mercredi, avril 26, 2006

De l’Irak à la Chine, la politique étrangère de Mahmoud Ahmadinejad

De l’Irak à la Chine, la politique étrangère de Mahmoud Ahmadinejad
Article paru dans l'édition du 24/04/2006 de Caucaz Europenews (caucaz.com)

Par Célia CHAUFFOUR (éditorial) et Mohammad-Reza DJALILI à Paris et Genève

Alors que la crise du nucléaire iranien bat son plein, l’ancien maire de Téhéran peut déjà se targuer, quels que soient les scénarios à venir, d’une réussite en demi-teinte. Élu à la présidence de la République islamique en juin 2005, il y a moins d’un an, l’ultraconservateur Mahmoud Ahmadinejad s’est affirmé, en refusant de plier aux exigences de la communauté internationale sur le programme nucléaire iranien, comme l’un des rares dirigeants du monde musulman à tenir tête à l’Occident. Une inflexibilité qui enfonce un peu plus la République islamique, déjà sous le coup de sanctions internationales, dans son isolement. Dans ce contexte de crise aiguë, quelles relations Téhéran entretient avec son environnement régional ? Quelles sont les priorités du nouveau gouvernement en matière de relations extérieures ? Tour d’horizon des principaux chantiers et protagonistes de la politique étrangère iranienne.


Placée sur la sellette par le dossier nucléaire, la République islamique mise sur l’« amitié » développée, au gré de sa politique étrangère, avec certains alliés stratégiques, Russie et Chine en tête. Partenaires traditionnels de Téhéran munis d’un droit de veto à l’ONU, ces deux pays exhortent le régime iranien à coopérer avec la communauté internationale. On a également vu le Kremlin irrité par l’intransigeance de Téhéran. Pourtant, Moscou et Pékin restent réticentes à toute forme de sanctions à l’encontre de l’Iran. La raison est bien évidemment à chercher dans les accords militaires, commerciaux ou stratégiques qui nouent la République islamique à ses partenaires russe et chinois. Une coopération renforcée qui n’est pas sans déplaire à Washington qui n’a pas manqué d’appeler le 21 avril dernier, par la voix de son sous-secrétaire d’Etat Nicholas Burns, la Russie à appliquer un embargo sur les ventes d'armes à l'Iran, si Téhéran ne renonce pas à son programme d'armement nucléaire.

Visiblement indifférent au tollé que son radicalisme, couplé à ses déclarations anti-sémites à répétition, a soulevé en Occident, Ahmadinejad poursuit sa politique étrangère, l’adaptant aux enjeux variés qui lient l’Iran à son environnement régional direct ou indirect.

Parmi les multiples directions de la politique régionale de la République islamique, il y a bien sûr le Moyen-Orient arabe et particulièrement l’Irak, pays voisin pour le meilleur et pour le pire. Comme attendu, l’instable Etat irakien occupe une place centrale dans l’échiquier diplomatique de Téhéran. Si, de la chute de Saddam Hussein jusqu’à l’élection d’Ahmadinejad, il y avait un double, voire un triple, jeu iranien qui consistait à financer en Irak une chose et son contraire, à condition que ce soit chiite, le constat en Iran même de l’impasse de la politique confessionnaliste menée par l’ayatollah Sistani et l’émergence d’Ahmadinejad ont changé la donne. Aujourd’hui, le jeune chef radical chiite Moqtada Al-Sadr, dont le parti s’est imposé aux termes des élections irakiennes du 15 décembre dernier, est devenu un enjeu majeur de la politique irakienne de Téhéran.

S‘agissant de l’Azerbaïdjan, si les trois rencontres au sommet, en 2005, entre le président azerbaïdjanais Ilham Aliev et son homologue iranien ont signé une coopération plus étroite et irréfutable entre l’Iran et l’Azerbaïdjan, les deux pays restent profondément divisés, notamment sur le statut de la Caspienne. Une mésentente cordiale qui tranche avec l’amitié à contre-courant qui lie Téhéran à Erevan la catholique, plus qu’à Bakou la chiite.

