vendredi, août 17, 2012

Areva : vers une entrée au capital du Qatar ?


Elisabeth Studer - leblogfinance.com



Discussions soutenues autour d’Areva et du Qatar pour une participation dans le groupe nucléaire civil français.

C’est en effet ce qu’a déclaré samedi dans un entretien au Figaro le Premier ministre qatari Cheikh Hamad Bin Jassim Bin Jabr al-Thani. Peut-être une « élégante » manière de régler le différend qui oppose la France, Areva et l’Iran – pays voisin et associé  du Qatar - depuis de nombreuses années, sous fond de financement par Téhéran du site du Tricastin (Eurodif/Sofidif) et de livraison d’uranium enrichi.
 - Le Qatar  en pourparlers avec Areva
« Nous sommes notamment en discussions pour entrer au capital d’Areva. Pour l’instant, nous en sommes toujours au stade des pourparlers », a déclaré ainsi le Premier ministre. Lequel a par ailleurs déclaré que le Qatar et la France devraient signer « plusieurs accords » à  l’occasion du 5e Forum pour l’investissement dédié à la région, lequel doit se tenir à  Paris les 25 et 26 mars.
« Nous sommes ouverts à tout investissement qui pourrait apporter un bénéfice aux deux parties. Nous avons déjà  investi beaucoup en Europe dans les domaines financier, industriel et même agricole et nous sommes prêts à  envisager d’autres initiatives » a poursuivi Cheikh Hamad Bin Jassim Bin Jabr al-Thani.
-  Areva pour une ouverture du capital
Rappelons qu’en juin 2009, le gouvernement français avait décidé l’ouverture du capital du groupe nucléaire Areva à  hauteur de 15%. En janvier 2010, Anne Lauvergeon, la présidente du groupe français avait confirmé que « plusieurs investisseurs », dont des étrangers, avaient été sélectionnés pour prendre part aux discussions.
Parmi ces derniers pourraient figurer outre le fonds souverain du Qatar, le japonais Mitsubishi Heavy Industries (MHI) ou le fonds souverain du Koweï.
-  Partenariats financiers avec des pays tiers … dont l’Iran ?
Mais le Premier ministre a également laissé entendre que des partenariats financiers franco-qatariens pour investir ensemble dans les pays tiers pourraient être envisagés … laissant la porte ouverte au partenariat croisé … avec l’Iran ?
Précisons à  cet égard que le ministère français des Affaires étrangères a indiqué vendredi que la France discutait avec la Russie de la construction par Moscou de la centrale nucléaire de Bouchehr, dans le sud de l’Iran.
« La mise en oeuvre de ce projet soulève des questions que ses partenaires abordent avec la Russie dans le cadre du dialogue que les uns et les autres ont avec ce pays. On en discute avec eux », a ainsi affirmé le porte-parole du Quai d’Orsay, Bernard Valero. Se refusant à  tout détail sur le contenu précis de cette discussion.
« La Russie s’est engagée à livrer le combustible pour cette centrale qui sera la seule en activité en Iran. Cette centrale ne peut donc être d’aucune manière une justification aux activités l’enrichissement que conduit l’Iran », a fait valoir Bernard Valero.
- Et l’on reparle d’Eurodif
Dans une interview accordée à  l’Express en novembre 2009, le directeur général de l’Agence Internationale de l’Energie Atomique (AIEA), Mohamed ElBaradei avait tenu quant à  lui à  rapporter les propos tenus par le président iranien Mahmoud Ahmadinejad, lors de sa visite à Téhéran.
Indiquant ainsi que le dirigeant iranien avait alors souligné que son pays avait déjà  eu une mauvaise expérience avec la France, laquelle n’avait pas honoré, après la révolution islamique, des livraisons d’uranium enrichi pourtant contractualisées. Allusion à peine voilée au contentieux Eurodif …
Rappelons qu’en mars 2007, soit avant les élections présidentielles, Roland Dumas s’était rendu à  Téhéran, pour s’entretenir avec des dignitaires du régime sur le dossier du nucléaire iranien. 
Présenté par la presse iranienne comme un "envoyé spécial français", l’ancien ministre des Affaires étrangères n’était pas mandaté par Paris, le Quai d’Orsay évoquant un « déplacement privé».
Roland Dumas répondait à  une invitation d’Ali Akbar Velayati, le conseiller diplomatique d’Ali Khamenei, guide suprême de la République islamique. « Velayati est très proche de Khamenei. Nous nous sommes connus lorsque j’ai réglé avec lui le contentieux Eurodif et l’affaire des otages au Liban », rappellait Roland Dumas.
