A l’aéroport Imam-Khomeini de Téhéran, le salon VIP
s’appelle le salon CIP, pour Commercial Important Person. C’est même un
terminal séparé, où les hommes d’affaires étrangers sont convoyés, choyés,
assistés dans leurs démarches.
Dès l’aérogare, le ton est donc donné et le message est
clair : l’Iran est officiellement le nouveau paradis du business. Les
constructeurs automobiles français ne sont pas les derniers à l’avoir compris.
Ils sont même pionniers dans leur secteur, premiers acteurs mondiaux de la voiture
à relancer publiquement des projets industriels en Iran depuis que l’accord
permettant la levée des sanctions liées au programme nucléaire a été signé, en
juillet 2015.
En quelques mois, PSA et le groupe Renault ont multiplié les
annonces, signatures, rencontres au sommet. Dernier épisode, la tournée de
Carlos Tavares, en Iran, du 4 au 6 octobre. Le patron de PSA, flanqué de
son comité exécutif, a passé en revue son dispositif iranien et a rencontré ses
deux partenaires locaux : le premier constructeur automobile du pays, Iran
Khodro (IKCO) – avec lequel il a fondé une coentreprise à 50-50 pour
relancer Peugeot –, et le concurrent Saipa, numéro deux du marché. Avec ce
dernier, M. Tavares a signé un accord stratégique, le 6 octobre, pour
fabriquer et distribuer des Citroën en territoire persan.
Quelques jours avant, dans les travées du Mondial de
l’automobile, qui s’achève le 16 octobre à Paris, le PDG de Renault,
Carlos Ghosn, et le ministre de l’industrie de l’Iran, Mohammad Reza
Nematzadeh, annonçaient la création d’une nouvelle société automobile iranienne
majoritairement détenue par le constructeur français. Ainsi, le décor est
planté : le nouveau champ de bataille de l’antique rivalité
Renault-Peugeot sera la République islamique.
« Trahison »
Sur ce terrain, PSA a une position avantageuse. Difficile de
rater les vieilles Peugeot − même rafistolées, renommées,
relookées −, surtout des 206 et des 405, qui parcourent le réseau routier
local. La marque au lion revendique 4 millions de clients et une part de
marché de 35 %, une situation qui semble très difficile à renverser.
Seulement voilà, PSA n’a touché aucune redevance sur les
centaines de milliers de Peugeot vendues entre 2012 et 2015. Il y a quatre
ans, le groupe français avait précipitamment quitté le pays pour éviter d’être
pris dans la tourmente des sanctions internationales, laissant aux
constructeurs iraniens la tâche de gérer seuls la production. A l’époque, PSA
était en négociations pour créer une alliance avec le géant américain General
Motors. Toute activité commerciale avec l’Iran aurait menacé l’existence même
de l’entreprise française.
Malgré ces fortes raisons, les Iraniens ont encore
aujourd’hui du mal à digérer la « trahison ». « Le peuple
iranien a été malheureux de voir PSA quitter l’Iran », a rappelé le
PDG d’IKCO, Hashem Yekezareh, à Carlos Tavares lors de la cérémonie de
lancement du joint-venture IKAP (Iran Khodro Automobiles Peugeot), le
5 octobre.
Coentreprise
« Il fallait que les Iraniens puissent me dire en
direct combien ils avaient été meurtris, a convenu, plus tard,
M. Tavares. Et il faut être capable de l’entendre pour pouvoir
tourner la page correctement. »
Cette parenthèse aura laissé une autre trace : faute de
pièces de qualité, les Peugeot version iranienne sont devenues moins fiables,
comme semble le montrer le nombre non négligeable de véhicules en panne que
l’on croise le long des routes nationales.
En face, Renault part de plus loin (4,8 % de part de
marché en 2015), mais avec quelques atouts, qui mettent en relief les
insuffisances de son concurrent. En premier lieu, la marque au losange est
auréolée du fait qu’elle n’a jamais quitté l’Iran, même au plus fort des
sanctions. Le français a créé, en 2003, une coentreprise avec IKCO et
Saipa, qui n’a pas cessé son activité. Ceci explique, sans doute, que le
pouvoir iranien ait fait une exception en laissant Renault détenir 60 %
d’une nouvelle société automobile établie en partenariat, non pas avec un
constructeur, mais avec le conglomérat d’Etat Idro, bras armé économique du
régime.
« Si vous demandez aux Iraniens quels sont les
meilleurs véhicules fabriqués en Iran, ils vous répondront Renault », assure
Peyman Kargar, directeur général de Renault-Iran.
« Il n’y a pas de vraie rivalité »
La marque a fondé sa réputation sur la qualité des Logan
(appelées là-bas Tondar) et Sandero.
« Lors du lancement de la nouvelle Sandero Stepway,
nous avons enregistré 4 000 commandes avec prépaiement en une
heure », se réjouit M. Kargar.
Surtout, Renault a sa potion magique : la Kwid, un
petit 4 × 4 urbain à moins de 5 000 euros, qui fait déjà un tabac en
Inde. « La Kwid aura un succès phénoménal en Iran », prédit
Didier Hedin, consultant automobile. Avec de tels atouts, Renault veut arriver
à produire et à vendre entre 350 000 et 400 000 voitures dès
2021, soit exactement le même objectif que PSA.
« Il n’y a pas de vraie rivalité, tempère
M. Hedin. Les deux constructeurs sont complémentaires. Le plan de PSA est,
lui aussi, excellent, et Peugeot a toujours une très bonne image en
Iran. »
Le choix de marcher sur deux jambes (une coentreprise pour
chacune de ses marques) facilite la liberté de manœuvre de PSA. Renault prend,
de son côté, davantage de risques compte tenu de l’existence de sanctions
américaines résiduelles à l’égard de l’Iran, car Nissan est très implanté aux
Etats-Unis.
Les risques, chaque constructeur français les assume. « Nous
ouvrons la voie », confirme Carlos Tavares. Par contraste, les
constructeurs allemands et japonais ont déjà accumulé un net retard. Sur un
marché qui devrait atteindre 2 millions de véhicules en cinq ans,
l’industrie française a, pour une fois, pris de l’avance.
Le Monde, 8 octobre 2016
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