,7 milliards d'euros à 550 millions à ce jour.

"Les Iraniens ont besoin de la technologie européenne"

La fermeté de la France contre Téhéran durant les négociations de Vienne peut-elle aussi avoir un impact sur ce "restart" commercial? "Cela va jouer un petit peu au début, répond cette même source diplomatique. Les Iraniens, notamment pour les grands contrats publics, peuvent nous le faire sentir". Yves-Thibault de Silguy, vice-président du Medef International et de Vinci, qui a conduit la délégation du Medef en Iran en septembre dernier, nuance. "Il est primordial de retrouver cette confiance et c'est pour cette raison que la visite d'Hassan Rohani à Paris est très importante, indique-t-il. Mais les Iraniens ont besoin de la technologie européenne. Ils viennent de le prouver en choisissant Airbus. Ils sont pragmatiques et privilégieront la meilleure proposition. Il est de ce point de vue nécessaire que nos entreprises fassent des offres avec un fort contenu local ce qui signifie recruter des Iraniens ou dans l'automobile, par exemple, faire du montage sur place".

Durant la période de sanctions, certaines entreprises ont toutefois maintenu une présence symbolique en Iran, ce que les autorités ont apprécié. Renault a ainsi continué d'exporter des pièces pour assembler la version locale de sa Logan. Et Total a conservé son bureau de représentation et ses relations à Téhéran. "Nous avons une longue histoire avec l'Iran, précise un cadre du géant pétrolier. Mais pour envisager un retour effectif, deux conditions doivent être réunies: que le cadre légal nous permette effectivement d’y travailler et que les conditions économiques soient suffisamment intéressantes". Dans ce secteur, les majors comme Total attendent aussi le contenu des nouveaux contrats pétroliers, présentés par Téhéran à Londres fin février. Les autorités iraniennes ont promis qu’ils seront plus attractifs que les précédents, jugés trop contraignants par les majors. Mais la chute du prix du baril n'incite pour l'instant pas les pétroliers à des investissements faramineux.

Le problème du crédit

Parmi les risques bien identifiés figurent l'endettement élevé des banques iraniennes, un système juridique obsolète, la rigidité du marché du travail et la corruption. Et les entreprises étrangères hésiteront aussi à investir en Iran du fait du risque de rétablissement automatique des sanctions ("snap-back") si Téhéran ne respecte pas ses obligations sur le nucléaire. Le crédit pose notamment problème aux grandes banques françaises, qui ont des intérêts aux Etats-Unis, pays qui maintient un éventail de sanctions antérieures à la crise nucléaire et interdit les transactions en dollar avec l'Iran. "Les banques françaises sont assez frileuses sur ce sujet depuis que BNP Paribas a été condamné par la justice américaine (la banque française a écopé en 2014 d'une amende de 8,9 milliards de dollars pour avoir violé l'embargo contre l'Iran, Cuba et le Soudan, Ndlr), réagit Yves-Thibault de Silguy. Nous espérons rapidement le rétablissement de la couverture d'assurance-crédit de la Coface". Celui-ci, qui pourrait être annoncé lors de la visite d'Hassan Rohani à Paris, n'a à ce jour pas été activé.

Autre souci pour les entreprises françaises: une concurrence plus forte qu'il y a dix ans. "La France va devoir faire face à un marché bien plus concurrentiel qu'avant, les asiatiques notamment sont déjà bien positionnés et n'ont pas toutes ces contraintes de financement", explique Ardavan Amir-Aslani, avocat d'affaire et spécialiste de l'Iran, dont le cabinet a ouvert un bureau à Téhéran en septembre. Signe de ce changement, Téhéran et Pékin viennent de nouer un "partenariat stratégique" avec pour ambition de porter les relations économiques entre les deux pays à un niveau de 600 milliards de dollars d'ici dix ans. Une annonce faite il y a dix jours par Xi Jinping, en déplacement à Téhéran. Cela faisait 14 ans qu’un président chinois n’avait pas foulé le sol iranien. Pour retrouver pareille visite d'Etat côté français, il faut remonter à Valéry Giscard d'Estaing. C'était en octobre 1976.


Source : Challenge, 26 janvier 2016, Antoine Izambard

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