samedi, janvier 25, 2014

A Davos, l'offensive de charme du président iranien Hassan Rohani

Cela va-t-il devenir une habitude ? Quatre fois après son show devant l'assemblée générale de l'ONU, le président iranien Hassan Rohani a de nouveau volé la vedette à son adversaire, le premier ministre israélien Benyamin Nétanyahou, jeudi 23 janvier au Forum économique mondial de Davos, en montant une opération de charme à destination des hommes d'affaires occidentaux, invités à investir en Iran.


Très applaudi par un auditoire qui, visiblement, avait envie d'entendre ce discours, M. Rohani a affirmé que « l'engagement constructif » était « l'un des piliers » de lapolitique de son gouvernement, et qu'il entendait le mettre au service d'une ambition : intégrer l'Iran dans le groupe des économies émergentes. « L'Iran a le potentiel pour être dans les dix premières économies mondiales dans les trois prochaines décennies, a-t-il dit. Son économie est prometteuse et peut rejoindreles économies émergentes. »

NORMALISER LES RELATIONS DE L'IRAN AVEC L'UE

Le président iranien souhaite pour cela renouer des relations commerciales avec les pays de la région, notamment la Turquie et la Russie. La mise en œuvre de l'accord sur le nucléaire iranien que son pays négocie avec la communauté internationale et auquel il a « une volonté forte et sérieuse » de parvenir permettra à l'Iran de « normaliser ses relations avec l'UE ». Avec les Etats-Unis, Téhéran « a aussi abordé une nouvelle phase ces derniers mois ». Tout cela, a-t-il résumé, constitue « une évolution majeure depuis la révolution islamique ».

Réaffirmant que son pays n'avait aucune ambition nucléaire militaire, mais que les Iraniens « n'étaient pas prêts à abandonner la technologie » qui leur permettrait deproduire de l'énergie nucléaire civile, le président iranien s'est aussi déclaré prêt àparticiper à l'effort collectif pour la sécurité énergétique mondiale. Très à l'aise face à un auditoire de plus d'un millier de participants au Forum de Davos, qu'il a « tous » invités à venir en Iran, volontiers souriant, la barbe soignée et le regard vif derrière ses fines lunettes, M. Rohani est incontestablement lancé dans une offensive de charme pour donner l'impression que son pays est désormais ouvert aux affaires, dans la perspective de la levée des sanctions.

Dans une conversation avec un petit groupe de journalistes, un peu plus tard, il a même plaisanté sur son compte Twitter et avoué qu'il ne tweetait pas lui-même : il laisse ce soin à « ses amis ». Sur la politique étrangère dans la région, cependant, il n'a rien lâché, dans ses réponses aux questions du Pr Schwab, fondateur du Forum de Davos. En Syrie, il propose d'essayer de « cesser le bain de sang », puis d'en faire sortir « les terroristes venus d'ailleurs » et enfin d'y organiser des élections libres, « sans interférence des forces étrangères ». Quant à Israël, rien n'a bougé : lorsque le Pr Schwab lui a demandé s'il voulait de meilleures relations avec « tous » les pays de la région, sans exception, M. Rohani a précisé, avec un grand sourire : « Avec tous ceux que nous reconnaissons.»

« PROCÉDER AVEC PRUDENCE » 

Pour Vali Nasr, doyen de l'école internationale de la Johns Hopkins University à Washington et spécialiste de l'Iran, la performance de M. Rohani à Davos a consisté à « dépasser la question nucléaire et à mettre l'accent sur l'intégration de son pays à l'économie régionale et mondiale, ce qui est un accent nouveau »« Ce président veut donner une image différente, a analysé un autre expert, iranien, qui a souhaité rester anonyme. Il ne mêle aucune idéologie ni rhétorique révolutionnaire à son discours. Il est décidé à utiliser toutes les occasions possibles de s'adresser au monde, et en particulier aux Américains et aux Européens. »

Et Davos lui fournit une excellente tribune. Un peu plus tard, le secrétaire américain au Trésor, Jacob Lew, a cependant tempéré l'éventuel enthousiasme que le président iranien pouvait avoir suscité, en mettant en garde les entreprisesaméricaines. Dans une interview à la BBC, il les a invitées à « procéder avec prudence » et à ne pas se précipiter en Iran alors que la majorité des sanctions sont encore en place.

Intervenant à la même tribune quelques heures plus tard, Benyamin Nétanyahou savait qu'il lui est plus difficile de contrer Hassan Rohani que son prédécesseur, Mahmoud Ahmadinejad. La délégation israélienne à Davos s'était renforcée, avec Shimon Peres et Tzipi Livni. Le premier ministre israélien s'est livré à un brillant numéro de promotion d'Israël, « nation de l'innovation » technologique, mais a cessé de sourire lorsqu'il a été interrogé sur la prestation du président iranien. « Oui, il y a un changement de discours, a-t-il dit, mais pas de changement dans les actes. Il fustige les interventions étrangères en Syrie ? Mais nous savons tous que l'Iran intervient en Syrie avec ses gardes révolutionnaires sur le terrain ! »

Le Monde du 24 janvier 2014

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