samedi, juin 18, 2016

Faut-il aller en Iran ?

Avec la levée des sanctions, les opportunités d'affaires se développent à vitesse grand V. L'Iran n'a rien d'un eldorado pour autant. Le marché est complexe.

Dirigeants qui n'avez jamais mis un pied à l'international, passez votre chemin. L'Iran - 5% de croissance attendus en 2016 -, n'est pas un territoire qui s'ouvre facilement aux primo-exportateurs. Ce sont 43 PME, triées sur le volet, et surtout déjà rodées aux affaires hors frontières, que la chambre de commerce et de l'industrie d'Ile-de-France a emmenées début juin pour un voyage de prospection dans l'ancienne Perse. Sur place, des représentants de Business Franceet des consultants privés les attendaient pour les mettre en relation avec de potentiels partenaires commerciaux. Estelle Gillot-Valet, responsable du service développement des marchés internationaux dans cette CCI, nous livre son éclairage sur ce pays qui, depuis la levée officielle des sanctions en janvier 2016, fait saliver bien des chefs d'entreprise.  

Quels sont les secteurs porteurs aujourd'hui en Iran?  

Dans l'énergie, l'industrie, les mines et la sidérurgie, équipementiers et prestataires de service peuvent faire des affaires. Dans les télécoms et les TIC, beaucoup de projets sont également envisageables : l'Iran est le premier marché télécoms du Moyen-Orient, et la population, éduquée, est avide de nouvelles technologies. Les secteurs de l'environnement et des services urbains sont à regarder de près également. Les Iraniens ont des problèmes sérieux de gestion de l'eau et des déchets, et plus globalement des problématiques de pollution à gérer. Sur le plan de la santé, les fournisseurs d'équipements médicaux peuvent avoir une carte à jouer, sachant que des projets de construction d'hôpitaux sont en cours. Le marché de la cosmétique est un vrai eldorado, c'est le deuxième de la région après l'Arabie Saoudite. Les Iraniennes sont notamment de grandes consommatrices de maquillage. La notoriété et l'image de la marque France dans ce domaine est un atout, même si au niveau des réseaux de distribution, cela peut être un peu compliqué. Je pourrais citer aussi le potentiel dans l'équipement agro-alimentaire ou l'équipement touristique. Pour résumer, les opportunités sont un peu partout.  

Mais le marché reste difficile d'accès...  

Les questions financières restent problématiques. Pour l'instant, la promesse de levée des sanctions ne se traduit pas dans les faits. Les entreprises françaises ont beaucoup de mal à trouver un partenaire bancaire pour les accompagner. Il existe bien des petites banques, dans l'Hexagone, qui n'ont pas d'intérêts aux Etats-Unis et qui donc, n'ayant pas peur des amendes, acceptent d'investir. Mais elles prennent des frais très importants, qui ne peuvent que rogner totalement la marge de l'entreprise. Il faut être patient, la situation va finir par s'améliorer, sans doute même du jour au lendemain. C'est l'heure de se positionner, sinon d'autres le feront à notre place. Rien qu'en Europe, les Italiens, les Allemands, les Autrichiens, ou les Suisses, sont particulièrement pro-actifs.  

A quoi ressemble le pays, aujourd'hui?  

Les dirigeants des PME que nous avons accompagnés sur la mission ont été étonnés. Les sanctions ont eu des effets lourds sur les entreprises iraniennes, mais celles-ci ont quand même su faire preuve d'intelligence pour trouver des montages légaux pour faire tourner leur activité et donc le pays. On est donc face à un pays industriel qui a fait face à ses besoins de base. Téhéran est une ville propre, le parc automobile ne fait pas honte, les services publics fonctionnent correctement. Les choses sont plutôt organisées et structurées.  

Décrivez-nous les entrepreneurs iraniens ?  

Ils ont l'habitude de travailler avec des partenaires étrangers. Ce sont de très bons négociateurs, des commerciaux historiquement réputés. Ils sont exigeants, voire impatients. Avec les Français, ils trouvent que cela va trop doucement. Ce n'est pas rare qu'ils veuillent vous faire signer "sur le champ". En ce moment, ils sont extrêmement sollicités, voient donc défiler beaucoup de monde. Il faut avoir cela en tête et faire du suivi après chaque rencontre.  

Peut-on être investisseur à 100% dans ce pays ?  

Oui, ce n'est pas comme en Chine, on n'a pas besoin de "sponsor". L'Iran s'aborde comme tout autre marché : il faut se demander quelle est la meilleure approche, d'une domiciliation "légère" à la création d'une structure avec un partenaire local. Faire appel à un volontaire international en entreprise (VIE) n'amènera pas forcément les résultats commerciaux attendus si le jeune diplômé n'est pas fortement accompagné. Mais c'est vrai dans tous les pays. En ce qui concerne les formalités à effectuer pour s'implanter, elles sont assez complexes. L'Iran est classé 118e pour la facilité à faire des affaires, dans le classement Doing Business de la Banque Mondiale. C'est dire s'il y a une marge de progression.  

Parmi les gros points noirs du pays, il y a les droits de l'homme et la corruption. 

Comment avez-vous abordé ces sujets avec les PME que vous avez accompagnés là-bas ?  

Nous avons peu abordé le sujet des droits de l'homme. La Chine est le premier pays qui pratique la peine de mort. On ne remet pas pour autant en cause le fait de faire du business avec les Chinois. Tout le monde est capable de faire le distinguo entre la politique et les individus. Les entrepreneurs français vont nouer des relations avec des entrepreneurs iraniens, pas avec le gouvernement. Et puis, l'ouverture peut amener des pays à évoluer. En ce qui concerne la corruption, nous les avons sensibilisées au risque qu'il y a à entrer dans ce jeu. 

Source : L'Express 17 juin 2016, Marianne Rey

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