dimanche, mars 20, 2005

L'envolée des prix du pétrole provoque une course aux ressources

L'émergence de la Chine entraîne une flambée des cours que l'Arabie saoudite est incapable d'endiguer. La Russie accroît son emprise sur l'Europe, grâce à son gaz. Américains, Chinois et Européens se livrent une concurrence féroce pour contrôler les hydrocarbures d'Asie centrale et d'Afrique

Les cours du brut ont atteint un nouveau record, jeudi 17 mars, le baril cotant 56,60 dollars à New York avant de refluer. Cette envolée, due entre autres à l'émergence de la Chine, rend crucial l'accès des pays consommateurs aux hydrocarbures. L'Arabie saoudite, qui détient le quart des réserves mondiales de brut, ne parvient pas à juguler les cours, alors que le Proche-Orient reste une POUDRIÈRE. Les Européens connaissent une situation dedépendance très forte à l'égard du gaz russe. Chinois et Occidentaux cherchent à diversifier leurs approvisionnements, en Afrique et en Asie centrale. L'envolée des cours permet à de nouveaux producteurs d'émerger. L'impact de ce choc sur les économies occidentales est plus faible que dans les années 1970. En Europe, le choc a été atténué par l'appréciation de l'euro.

AREMENT le pétrole a autant justifié son appellation d'« or noir ». Les prix flambent sur un marché devenu si spéculatif que, la semaine dernière, le cours de 100 dollars le baril a été atteint lors d'une transaction.

La vague de froid en Europe et aux Etats-Unis explique, pour partie, la poussée des cours. La chute du dollar est un autre élément d'explication. Même si les prix du brut ont doublé depuis avril 2002, la hausse, exprimée en euros, ne dépasse pas 30 %. Si la baisse du billet vert continue, les producteurs seront tentés de la compenser en augmentant les cours.

Sur le long terme, la demande de pétrole va continuer à croître beaucoup plus que prévu, notamment en Chine et aux Etats-Unis, du fait de la croissance économique. A la différence des crises précédentes, celle-ci ne peut être mise sur le compte d'une OPEP qui aurait réduit sa production pour doper les prix.

La croissance de la Chine en quête d'énergie.

Les experts ont tout faux. Ils prédisaient, naguère, que la Chine deviendrait l'un des principaux producteurs du monde de brut. En réalité, elle devenue le deuxième plus gros... consommateur. Les importations de pétrole ont augmenté d'un bon tiers en 2004, sous l'effet d'une croissance économique phénoménale. Dépendante pour les trois quart de ses importations, la Chine a entrepris de se doter de sources d'approvisionnements diversifiées au point que son approche des affaires internationales est désormais assujettie à une « diplomatie pétrolière ». Le soutien de Pékin au Soudan et à l'Iran, par exemple, n'est pas étranger aux ressources pétrolières de ces pays.

La soif de pétrole de Pékin se traduit par une frénésie d'investissements sur tous les continents. En Afrique, la Chine, qui n'avait que l'Angola (marxiste) comme fournisseur, s'est installée au Soudan. Depuis 2004, suite à la visite du président Hu Jintao au Gabon, elle a accès au pétrole de ce pays, où elle a entrepris de réhabiliter de vieux champs pétroliers. La Chine est aussi très présente en Iran.

Les dernières cibles en date pour les planificateurs chinois sont le Venezuela et la Russie. Après la volte-face de cette dernière en faveur du Japon pour l'acheminement du pétrole de Sibérie orientale, Pékin a retrouvé un terrain d'entente avec Moscou. cela devrait se traduire par l'entrée des Chinois dans le capital d'une filiale de la compagnie russe Ioukos, et leur participation à divers projets en Asie centrale. Même les Etats-Unis intéressent Pékin : l'une des compagnies chinoises est en lice pour reprendre les actifs d'Unocal, le neuvième pétrolier américain.

Le Moyen-Orient fragilisé et mal contrôlé.

Le Moyen-Orient reste la région pétrolière la plus stratégique du globe. Elle est aussi la plus fragile du point de vue politique. A la mi-décembre 2004, Oussama Ben laden a appelé - pour la première fois - à détruire des installations pétrolières « en Irak et dans le Golfe ». L'Arabie saoudite est particulièrement visée pour sa politique d' « alliance avec l'infidélité mondiale dirigée par Bush ». Les menaces sont d'autant plus graves que l'Arabie Saoudite détient les plus importantes réserves prouvées de la planète.

Le royaume saoudien joue un rôle irremplaçable pour équilibrer les marchés, même s'il refuse désormais de jouer seul le rôle de swing producer (producteur d'appoint) qui était le sien dans les années 1970 et 1980. C'est bien lui, par ses gisements, qui joue le rôle d'assureur de dernier recours quand l'or noir vient à manquer.

Qui contrôle le pétrole du Golfe, au-delà du refus de nombre de ces pays à s'ouvrir aux grandes compagnies internationales ? « Personne, et c'est bien cela l'enjeu du moment, note Pierre Terzian, de la revue Petrostratégies. Mais tout le monde essaie, les Chinois, les Indiens, les Européens et évidemment les Américains »

La Russie, acteur majeur ravie de maintenir l'Europe dans sa dépendance.

