mercredi, septembre 28, 2016

Faire des affaires en Iran : Un vrai chemin de croix !

Désormais libéré de l'embargo qui l'isolait depuis trente-cinq ans, l'ancien empire perse fait saliver des milliers de vendeurs et d'investisseurs. On leur souhaite bien du plaisir.


Lorsque Jacques Lescot a débarqué au pays des mollahs, il pensait avoir misé sur le bon cheval. "Le partenaire local qu'on m'avait recommandé parlait un anglais impeccable et assurait posséder un outil industriel top niveau", se souvient-il. Mauvaise pioche. En fait d'usine ultramoderne, le directeur commercial de Forgital, une société spécialisée dans les pièces aéronautiques, est tombé sur des installations dignes de l'ex-URSS, dans une lointaine banlieue poussiéreuse de Téhéran. Non seulement rien n'avait été modernisé depuis des années, mais le patron comptait sur son futur associé français pour le faire ! "Pour mon premier contact avec l'Iran, on peut dire que j'ai pris une bonne leçon", soupire le Frenchy.
Autant prévenir tout de suite les milliers de vendeurs et d'investisseurs qui rêvent de partir à l'assaut du géant du Moyen-Orient : faire du business avec Téhéran n'est pas de tout repos. Enfin libéré de l'embargo qui le corsetait depuis trente-cinq ans (il a accepté pour cela de mettre en veilleuse ses ambitions nucléaires), le pays est certes un marché formidablement prometteur. Ses infrastructures sont hors d'âge, ses usines obsolètes, ses autos brinquebalantes, sa flotte d'avions dépassée et ses 80 millions d'habitants avides de consommer.
Mieux, avec sa base industrielle étoffée, il rêve de devenir une future plateforme d'exportation vers l'Asie centrale. Et il en a les moyens. Grâce ou à cause de l'embargo, il est en effet peu endetté et son budget n'est pas accro à la drogue dure des revenus du pétrole, pour la bonne raison qu'il n'avait pas le droit d'en vendre à l'étranger. En somme, comme le note la responsable d'une grande banque d'affaires en visite officieuse à Téhéran, "l'Iran a un excellent profil d'emprunteur pour lever des fonds et financer son développement".
Ajoutons que la patrie de l'ayatollah Khomeiny est moins archaïque qu'on ne l'imagine. Vous avez en tête la nation rigoriste et austère, décrite par Marjane Satrapi dans "Persepolis" ? Certes les tchadors noirs sont encore omniprésents dans les quartiers sud de la capitale, et il est impossible de prendre ne serait-ce qu'une bière en terrasse. Mais en poursuivant vers le nord de la ville, sur les trottoirs de l'avenue Vali-Asr, le voile, posé négligemment en arrière des cheveux, devient un accessoire de mode. Les belles de Téhéran portent jean de marque et hauts talons.
Et les geeks qui pullulent dans la cité (bien que l'Internet local soit verrouillé par le pouvoir) n'ont rien à envier à ceux de San Francisco. Le modèle de cette jeunesse dorée ? Plutôt Milan que Riyad. IPhone, Dolce & Gabbana et drague cash sur les pistes de ski parfaitement damées de la station de Tochal, à une portée de téléphérique du centre-ville. Sur le papier, faire des affaires ici ne devrait pas poser trop de problèmes. Mais les ennuis commencent dès qu'on y met les pieds pour de vrai.
La bataille commence dès la descente de l'avion : banquiers italiens, consultants suédois, VRP allemands jouent des coudes au bureau des visas de l'aéroport. Derrière l'unique guichet, deux cerbères moustachus délivrent le sésame au compte-gouttes, en dévisageant longuement chacun des 300 passagers du Boeing. Les porteurs de passeport américain sont éconduits. Trois heures plus tard, le clavier fatigué de l'unique PC a rendu l'âme et les visas sont délivrés à l'ancienne, à la main. Nous voilà tout de suite dans le mood.
Une fois en ville, l'impression se confirme. Il faut avoir le cœur bien accroché pour affronter les embouteillages monstres de la capitale, les chambres d'hôtel minables au mobilier en Formica, les antichambres inhospitalières des bureaucrates, les cartes de crédit inutilisables et les liasses de dollars qu'il faut allonger sans cesse, car la corruption est omniprésente. Sans parler de la barrière de la langue, dans un pays où tout est écrit en persan et où pas même 5% de la population ne parle anglais. Et ce n'est pas près de changer : il y a quelques semaines, l'ayatollah Khamenei, guide suprême de la révolution, a réclamé un plan pour stopper la progression de cette langue du diable. Ambiance...
Au premier abord courtois et curieux, les Iraniens maintiennent la distance et entretiennent des codes sociaux complexes et déroutants. "Même avec mes sept années de pratique du persan, il m'est toujours aussi difficile de savoir ce que pense vraiment mon interlocuteur", témoigne Jacques Lescot. Rester sur ses gardes, donc, car la blague sur le foulard ou la faute de goût avec les femmes risquent de plomber l'atmosphère.