Ali Akbar Velayati s’activait alors sur la scène internationale, défendant un « paquet de propositions« . Parmi elles, figurait en bonne place l’idée de confier à  un consortium international géré par les Européens le traitement de l’uranium sur le sol iranien. Scénario envisageable : relancer, via Eurodif, la coopération franco-iranienne qui avait notamment abouti à la construction du réacteur nucléaire à usage civil de Darakhoin, près d’Ahwaz.
- Quand l’Iran  finançait le nucléaire français …
Pour rappel, Eurodif est un Consortium propriétaire d’une usine d’enrichissement de l’uranium implantée dans le site nucléaire du Tricastin à Pierrelatte dans la Drôme, et exploitée par une filiale de Areva NC, Eurodif SA. Cette coentreprise a été créée en 1973 entre 5 pays : la France, la Belgique, l’Italie, l’Espagne et la Suède.
En 1975, la part suédoise de 10% dans Eurodif était parvenue à  l’Iran à  la suite d’un accord franco-iranien. La société française nationalisée Cogéma et le gouvernement iranien fondent alors la Sofidif (Société franco-iranienne pour l’enrichissement de l’uranium par diffusion gazeuse), possédant respectivement 60% et 40% des parts. En retour, la Sofidif acquiert une part de 25% dans Eurodif, donnant à l’Iran une part de 10% dans Eurodif. Le Shah d’Iran prête alors un milliard de dollars US (et encore 180 millions de US$ en 1977) pour la construction de l’usine Eurodif, en vue d’obtenir l’autorisation d’acheter 10% de la production d’uranium enrichi du site. Suite à  la révolution islamique de 1979, l’Iran suspend ses paiements et réclame le remboursement du prêt en faisant pression sur la France.
En avril 1979, le premier ministre Raymond Barre inaugure l’usine d’Eurodif. Dans le même temps, l’Ayatollah Khomeiny rompt le contrat de fourniture de centrales nucléaires passé avec la France. Mais il confirme l’actionnariat dans Eurodif de l’Iran qui possède toujours alors 10% des parts de cette usine. La France refuse de laisser l’Iran exercer son statut d’actionnaire d’Eurodif.
En 1981, après la mise en service de l’usine Eurodif, l’Iran réclame 10% de la production d’uranium enrichi auquel ils ont contractuellement droit, ce que la France refuse. De 1981 à  1991, le régime des iranien est soupçonné d’avoir perpétré plusieurs attentats meurtriers, assassinats et prises d’otages.
Le 17 novembre 1986, après plusieurs attentats meurtriers à  Paris, et l’enlèvement de journalistes français (Jean-Paul Kauffmann, Michel Seurat, …) retenus en otage au Liban par des groupes liés à  l’Iran, la France rembourse 330 millions de dollars, mais refuse de fournir toute livraison d’uranium enrichi. Le même jour se produit l’assassinat de Georges Besse, le fondateur d’Eurodif. En décembre 1987 a lieu un 2e versement officiel de 330 millions de dollars par la France à l’Iran.
Le 6 mai 1988, entre les deux tours de l’élection présidentielle, les otages français sont libérés. Le premier ministre Jacques Chirac assure dans un accord avec l’Iran des « garanties politiques sur l’octroi sans restrictions par le gouvernement français de licence d’exportation d’uranium enrichi » et le rétablissement du statut d’actionnaire de l’Iran dans Eurodif sous la condition du retour des derniers otages du Liban.
En septembre 1989, le président François Mitterrand confie à  François Scheer la formalisation d’un accord définitif de règlement du contentieux franco-iranien. Finalement un accord est trouvé en 1991 : la France remboursa plus de 1,6 milliard de dollars. L’Iran est rétabli dans son statut d’actionnaire d’Eurodif via un consortium franco-iranien nommé Sofidif, avec le droit de prélever 10 % de l’uranium enrichi à des fins civiles.
- Qatar et Iran partenaire  dans  le gaz et le pétrole
Mais quid du Qatar dans toute cette histoire me direz-vous ? Précisons que le Qatar partage avec l’Iran l’un des plus grands champs gaziers du monde , Pars South dont les majors pétrolières se disputent les concessions. Le pétrole et le gaz  pourraient bien être encore une fois le nerf de la guerre … désormais « assortis » de l’uranium …
Sources : AFP, Le Parisien, Le Figaro

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