Vladimir Poutine entend utiliser la conjoncture exceptionnelle des prix du pétrole pour faire de la Russie un « géant mondial de l'énergie » contrôlé par l'Etat via une sorte d'« Aramco russe », sur le modèle saoudien. Mais la mise en place de cette compagnie géante russe des hydrocarbures se fait dans la douleur. Il s'agit de faire fusionner trois entités : le monopole Gazprom (qui détient près de 30 % des réserves mondiales de gaz naturel), la société publique pétrolière Rosneft et une structure représentant plus de la moitié du pétrolier privé Ioukos, de facto confisquée par l'Etat en décembre 2004. Des luttes d'influences au sein de l'entourage de M. Poutine ont rendu le processus chaotique et confus, semant la consternation chez les investisseurs.

Ceux-ci n'ont pas la partie facile : le gouvernement russe entend les tenir à l'écart de l'exploitation des grands gisements de Sibérie, dans un réflexe de « nationalisme économique » qui compliquera, dans les années à venir, le financement des grands projets d'oléoducs.

Un autre grand objectif de Vladimir Poutine est d'accroître la dépendance de l'Europe aux ressources énergétiques russes, afin d'élargir sa marge de manoeuvre politique dans toute la région. L'Union européenne importe aujourd'hui 49 % de son gaz de Russie. Environ le tiers des besoins de l'Allemagne en pétrole et gaz sont couverts par Moscou. L'Union européenne dépendra de la Russie pour 81 % de ses importations de gaz en 2030.

Le désenclavement du pétrole d'Asie centrale.

La plus grande mer fermée au monde (400 000 km2 bordés par la Turquie, l'Iran, la Russie) recélerait des réserves d'hydrocarbures équivalentes à celles de la mer du Nord. Après l'effondrement de l'URSS, les « majors » anglo-américaines se sont donc ruées vers les jeunes États émergents de son pourtour (Azerbaïdjan, Kazakhstan, Turkménistan).

Mais comment évacuer les hydrocarbures de cette région enclavée, jusque-là tournée exclusivement vers la Russie ? La région s'est retrouvée, dès le début des années 1990, au coeur d'un vaste projet d'acheminement des hydrocarbures qui lui a donné l'allure d'un terrain de jeux où Moscou, Washington, Téhéran et Pékin s'affrontent à coup de tracés concurrents. Les administrations américaines successives ont, par exemple, fait du projet de construction du pipeline Bakou-Tbilissi-Ceyhan (BTC) la pièce maîtresse de leur politique dans la zone.

Longue de 1760 kilomètres, la conduite est supposée relier, via la Géorgie, les gisements offshore de l'Azerbaïdjan au port turc de Ceyhan, sur la Méditerranée, ce qui mettra, dès sa mise en service - prévue pour le deuxième semestre 2005 - le brut de la Caspienne à la portée des marchés mondiaux. Il est décrit par les pétroliers comme « le plus politique des tracés ».

La rentabilité de ce tube (4 milliards de dollars d'investissements) ne pourra être atteinte que si le pétrole du Kazakhstan y transite. Or, le Kazakhstan a d'autres projets en tête. En mai 2004, il a signé avec la Chine un accord pour la construction d'un oléoduc entre Karaganda et le Xinjiang (1000 kilomètres), ce qui inquiète Moscou et Washington, qui craignent une mainmise chinoise sur les réserves.

Avec le succès de la « révolution orange », voici qu'une autre voie de sortie s'offre à l'or noir de la Caspienne : celle de l'oléoduc Odessa-Brody (Ukraine), prévue pour être prolongée jusqu'au port de Gdansk, en Pologne.

Les Etats-Unis en quête de sécurité d'approvisionnement.

Avec 5 % de la population et un tiers de l'économie mondiale, les Etats-Unis sont le premier consommateur d'énergie de la planète et leurs besoins augmentent au même rythme de leur croissance économique. Cette demande peut de moins en moins être satisfaite par les ressources domestiques. Les importations d'énergie devraient représenter 38 % de la consommation en 2025 contre 27 % en 2004. La dépendance envers le pétrole étranger est déjà aujourd'hui d'une tout autre ampleur. La production américaine d'or noir diminue et les réserves sont faibles. Elles correspondent à onze années de production. C'est l'une des raisons avancées par l'administration Bush pour obtenir du Congrès, mercredi 16 mars, l'autorisation de mener des recherches en Alaska dans les zones naturelles protégées. « Nous ne sommes plus une puissance mondiale si quelqu'un peut décider de nous priver de pétrole », a expliqué le sénateur républicain Pete Dominici pour justifier son vote favorable.

Même si du pétrole et du gaz sont trouvés en quantité en Alaska, cela ne sera pas suffisant pour réduire la dépendance énergétique. Il faudrait un changement majeur de mode de vie et de développement dont les Américains et leurs dirigeants, quel que soit leur bord politique, ne veulent même pas entendre parler. Cela signifie qu'il est stratégique pour les Etats-Unis à la fois de diversifier et de sécuriser leurs approvisionnements auprès des pays dotés de réserves importantes et politiquement stables.

Selon le département de l'énergie, la diversification commencée depuis trente ans porte ses fruits. Le pétrole provenant du golfe Persique ne représente plus que 25 % des importations. L'Arabie saoudite en fournit à elle seule 16 %, mais n'est plus que le troisième fournisseur des Etats-Unis derrière le Canada et le Mexique. Le Venezuela occupe la quatrième place et le Nigeria la cinquième.

Le phénomène nouveau des dernières années est l'émergence de l'Afrique subsaharienne comme source d'approvisionnement de plus en plus importante. Les Etats-Unis y achètent déjà 16 % de leur pétrole importé, autant qu'en Arabie saoudite, et cela devrait passer à 25 % en 2015.

Article paru dans l'édition du Monde du 19.03.05

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