samedi, février 25, 2017

Iran, le nouvel eldorado des entreprises françaises

Les investissements prévus par le gouvernement suscitent les convoitises. Les besoins en infrastructures et les réserves de gaz et de pétrole sont en première ligne.

Depuis la levée des sanctions, le 16 janvier 2016, les groupes français s’activent pour reprendre pied dans un pays de 80 millions d’habitants, qui a des besoins colossaux en infrastructures et dont les réserves de gaz et de pétrole aiguisent les convoitises.

  • UN GISEMENT DE CROISSANCE POUR TOTAL

Présent en Iran depuis 1954, Total est un des plus gros investisseurs français en République islamique. La major française veut surtout y exploiter du gaz. Elle a signé avec la National Iranian Oil Company (NIOC), le 8 novembre 2016, un important accord de principe prévoyant le développement d’un énorme gisement gazier que l’Iran et le Qatar se partagent dans le golfe Persique (8 % des réserves mondiales). Elle devient ainsi la première compagnie pétrolière occidentale à revenir dans ce pays depuis la levée des sanctions décrétées en 2012, suivie un mois plus tard par Shell.

Ce seul bloc du gisement Pars Sud nécessitera un investissement de 4,8 milliards de dollars (4,5 milliards d’euros), dont 2 milliards pour la première étape, qui doit être cofinancée par Total, Petropars (groupe NIOC) et la compagnie pétrolière chinoise CNPC. Mais c’est Total qui sera opérateur du gisement et qui dirigera ce consortium international.

La compagnie avait déjà travaillé sur ce gisement dans les années 2000, avec un projet d’usine de gaz naturel liquéfié (GNL), avant que des questions commerciales, puis les sanctions internationales, ne donnent un coup d’arrêt au projet.

L’élection à la présidence des Etats-Unis de Donald Trump, qui envisage de remettre en cause l’accord de juillet 2015 sur le nucléaire iranien, n’aura « pas de conséquence » sur le projet dans l’immédiat, a récemment estimé Philippe Sauquet, directeur général de la branche « Gas, Renewables and Power » de Total.

  • L’AUTOMOBILE ACCÉLÈRE

S’il est un secteur de l’économie française qui n’a pas chômé pour revenir en force en Iran, c’est bien celui de l’automobile. Pas étonnant : le pays a été, avant les sanctions, un eldorado pour les marques françaises, en particulier pour Peugeot, omniprésent sur les routes iraniennes, et qui revendique encore aujourd’hui 35 % de part de marché malgré un départ précipité du pays au moment de l’embargo.

C’est sur ce territoire conquis d’avance que Carlos Tavares, président de PSA, a signé, début octobre 2016, deux accords stratégiques avec les deux principaux constructeurs iraniens. L’un avec Iran Khodro, le numéro un local, pour fabriquer des Peugeot à Téhéran, l’autre avec le concurrent Saipa pour produire des Citroën à Kashan.
Renault, avec sa part de marché de 4,8 %, court derrière son grand rival mais bénéficie de l’estime du gouvernement pour n’avoir pas quitté le pays pendant les sanctions. Allié à Iran Khodro et Saipa depuis 2003, Renault a obtenu, à l’automne 2016, le privilège de créer une coentreprise détenue à 60 % en partenariat, non pas avec un constructeur, mais avec le conglomérat d’Etat Idro, bras armé économique du régime.

PSA, Renault et leurs partenaires iraniens espèrent faire du pays une base d’exportation au Moyen-Orient. Ils comptent pour cela sur la reconstruction du tissu des fournisseurs. Les grands équipementiers français lorgnent avec plus ou moins de prudence sur ce nouveau marché. Faurecia a annoncé en décembre 2016 la création de deux coentreprises pour fabriquer des échappements et des planches de bord, qui s’ajoutent à celle existant déjà et qui produit des sièges.

LES COMMANDES D’AIRBUS DÉCOLLENT

Les affaires sont les affaires ! Mercredi 11 janvier, les dirigeants d’Iran Air étaient sur le tarmac de l’aéroport de Toulouse-Blagnac pour prendre réception de leur premier appareil livré par Airbus. Un moyen-courrier A321, le best-seller de l’avionneur européen. Un an à peine après la levée des sanctions économiques à l’encontre de l’Iran, Airbus en touche déjà les premiers bénéfices. La fin de l’embargo constitue un véritable effet d’aubaine pour l’avionneur.

