L’annonce d’un accord provisoire
entre l’Iran et le groupe des 5+1 (Etats-Unis, Chine, Russie, Royaume-Uni,
France et Allemagne) début avril 2015 a immédiatement fait plonger le cours du
brut et fait resurgir une crainte : celle que la production iranienne de
pétrole vienne noyer un marché déjà saturé, provoquant ainsi une nouvelle chute
brutale des cours du baril.
Téhéran, au bord de l’asphyxie
économique et financière, trépigne d’impatience à l’idée de voir lever les
sanctions qui limitent très fortement ses exportations de pétrole, et se
déclare prêt à augmenter très rapidement de 30% sa production.
Mais au-delà des effets
d’annonce, il va être très difficile pour l’Iran de mettre son programme à
exécution.
L’Iran, la Belle au bois dormant de la production pétrolière
Et tout d’abord parce que le
secteur énergétique iranien est vétuste. Les sanctions occidentales ont très
fortement limité les investissements étrangers dans le pétrole iranien. Pour
dire les choses clairement, l’Iran est la Belle au bois dormant de la
production pétrolière. Les installations y sont donc périmées, et ce malgré
l’arrivée progressive de compagnies et d’investissements chinois.
Celles-ci, malgré d’indéniables
progrès ces dernières années, sont encore loin de pouvoir faire jeu égal avec
les compétences techniques des compagnies pétrolières et parapétrolières
occidentales.
Téhéran a beau affirmer que sa
production pourrait facilement passer de 3 millions à 4 millions de
barils par jour, ses capacités restent limitées et très loin des plus de
6 millions de barils produits quotidiennement au milieu des années 70
(avant la révolution de 1979 et l’arrivée au pouvoir de Khomeiny). Les
principaux champs pétroliers du pays – Marun et Gachsaran – sont en
exploitation depuis un demi-siècle et souffrent très manifestement d’un manque
d’investissements.
L’Iran est en outre loin d’avoir développé
l’exploitation du gaz à la hauteur de ses réserves. Dans un secteur gazier
marqué par une féroce compétition, l’Iran est aujourd’hui bien démuni. Le pays
est actuellement incapable de prendre part au très porteur marché du GNL, le
gaz naturel liquéfié, dont les compagnies iraniennes ne maîtrisent pas la
liquéfaction. Par manque de compétences et d’investissement, Téhéran a ainsi
laissé le champ libre à d’autres producteurs de gaz, l’Algérie, le Qatar ou
encore l’Australie.
Selon Jason Bordoff, un expert
américain du pétrole cité par Bloomberg, le secteur énergétique iranien aura
besoin d’entre 50 et 100 milliards de dollars d’investissements étrangers
dans les années qui viennent pour réellement décoller.
Une levée des sanctions… vraiment ?
La levée des sanctions devrait
certes encourager les entreprises occidentales et européennes à revenir sur le
terrain iranien. Sauf que… c’est un peu plus compliqué que cela, aussi bien
pour des raisons exogènes qu’endogènes.
D’un point de vue strictement lié
à l’Iran, disons que le fonctionnement de l’attribution des marchés dans le
secteur pétrolier est très loin d’être transparent et ouvert aux
investissements étrangers. L’importance de la manne pétrolière (je vous
rappelle que 60% du budget de l’Etat en dépendait en 2007) explique très
largement cette mainmise étatique sur les ressources du pays. Mais le résultat
est que pour une compagnie étrangère, investir en Iran est aussi compliqué que
coûteux, ce qui limite d’autant leur enthousiasme à remettre les pieds dans le
pays.
D’un point de vue exogène
maintenant, le retour des compagnies occidentales en Iran se heurte à un
problème de taille : l’extrême complexité des sanctions imposées à l’Iran.
Celles-ci n’ont pas seulement presque complètement bloqué les exportations de
pétrole vers l’Occident (en faisant peser une épée de Damoclès sur les
pétroliers, parapétrolières, transporteurs ou même les assureurs qui seraient
tentés d’accepter des contrats avec l’Iran) mais elles ont en outre isolé le
pays.
L’Iran a été, de fait, exclu du
système financier et commercial mondial (comme le réseau interbancaire SWIFT).
Et les banques occidentales se sont vues imposer d’importantes sanctions en cas
de transactions avec Téhéran via le dollar.
L’Iran, paria pour encore longtemps
Ce réseau extrêmement complexe et
étendu de sanctions prendra des années à être complètement levé. Et encore
faut-il que l’Occident et l’Iran parviennent réellement à un accord définitif.
Ce qui va être très compliqué. Peu de pays suscitent en effet un tel rejet que
l’Iran, à tort ou à raison.
Le Sénat américain – à majorité
républicaine, faut-il encore le rappeler – a déjà fait savoir qu’il rétablirait
immédiatement les sanctions contre l’Iran en cas de non respect de l’accord sur
le nucléaire, et les républicains ont annoncé leur intention de revenir sur les
récentes discussions en cas de victoire aux prochaines présidentielles. Autant
dire qu’aucune hache de guerre ne sera enterrée dans les mois qui viennent.
Israël pèse bien sûr de tout son poids pour empêcher un accord qui donnerait
plus de latitude à Téhéran sur son programme nucléaire et même l’Europe reste
manifestement sur ces gardes.