lundi, juin 20, 2016

Accès au marché iranien : les obstacles ne sont pas encore totalement levés

Quatre PME françaises témoignent.

Vivaction  : « La France doit clarifier les règles envers l'Iran »

L'opérateur français B to B Vivaction, qui a inventé une « square box » pour sécuriser les transactions pour les travailleurs nomades, a trouvé le partenaire iranien pour lequel il pourrait mettre en place un réseau mobile virtuel. Il est sur le point de finaliser le contrat et la question des paiements est un problème. « On a besoin d'un signal clair du Trésor comme de son aval. Il faut aussi que le système financier français passe des accords avec les petites banques qui acceptent de négocier avec l'Iran », demande Richard Marry, PDG de Vivaction. Or toutes les grandes banques françaises sont à l'arrêt, car l'interdiction américaine de réaliser des opérations libellées en dollars avec l'Iran n'a pas encore été levée.


Dans un premier temps, le patron de PME basée à Suresnes envisage de faire de la compensation avec son partenaire pour éviter des transferts, mais cela ne pourra pas durer. Vu le manque de cash des entreprises iraniennes, les exportateurs français doivent prévoir des avances de trésorerie jusqu'à six mois, ce qui est très lourd. Les entreprises étrangères qui commercent avec l'Iran passent par des intermédiaires financiers, notamment à Dubaï, mais aussi par des petites banques des Länder allemands, des banques italiennes ou belges très motivées pour accompagner les exportateurs pionniers en Iran. Cela peut signifier un surcoût des transactions de 1,5 % à 2 %, mais « c'est le prix à payer pour avoir une longueur d'avance sur ce marché », constate Richard Marry. 

Ecomundo  : « Le cash manque »

Patron d'Ecomundo, une société de logiciels spécialisée dans la gestion du risque chimique - elle évalue les enjeux environnementaux et simplifie les processus réglementaires dans le cadre de la mise sur le marché de nouveaux produits -, Pierre Garçon est venu faire une première reconnaissance à Téhéran. Pour y trouver des interlocuteurs « qui ont des exigences en matière réglementaire qui sont les mêmes qu'en Europe, voire qui vont plus loin ! » Reste que les complexités de financements rendent les affaires difficiles. « Les comptes sont rémunérés à hauteur de 20 % en Iran, et les intérêts d'emprunts sont prohibitifs », constate-t-il. « Les Iraniens n'ont aucune culture de l'emprunt », confirme une consultante iranienne. Il est très difficile pour une entreprise iranienne de se constituer un fonds de roulement suffisant pour payer ses fournisseurs étrangers en temps et en heure. La PME étrangère doit pouvoir absorber des délais de paiement très longs, subventionnant en quelque sorte son client. Peu de petites entreprises ont ce genre d'aisance. A cela s'ajoute le fait qu'il existe deux taux de change : les devises qui s'écoulent au taux fixé par le gouvernement sont 20 % à 25 % plus cher que celles achetées au marché parallèle. Même avec une inflation qui a été ramenée autour de 10 %, les taux sont encore irréconciliables. 

« Le passé entre les entreprises compte, il faut entretenir la relation »

Constructeur de fours industriels, la PME lyonnaise EFR (European Furnace Ropion) essaie de mobiliser une offre rhônalpine pour séduire les Iraniens, en s'associant à d'autres rejetons, comme lui, de Pechiney avec la société Sermas (sciage de l'aluminium) ou d'autres comme Novelis PAE, spécialisée dans les équipements et les machines pour les fonderies d'aluminium. Ils visent des entreprises locales qui veulent monter en gamme et se moderniser et qui génèrent déjà du cash. « Téhéran veut concurrencer les fournisseurs d'aluminium des Emirats arabes unis et reprendre son marché intérieur où il y a de gros besoins dans l'industrie et le bâtiment », explique Maxime Delean, ingénieur projets-ventes chez EFR. Le pays a beaucoup importé, notamment de Chine. L'entreprise a de bons contacts avec des prospects qu'elle a connus par le passé, quand elle faisait des fours pour fabriquer du verre, avant d'abandonner ce marché, pour se concentrer sur la production de fournaise pour l'aluminium et l'acier. Entrée sur le marché iranien dès 1995, EFR a dû en partir en 2008 en raison des restrictions commerciales imposées par l'Union européenne à la suite des sanctions de l'ONU envers l'Iran. Mais les liens ne se sont jamais complètement distendus. Ce qui facilite les approches pour envisager un retour. « On a une relation privilégiée, il y a une histoire et il est important en Iran d'investir le temps nécessaire à la construction d'une relation, cela veut dire beaucoup de déplacements », observe Maxime Delean.