Pressé de remplacer une flotte d’avions commerciaux totalement dépassée, Téhéran s’est précipité pour conclure des contrats avec les deux géants de l’aéronautique Airbus et Boeing. L’Iran a signé un contrat portant sur une centaine d’appareils avec le constructeur de Toulouse. Une commande évaluée, prix catalogue, à environ vingt milliards d’euros.

En revanche, Iran Air, qui avait aussi commandé douze long-courriers A380, a préféré y renoncer au moins temporairement. De même, la compagnie aérienne a repoussé l’achat de 747 auprès de Boeing car l’aéroport de Téhéran ne possède pas encore les infrastructures techniques pour recevoir de tels gros-porteurs.

  • DES PERSPECTIVES SOLIDES DANS LE BTP

Les infrastructures de transport, en très mauvais état, aiguisent les appétits des grands groupes du BTP. Dès janvier 2016, Bouygues et Vinci s’étaient lancés sur le marché des aéroports. Le premier, associé à Paris Aéroport, a conclu un accord de principe avec l’Iran pour rénover et exploiter de nouveaux terminaux de l’aéroport international Imam Khomeini de Téhéran. Objectif : porter, en 2020, la capacité de l’aéroport de 6,5 millions à 34 millions de passagers. Vinci, lui a signé une lettre d’intention pour prendre la responsabilité des aéroports de Mashhad et d’Ispahan, respectivement 2e et 5e plates-formes aéroportuaires d’Iran.

« Pour l’instant, nous sommes encore au stade des principes, confie-t-on chez Vinci, pas dans l’opérationnel. La levée des sanctions internationales n’a pas entraîné encore le démantèlement de toutes les réglementations américaines à l’égard de l’Iran, ce qui rend les banques très frileuses. »

Outre les aéroports, les projets de lignes de train à grande vitesse intéressent aussi les Français. « Nous sommes en veille », glisse-t-on ainsi chez Colas (Bouygues). En parallèle, les infrastructures pétrolières et gazières sont dans le viseur des groupes de BTP. Vinci pousse sa filiale Entrepose. « L’Iran est un marché intéressant, mais encore compliqué. Il faut y avancer pas à pas », confie Xavier Huillard, le PDG de Vinci.
Autre Français présent en Iran, Suez, qui a signé un accord-cadre qui prévoit un plan d’action en trois volets accompagné de projets pilotes pour répondre à la crise hydrique sur le court terme. Le groupe a une longue histoire en Iran, sa filiale Degrémont ayant réalisé dans les années 1950 les quatre premières usines de traitement des eaux du pays qui sont toujours en fonctionnement. Comme la plupart des entreprises étrangères, Suez cherche aujourd’hui à structurer, avec les autorités iraniennes, le financement de ces projets.

  • LES BANQUES SUR LA DÉFENSIVE

Tandis que les multinationales s’activent pour capter leur part du marché iranien, ou reprendre d’anciennes positions gelées par les sanctions, les grandes banques internationales et françaises restent en retrait du financement du commerce avec Téhéran.

Trop de risques et de coups à prendre, entend-t-on à Paris, où les esprits restent marqués par l’amende géante de 8,9 milliards de dollars infligée à BNP Paribas par les Etats-Unis, en 2014, pour violation d’embargo, notamment sur l’Iran. La levée des sanctions internationales n’a rien changé, ou presque, à leurs pratiques, alors que Washington accuse l’Iran de soutenir le terrorisme et maintient unilatéralement certains embargos.

Les banques françaises redoutent aussi les risques liés au blanchiment d’argent, alors que leurs homologues iraniennes ne satisfont pas à toutes les normes internationales en la matière. Seuls quelques petits établissements financiers indépendants tels Wormser Frères ou la banque Delubac & Cie, acceptent en réalité de travailler avec la République islamique d’Iran, pour financer les exportations.

Les fleurons du CAC 40 espèrent un retour des grandes banques, pour accompagner leurs projets d’investissement. Mais l’arrivée à la Maison Blanche de Donald Trump, fervent opposant d’un rapprochement avec l’Iran, ne devrait pas pousser en ce sens.

Source : http://www.lemonde.fr/ 17 janvier 2017

Aucun commentaire: