Dans la vitrine de Tartine, la première boutique d’une
chaîne française de restauration rapide, sont alignés croque-monsieur, muffins
et chouquettes. Un peu plus loin, un jeune ouvrier iranien s’essaye à faire des
crêpes sur une plaque… Autant de pâtisseries méconnues en Iran, notamment dans
le quartier de Kargar-é Jonoubi, dans le sud de Téhéran où est située Tartine,
inaugurée début octobre. Sur les murs sont accrochées des photos de la tour
Eiffel, de l’Arc de triomphe et de Montmartre. « Nous avons cherché à apporter un peu de France à ce coin de
Téhéran qui n’a rien à voir avec le nord et sa population riche »,
explique Romain Quenet qui codirige, avec Xavier Monard, la chaîne Tartine dans
la capitale iranienne.
Arrivés il y a huit mois, ces deux jeunes Français font
partie de la nouvelle vague d’entrepreneurs et d’hommes d’affaires ayant choisi
de tenter leur chance en Iran. Ils ont été notamment encouragés par l’accord
sur le nucléaire iranien en juillet 2015, et la levée partielle des
sanctions internationales, en janvier 2016. Les échanges entre Paris
et Téhéran sont ainsi repartis à la hausse : de 304 millions d’euros
au premier semestre de 2015, ils sont passés à 536 millions d’euros au
premier semestre de 2016, soit une progression de 76 %.
Or, l’effervescence des débuts semble aujourd’hui peu
logique, tant le chemin est semé d’embûches. Romain Quenet et Xavier Monard qui
n’ont réussi à enregistrer leur société d’importation et de distribution
d’aliments français qu’avec beaucoup de difficultés, se battent toujours contre
la lourde bureaucratie et la législation iraniennes, notamment sur les
questions d’impôts sur les revenus. Une complexité qui a conduit Sephora,
filiale de LVMH, à reporter son implantation en Iran de 2016 au second semestre
2017 « au plus tôt ».
Doutes des
investisseurs
Les grandes banques françaises continuent à refuser de faire
des opérations avec l’Iran, notamment à la suite de la lourde amende infligée
par les Américains à BNP Paribas, en 2014, pour avoir organisé des
transactions avec des pays sous embargo, dont l’Iran. Voilà pourquoi certains
continuent, comme durant les années des sanctions, à rapporter du liquide dans
leurs « valises ».
Cette frilosité des banques est d’autant plus justifiée que les sanctions
américaines, concernant des centaines d’entités et de personnalités iraniennes
pour « activités
terroristes » et « atteintes
aux droits de l’homme », sont, elles, toujours en vigueur. Cela oblige
les entreprises à procéder à une étape longue et lourde de vérification, avant
tout partenariat avec les Iraniens. « Il
peut arriver que des dirigeants soient des prête-noms et que des sociétés
soient des façades de structures moins recommandables », explique
l’analyste Michel Makinsky.
Les grandes sociétés ont donc mis en place des services de
« compliance », chargés de
l’évaluation de la conformité aux lois, ou, comme l’explique ce représentant en
Iran d’un grand groupe français, font appel aux avocats spécialisés sur la
question. Ce Français dit avoir recours aux « banques régionales » qui « ne sont ni en France ni en Europe », refusant d’avancer
davantage de détails sur ces établissements. D’autres hommes d’affaires et
analystes mentionnent des banques italiennes, autrichiennes, la belge KBC et la
française Wormser Frères pour de petites opérations.
Les jeunes patrons de Tartine n’utilisent pour le moment que
leurs propres fonds, pour le financement de leurs quatorze autres boulangeries
et cafés à Téhéran, Shiraz et Ispahan. « La
condition principale posée à l’acceptation des projets d’investissement en Iran
est de financer tout ou partie de l’investissement, explique Michel Makinsky.
Et là, l’investisseur étranger se heurte au refus des banques internationales
de procéder à cet investissement. »
A ces difficultés s’ajoute l’incertitude. Si pour l’instant
l’Iran semble bien respecter l’accord nucléaire, la crainte du rétablissement
des sanctions plane en cas de manquement de Téhéran à ses obligations
nucléaires. L’éventuelle élection aux Etats-Unis de Donald Trump, qui tient une
ligne plus dure envers l’Iran que son adversaire démocrate, Hillary Clinton,
ainsi que l’élection d’un conservateur en Iran à la prochaine présidentielle,
en mai 2017, ne font qu’accentuer les doutes des investisseurs qui veulent
se lancer en Iran.
Dans ce contexte incertain, l’annonce fin septembre, que
Boeing et Airbus avaient obtenu le feu vert de l’administration américaine pour
vendre des avions à l’Iran a remonté le moral des entrepreneurs.
Le Monde, 8 octobre 2016
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