C4E Technologies  : « Il y a un fort potentiel »

Président de C4E Technologies, une société d'Evry spécialisée dans les automatismes et la régulation d'énergie, le Franco-Iranien Aliréza Barari a pu profiter de sa connaissance du farsi (le persan) pour sonder les opportunités du marché iranien. Elles sont énormes. « L'Iran a pris conscience de la nécessité de réaliser des économies d'énergie. Le pouvoir veut rénover, mettre aux normes et maîtriser la production de chaleur de plus de 600.000 unités ! » Selon lui, l'Iran est un marché comme un autre, avec du potentiel mais aussi des difficultés supplémentaires. « Quand il faut une demi-journée en France pour créer une société, on est obligé de passer par des avocats en Iran. » Ces derniers vont l'aider pour les démarches administratives, mais cela engendre des coûts supplémentaires. N'ayant jamais fait d'affaires en Iran, Aliréza Barari - malgré la maîtrise de la langue - ne se sent pas particulièrement avantagé. Lors de sa visite à Téhéran, il a trouvé des Iraniens basés en Grande-Bretagne avec qui il va s'associer pour créer une société commune en Iran. « Nous voulons exporter notre savoir-faire chauffage », explique-t-il. Il faudra au moins six mois pour que les choses se mettent en place, tant les règles comptables et administratives ou financières sont différentes. Il y a aussi le risque qu'elles changent brutalement, à la faveur d'une législation.

Les banquiers sont tétanisés 

Le point d'achoppement est vite trouvé : comment se faire payer par des entreprises iraniennes qui manquent de fonds de roulement ? Comment réaliser des transactions et investir dans un pays avec lequel les échanges libellés en dollars sont encore interdits ?

« Les compagnies d'assurance nous accueillent à bras ouverts. Beaucoup d'industriels vont s'installer et vont prendre des commandes. Nous, on va être bloqués par les banques », se lamente Emmanuel Pellerin, directeur général de Cap Marine, un courtier d'assurances maritimes et de transport basé à Rouen.

Après les amendes records que les grandes banques françaises ont dû payer aux Etats-Unis pour avoir violé des embargos, elles sont tétanisées. « Mon banquier m'a menacé de fermer mon compte si jamais je prononçais à nouveau le mot "Iran" devant lui », ironise un chef d'entreprise.

Pour les vieux routiers du commerce en Iran, des circuits fonctionnent très bien, notamment par Dubaï. De petites banques européennes ou asiatiques, qui n'ont pas d'intérêts aux Etats-Unis, sont actives. Mais le problème du financement de projet est réel. Pour y pallier, certains Etats, comme l'Allemagne, l'Italie ou la Belgique, ont ouvert des lignes de crédit pour subventionner le commerce de leurs entreprises avec l'Iran.

Il faut encadrer les négociations par des accords de confidentialité avant d'entrer dans le vif des discussions, conseille un avocat qui opère depuis Paris et Téhéran. Et ne pas hésiter à encadrer le contrat par du droit français qui a souvent inspiré la législation iranienne comme de recourir à des juridictions françaises en cas de contentieux plutôt qu'à de l'arbitrage international, souvent très coûteux.

En Iran plus qu'ailleurs, les exportateurs français doivent s'assurer que leurs partenaires iraniens ne contreviennent pas aux sanctions encore en place. La détention d'un passeport américain par un manager iranien pourrait ainsi poser problème.

Deux petites banques privées françaises, qui n'ont pas d'avoirs aux Etats-Unis, s'installent sur le marché des transactions avec l'Iran : Wormser Frères et Delubac & Cie.

Source : Les échos du 13 juin 2016

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