vendredi, décembre 12, 2008

Coup de froid diplomatique entre Paris et Téhéran

Coup de froid diplomatique entre Paris et Téhéran

par Nicolas Falez - RFI

C’est la télévision iranienne qui le rapporte : Bernard Poletti, ambassadeur de France à Téhéran, a reçu ce mercredi 10 décembre 2008 une « mise en garde » de la part du gouvernement iranien. Les dirigeants la République islamique n’ont visiblement pas apprécié les propos de Nicolas Sarkozy cette semaine, à l’occasion du 60ème anniversaire de la Déclaration universelle des droits de l’homme. « Impossible de serrer la main à quelqu’un qui a osé dire qu’Israël devait être rayé de la carte » a dit le Chef de l’Etat français, en référence aux déclarations répétées du président iranien Ahmadinejad sur ce thème. Toujours selon la télévision iranienne, l’ambassadeur de France s’est vu signifier que ces propos étaient « irréfléchis » et qu’ils pouvaient avoir des « conséquences dans les relations ente les deux pays ». Ce coup de froid intervient alors que la relation Paris-Téhéran est déjà très éprouvée par la crise du nucléaire.


Les dernières rencontres bilatérales de haut-niveau entre dirigeants français et iraniens datent de 2005. Cette année-là, plusieurs personnalités ont été reçues à Paris, y compris le président iranien de l’époque Mohammed Khatami, lui-même. Que s’est-il passé depuis ? Le réformateur Khatami a été remplacé par l’ultra-conservateur Ahmadinejad. L’Iran a repris l’enrichissement d’uranium dans le cadre d’un programme nucléaire jugé hautement suspect par les Occidentaux, s’attirant ainsi plusieurs séries de sanctions internationales votées par le Conseil de sécurité des Nations unies. Enfin, Mahmoud Ahmadinejad a multiplié les déclarations tonitruantes à l’égard d’Israël, prédisant la destruction de l’Etat hébreu. Des propos qui ont à chaque fois été suivis de nombreuses critiques internationales.

L’Iran doté de la bombe ? « Inacceptable » pour Nicolas Sarkozy

Dans le dossier nucléaire, la France a activement contribué à la politique « de la carotte et du bâton » que mène le groupe des Six, soit les cinq membres permanents du Conseil de sécurité de l’ONU (Etats-Unis, Russie, Chine, Grande-Bretagne, France) plus l’Allemagne. Le bâton, ce sont les sanctions internationales. La carotte, l’offre de coopération que les Six ont posée sur la table pour tenter d’obtenir de l’Iran qu’il suspende l’enrichissement d’uranium. La position actuelle de la France dans cette affaire a été clairement énoncée par le président Sarkozy, quelques mois après son élection en 2007 : « Un Iran doté de l’arme atomique est pour moi inacceptable » avait affirmé le chef de l’Etat, avant d’évoquer « une alternative catastrophique : la bombe iranienne ou le bombardement de l'Iran » (par Israël ou les Etats-Unis). Ce discours très ferme de Paris est peu apprécié à Téhéran. Dès lors, chaque geste irrite. Ce fut le cas en janvier 2008 lorsque Nicolas Sarkozy a annoncé la prochaine installation d’une base militaire permanente aux Emirats arabes unis, c'est-à-dire à quelques encablures des côtes iraniennes.

Mahmoud Ahmadinejad et Israël

Autre grand sujet de friction entre la France et l’Iran : les déclarations répétées de Mahmoud Ahmadinejad concernant Israël. L’Iran et l’Etat hébreu n’ont aucune relation diplomatique depuis la Révolution islamique de 1979 et chaque semaine, des dizaines de milliers d’Iraniens scandent « Mort à Israël » lors de la très politique grande prière du vendredi. Mais depuis l’élection de l’actuel président iranien en 2005, ce dernier n’a de cesse de prédire la fin de l’Etat d’Israël, qualifié de « germe de corruption » ou de « souillure infâme » devant être « rayé de la carte ». Sous la présidence de Mahmoud Ahmadinejad, cette rhétorique a par ailleurs pris une nouvelle dimension puisque le président iranien a organisé à l’automne 2006 une « conférence » durant laquelle les orateurs ont remis en cause l’existence de la Shoah, l’extermination de six millions de juifs en Europe par les nazis pendant la Seconde Guerre mondiale. Là encore, la France condamne chacune de ces saillies. Ce fut donc encore le cas cette semaine, dans le discours présidentiel à l’occasion du 60ème anniversaire de la Déclaration universelle des droits de l’homme.

Droits de l’homme

La situation des droits de l’homme en Iran est un autre sujet de tension entre Paris et Téhéran. Les exécutions capitales en Iran (317 en 2007) et notamment les pendaisons de mineurs, les discriminations envers les minorités religieuses ou encore le statut des femmes iraniennes ont été critiqués par la présidence française de l’Union européenne. Ces sujets sensibles furent à l’origine du précédent coup de froid en date entre Paris et Téhéran, en octobre dernier : l’ambassadeur d’Iran en France a été convoqué au ministère français des Affaires étrangères… alors que l’ambassadeur de France en Iran connaissait le même sort à Téhéran !

Et en 2009 ?

Une relation tendue depuis plusieurs années, susceptible de se crisper à la moindre occasion… néanmoins, la France préconise le dialogue avec l’Iran dès lors qu’il s’agit d’apaiser les tensions régionales. Ce fut le cas en 2007 lorsqu’un émissaire français (Jean-Claude Cousserand) a multiplié les voyages dans la région – et notamment à Téhéran - pour tenter de trouver une issue à la crise politique libanaise. Ce sera encore le cas en cette mi-décembre 2008 à Paris, avec l’organisation d’une conférence consacrée à l’Afghanistan : l’Iran fait partie des pays voisins invités.

Reste à découvrir l’équation nouvelle qui naîtra en 2009. D’abord avec l’arrivée de Barack Obama à la Maison Blanche, fin-janvier. Le président élu des Etats-Unis a préconisé le dialogue avec l’Iran pour tenter de surmonter la crise du nucléaire, tout en reprenant à son compte la formule de « la carotte et du bâton ». Si demain Washington initie un dialogue historique avec Téhéran quelle sera la place des Européens – et notamment des Français - dans cette nouvelle configuration ? Autre inconnue de 2009 : l’élection présidentielle iranienne du mois de juin. Mahmoud Ahmadinejad sera-t-il candidat à sa propre succession ? Si oui, l’emportera-t-il ? Et s’il est battu, son successeur appellera-t-il lui-aussi à la disparition d’Israël ?