vendredi, mai 15, 2015

Entre fantasme et réalité, un nouvel âge d’or du pétrole en Iran ?


L’annonce d’un accord provisoire entre l’Iran et le groupe des 5+1 (Etats-Unis, Chine, Russie, Royaume-Uni, France et Allemagne) début avril 2015 a immédiatement fait plonger le cours du brut et fait resurgir une crainte : celle que la production iranienne de pétrole vienne noyer un marché déjà saturé, provoquant ainsi une nouvelle chute brutale des cours du baril.

Téhéran, au bord de l’asphyxie économique et financière, trépigne d’impatience à l’idée de voir lever les sanctions qui limitent très fortement ses exportations de pétrole, et se déclare prêt à augmenter très rapidement de 30% sa production.

Mais au-delà des effets d’annonce, il va être très difficile pour l’Iran de mettre son programme à exécution.

L’Iran, la Belle au bois dormant de la production pétrolière

Et tout d’abord parce que le secteur énergétique iranien est vétuste. Les sanctions occidentales ont très fortement limité les investissements étrangers dans le pétrole iranien. Pour dire les choses clairement, l’Iran est la Belle au bois dormant de la production pétrolière. Les installations y sont donc périmées, et ce malgré l’arrivée progressive de compagnies et d’investissements chinois.
Celles-ci, malgré d’indéniables progrès ces dernières années, sont encore loin de pouvoir faire jeu égal avec les compétences techniques des compagnies pétrolières et parapétrolières occidentales.
Téhéran a beau affirmer que sa production pourrait facilement passer de 3 millions à 4 millions de barils par jour, ses capacités restent limitées et très loin des plus de 6 millions de barils produits quotidiennement au milieu des années 70 (avant la révolution de 1979 et l’arrivée au pouvoir de Khomeiny). Les principaux champs pétroliers du pays – Marun et Gachsaran – sont en exploitation depuis un demi-siècle et souffrent très manifestement d’un manque d’investissements.

L’Iran est en outre loin d’avoir développé l’exploitation du gaz à la hauteur de ses réserves. Dans un secteur gazier marqué par une féroce compétition, l’Iran est aujourd’hui bien démuni. Le pays est actuellement incapable de prendre part au très porteur marché du GNL, le gaz naturel liquéfié, dont les compagnies iraniennes ne maîtrisent pas la liquéfaction. Par manque de compétences et d’investissement, Téhéran a ainsi laissé le champ libre à d’autres producteurs de gaz, l’Algérie, le Qatar ou encore l’Australie.

Selon Jason Bordoff, un expert américain du pétrole cité par Bloomberg, le secteur énergétique iranien aura besoin d’entre 50 et 100 milliards de dollars d’investissements étrangers dans les années qui viennent pour réellement décoller.

Une levée des sanctions… vraiment ?

La levée des sanctions devrait certes encourager les entreprises occidentales et européennes à revenir sur le terrain iranien. Sauf que… c’est un peu plus compliqué que cela, aussi bien pour des raisons exogènes qu’endogènes.

D’un point de vue strictement lié à l’Iran, disons que le fonctionnement de l’attribution des marchés dans le secteur pétrolier est très loin d’être transparent et ouvert aux investissements étrangers. L’importance de la manne pétrolière (je vous rappelle que 60% du budget de l’Etat en dépendait en 2007) explique très largement cette mainmise étatique sur les ressources du pays. Mais le résultat est que pour une compagnie étrangère, investir en Iran est aussi compliqué que coûteux, ce qui limite d’autant leur enthousiasme à remettre les pieds dans le pays.

D’un point de vue exogène maintenant, le retour des compagnies occidentales en Iran se heurte à un problème de taille : l’extrême complexité des sanctions imposées à l’Iran. Celles-ci n’ont pas seulement presque complètement bloqué les exportations de pétrole vers l’Occident (en faisant peser une épée de Damoclès sur les pétroliers, parapétrolières, transporteurs ou même les assureurs qui seraient tentés d’accepter des contrats avec l’Iran) mais elles ont en outre isolé le pays.

L’Iran a été, de fait, exclu du système financier et commercial mondial (comme le réseau interbancaire SWIFT). Et les banques occidentales se sont vues imposer d’importantes sanctions en cas de transactions avec Téhéran via le dollar.

L’Iran, paria pour encore longtemps

Ce réseau extrêmement complexe et étendu de sanctions prendra des années à être complètement levé. Et encore faut-il que l’Occident et l’Iran parviennent réellement à un accord définitif. Ce qui va être très compliqué. Peu de pays suscitent en effet un tel rejet que l’Iran, à tort ou à raison.


Le Sénat américain – à majorité républicaine, faut-il encore le rappeler – a déjà fait savoir qu’il rétablirait immédiatement les sanctions contre l’Iran en cas de non respect de l’accord sur le nucléaire, et les républicains ont annoncé leur intention de revenir sur les récentes discussions en cas de victoire aux prochaines présidentielles. Autant dire qu’aucune hache de guerre ne sera enterrée dans les mois qui viennent. Israël pèse bien sûr de tout son poids pour empêcher un accord qui donnerait plus de latitude à Téhéran sur son programme nucléaire et même l’Europe reste manifestement sur ces gardes.

Source : Céline Chevret, Quotidienne AGORA, avril 2015

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