Plus au nord encore, côté russe, l’entente stratégique entre l’Iran et la Russie, fondée sur des intérêts convergents et caractérisée par une asymétrie de puissance, permet à Moscou de ne pas s’engager systématiquement aux côtés de Téhéran et de jouer un rôle ambivalent. Toutefois, la République islamique dispose d’arguments de poids à avancer sur la table des discussions bilatérales, en cas de différend. Ils sont la coopération militaire et nucléaire civile, mais aussi la contribution iranienne à la stabilité régionale caucasienne et centrasiatique.

En Asie centrale justement, le Tadjikistan n’est pas indifférent à Téhéran. Avec l’élection d’Ahmadinejad, on pouvait craindre à Douchanbe que l’essor actuel de la coopération bilatérale entre les deux pays ne soit compromis par le retour d’une politique idéologique militante de la part de la République islamique. Sept mois plus tard, les doutes étaient dissipés tandis que le président tadjik Emomali Rahmonov effectuait une visite officielle à Téhéran. Une visite qui semble confirmer la tendance au rapprochement entre les deux républiques persanophones.

Plus à l’Est, la Chine, importatrice nette de pétrole, s’est imposée en quelques années comme un partenaire central pour l’Iran. Les deux républiques, l’une populaire, l’autre islamique, ont joué la carte du commerce bilatéral (9,5 milliards de dollars en 2005). En développant ses liens économiques avec Pékin, le régime iranien a aussi cherché à s’assurer le soutien politique de la Chine et à s’abriter sous son parapluie diplomatique. Mais ce dernier n’est en aucune manière infaillible.

Concernant le réchauffement récent des relations entre New Delhi et Téhéran, qui n’a pas manqué d’attirer l’attention, voire les foudres, de Washington, il ne doit pas faire éclipser le dossier du nucléaire iranien qui plane comme une épée de Damoclès sur la coopération indo-iranienne.

Voisin direct, le Pakistan n’en finit pas, lui, de susciter l’inquiétude de Téhéran. Au lendemain de la visite du président américain George W. Bush au Pakistan les 3 et 4 mars dernier, l’ambassadeur pakistanais en Iran avait bien qualifié les relations entre le Pakistan et l’Iran d’« excellentes, fraternelles et spéciales ». Mais cette déclaration n’a pourtant pas suffi à dissiper la méfiance mutuelle entre les deux pays.

Complexe et multiple, la politique étrangère de l’Iran reste ainsi conditionnée par ce très central dossier du nucléaire iranien. Celui-là même qui a vu l’émergence d’un consensus européen, la troïka européenne (Grande-Bretagne, France, Allemagne ou UE3) ayant cherché à présenter un front commun face à Téhéran. L’Europe n’a pas seulement dépassé sa méfiance et ses craintes relatives à un régime source de tensions diplomatiques intenses, elle a aussi cherché à imposer sa propre conception de l’action diplomatique. Une « petite » victoire que l’absence de percées diplomatiques majeures vient toutefois relativiser.

Pour l’heure maître du jeu, le régime iranien tient en main des atouts majeurs dans ce coup de poker nucléaire. Parmi lesquels la capacité de nuisance en Irak et le chantage au chaos, mais aussi le consensus à l’intérieur du pays autour du droit au nucléaire, de l’aile conservatrice aux clans libéraux pourtant réfractaires aux harangues d’Ahmadinejad. Un consensus fort, qui va au-delà des voix qui s’élèvent pourtant en Iran contre le clientélisme du gouvernement ou sa politique budgétaire.

Vu de l’extérieur, le nouveau président iranien aura surtout réussi, par son attitude et ses discours provocateurs, à présenter une fois de plus l’Iran comme un pays en révolution permanente, pratiquant une politique agressive qui menace la stabilité régionale et internationale. Certes, le régime islamique n’a jamais eu bonne presse auprès de la communauté internationale, même si dans les pays musulmans, au sein des couches populaires, il a toujours rencontré une certaine sympathie. Cependant, durant les seize dernières années, les deux prédécesseurs d’Ahmadinejad, Rafsandjani et Khatami, l’un par souci pragmatique et l’autre par sensibilité réformatrice, étaient parvenus à améliorer quelque peu l’image du pouvoir islamique en Occident. Le retour en force des conservateurs sur la scène politique intérieure iranienne a, lui, résolument changé la donne. Reste maintenant à savoir quelles en seront les conséquences pour les Iraniens et l'économie du pays.

Voir le dossier complet : sur le site de http://www.caucaz.com/

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