samedi, mars 12, 2005

Pour contourner la tutelle russe, les pays de la mer Noire misent sur la coopération régionale

Le passé communiste hante les anciens satellites de Moscou

Pour contourner la tutelle russe, les pays de la mer Noire misent sur la coopération régionale

Si la « révolution orange » n'a pas eu lieu en Moldavie, une république ex-soviétique de 4,3 millions d'habitants où le parti communiste en place vient de remporter les législatives du 6 mars, des bouleversements s'annoncent dans ce petit pays coincé entre l'Ukraine et la Roumanie, au coeur d'un espace en pleine mutation, celui de la mer Noire. Pour la première fois, trois Etats de la zone, la Moldavie, l'Ukraine et la Géorgie viennent de s'engager sur la voie d'une coopération régionale. Un concept étranger à l'aire post-soviétique, familière du « tête à tête » avec Moscou.

Ainsi l'Ukrainien Viktor Iouchtchenko, le Géorgien Mikhaïl Saakachvili et le Moldave Vladimir Voronine se sont-ils donné rendez-vous le 22 avril à Chisinau où se tiendra un sommet du Guuam (Géorgie, Ukraine, Ouzbékistan, Azerbaïdjan, Moldavie), une organisation régionale née à la fin des années 1990, pour contrecarrer l'hégémonie russe sur sa « périphérie », mais restée inopérante.

« La révolution orange s'est produite dans la tête de Vladimir Voronine », assure Arcadie Barbarosic qui dirige l'Institut de politique publique lié au Fond Soros à Chisinau. Resté jusque-là dans l'orbite de Moscou, l'ancien apparatchik Vladimir Voronine n'entretenait que peu de relations avec ses voisins. Il s'était brouillé avec la Roumanie au sujet d'un traité de coopération, était en froid avec l'Ukraine soupçonnée de fermer les yeux sur la contrebande depuis la Transnistrie (une enclave russophone entre Moldavie et Ukraine qui échappe au contrôle de Chisinau) et ignorait la Géorgie, république méridionale sur la rive orientale de la mer Noire.

LA QUESTION ÉNERGÉTIQUE

Désormais tourné vers l'Union européenne, ce général de la police, ancien ministre de l'intérieur, tente de suivre « le principe de base du contrat européen : l'établissement de bonnes relations avec son voisinage », explique un diplomate occidental. Mais la réanimation annoncée du Guuam, créée pour faire pendant à la CEI (Communauté des Etats indépendants, une organisation informelle créée lors de l'implosion de l'URSS en 1991) a une autre dimension. « Elle est centrée sur l'énergie, sur la nécessité de diversifier les routes d'approvisionnement des hydrocarbures venus d'Asie centrale », explique Alex Grigorievs, le représentant du National Democratic Institute (NDI), la fondation du Parti démocrate américain, chargée depuis un an d'une mission de conseil auprès des formations politiques locales.

« L'Ukraine, la Moldavie, la Géorgie ont beaucoup de points communs. Les trois pays sont dépendants des sources russes d'approvisionnement et subissent pressions et mesures d'intimidation de la part de Moscou », poursuit Alex Grigorievs. A terme, toute la zone de la mer Noire pourrait s'affirmer comme une liaison entre la mer Baltique et la Méditerranée. Ainsi la Géorgie et l'Ukraine apparaissent comme des corridors importants pour le transit du brut de la Caspienne - aux réserves comparables à celle de la mer du Nord, mais enclavées - vers l'Europe. En 2005 devrait être mis en service l'oléoduc Bakou-Tbilissi-Ceyhan (BTC), construit pour transporter le pétrole caspien via la Méditerranée.

Une autre voie de sortie s'offre désormais à l'or noir de la Caspienne, celle offerte par l'oléoduc Odessa-Brody (Ukraine), prévu pour être prolongé jusqu'à la raffinerie de Lódz et au port de Gdansk en Pologne. Jusque-là, le lobby pétrolier russe - aux mains du Kremlin - s'était entendu avec l'ancien président ukrainien Koutchma pour faire fonctionner le pipeline dans l'autre sens et acheminer du pétrole russe de Brody vers Odessa. Mais cet accord ne vaut plus depuis l'élection du nouveau président ukrainien, Viktor Iouchtchenko, soucieux de rapprocher son pays de la Pologne et de l'UE.

En Moldavie, la dépendance de l'énergie russe inquiète les autorités locales, régulièrement menacées de hausses des prix du pétrole et du gaz par le Kremlin, notamment à la veille de chaque scrutin local. Aussi la perspective de nouvelles sources d'approvisionnements (l'Azerbaïdjan et l'Ouzbékistan sont riches en gaz et en pétrole) est-elle une donnée essentielle. Plusieurs tracés d'oléoducs sont à l'étude pour désengorger le passage par le détroit du Bosphore, surchargé, dont un qui transiterait par l'Ukraine et la Moldavie mais aussi la Roumanie et la Hongrie. Ces deux pays ont été invités à rejoindre le prochain sommet du Guuam. La Roumanie, dont le président Basescu devait être reçu, mercredi 9 mars, à Washington, par le président George Bush, ambitionne, elle aussi, de jouer un rôle de puissance régionale.

Une esquisse de coopération régionale qui a irrité la Russie, prompte à y déceler, comme le soulignait le quotidien Nezavissimaïa Gazeta (édition du 2 mars) « une alliance anti-russe ». L'Ukraine et la Moldavie viennent chacune de signer avec Bruxelles un « plan d'action » impliquant une coopération renforcée sur les plans économique et politique. Le 2 mars, la Commission européenne a proposé la même chose à la Géorgie, l'Azerbaïdjan et l'Arménie (non membre du Guuam). Chisinau attend enfin l'ouverture promise d'une représentation de l'UE sur ses terres ainsi qu'une aide de 42 millions d'euros.

Mais plus que la soudaine vocation européenne de ces pays, c'est leur volonté affichée de rejoindre l'OTAN qui est vue comme une menace par le Kremlin. Les autorités géorgiennes viennent de signer un partenariat renforcé avec l'OTAN qui fera de ce pays des bords de la mer Noire un lieu de transit du matériel et des forces de l'Alliance vers l'Afghanistan. « Et bientôt vers l'Iran ? », interroge la presse russe. L'Ukraine jouit déjà d'un statut spécial au sein de l'Alliance. Quant à la Moldavie, pays le plus pauvre de l'espace européen après l'Albanie, elle s'est récemment placée dans l'orbite de la Roumanie, laquelle s'apprête à héberger des bases de l'OTAN.

par Marie Jégo, Article paru dans l'édition du 11.03.05 du Monde

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