Sourena Mahadavi, Iranien de France qui dirige sa société de services pétroliers, ne cesse de le répéter aux expatriés qu'il reçoit dans sa villa avec piscine perchée sur les hauteurs de Téhéran : "Ici, il y a un attrait presque irrationnel pour tous les produits français. Mais, pour y percer, il ne faut jamais oublier cette règle : on ne vend pas en Iran, ce sont les Iraniens qui achètent."
Et ils ne sont pas faciles à convaincre. Excellents scientifiques (le mot "algorithme" dérive du nom de l'un de leurs mathématiciens, Al-Khwârizmî, précurseur de l'algèbre), ce sont souvent de redoutables négociateurs, très au fait des dossiers techniques. Julien Rivollier, directeur commercial de Suez au Moyen-Orient, se souvient encore d'une discussion avec le vice-ministre du Pétrole, qui l'avait laissé lessivé : "Il me bombardait de questions pointues. Il est très rare de rencontrer chez un homme politique une telle maîtrise du sujet." Pas facile de rouler dans la farine de tels acheteurs !
D'autant qu'ils ne se précipitent pas pour faire leur choix. Car si l'Iran produit beaucoup d'ingénieurs, il dispose de peu de juristes pour traiter de commerce international. Du coup, les négociations ont tendance à traîner en longueur. "Ce qui prend dix jours en Europe peut durer dix mois ici, c'est le paradis des coupeurs de cheveux en quatre", sourit Amir Aslani, un avocat qui assiste plusieurs groupes français. "Les Iraniens n'ont pas la même conception du temps que nous", confirme Emmanuel Bellanger, conseiller du commerce extérieur, qui a roulé sa bosse au gré des chantiers de BTP dans plusieurs pays d'Asie centrale, avant d'être bombardé patron de filiale à Téhéran.
Fiers de leur passé, et fiers tout court, les Iraniens ont la mémoire longue et la dent dure. Ceux qui ont déserté le pays doivent ramer et montrer patte blanche pour revenir, à l'image de Peugeot. En 2010, pour respecter l'embargo, la marque au lion avait stoppé sans préavis ses livraisons de moteurs à Khodro, son partenaire en Iran qui fabrique la 405 sous licence. Et cela avait été vécu comme une trahison.
Depuis, de l'eau a coulé sous les ponts, mais, pour son retour en Iran, Peugeot doit se faire tout petit et payer une "compensation" industrielle à Khodro pour les pertes subies. Une mésaventure qui fait le bonheur de son concurrent Renault, la marque qui monte en Iran, car elle n'a pas quitté le navire, tout en respectant le cadre des sanctions.
Autre chausse-trappe agaçante, le pays tout entier semble avoir une fâcheuse tendance à emmêler le vrai et le faux. Ramita Navai explique dans son livre ("Vivre et mentir à Téhéran", Ed. Stock) qu'entretenir un rapport élastique avec la réalité est une stratégie de survie pour la population.
"Au plus fort du régime des mollahs, afficher une façade publique vertueuse était vital pour mieux protéger sa vie privée." Romain Kéraval, de Business France, recommande donc de vérifier soigneusement les chiffres et les promesses de ses interlocuteurs avant de se lancer. Et de s'entourer d'intermédiaires de confiance, capables de débusquer les loups et de fluidifier les relations avec les fonctionnaires et les politiques.
Car la bureaucratie est omniprésente, la paperasserie étouffante et les obstacles administratifs aussi nombreux que jadis les esturgeons de la Caspienne. "Je me débats tous les jours dans le maquis des règles, des normes et des droits de douanes, qui changent en permanence", peste Thierry Gorez, vieux routier du Moyen-Orient qui dirige une entreprise de logistique. Infatigable défenseur du made in France et fin connaisseur des arcanes du pouvoir, Mehdi Miremadi, ancien DG d'Alstom en Iran, conseille aux entrepreneurs tricolores de s'appuyer sur la communauté des Franco-Iraniens qui fait la navette sur la nouvelle ligne Paris-Téhéran d'Air France. Un point de vue que nuance Peyman Kargar, directeur général de Renault en Iran et lui-même natif du pays. "J'ai confié la responsabilité du contrôle qualité à un expatrié, même si les ingénieurs iraniens ont une bonne culture industrielle. En fait, je préfère constituer des équipes mixtes mêlant Français et locaux."
Reste un dernier sujet de préoccupation pour les businessmen tricolores : les banques européennes hésitent à leur avancer de l'argent. Et pour cause : elles redoutent qu'en cas de manquement de l'Iran à ses obligations nucléaires les autorités américaines ne recommencent à appliquer des sanctions contre ce pays. Et ne leur infligent au passage à elles aussi des amendes record pour avoir violé ces règles, comme elles l'ont fait avec BNP Paribas.
A en croire Michel Makinsky, directeur de la société de conseil Ageromys, les pressions officieuses - menaces de boycott et de dénigrement, lettres de groupes de pression, consignes de désinvestissement - sont tellement fortes que les banques "ont souvent la main qui tremble au moment de signer". Du coup, les grands contrats annoncés à l'occasion de la visite du président Rohani à Paris sont toujours en stand-by : aucun n'est à ce jour finalisé au-delà de la lettre d'intention. C'est le cas de la mégacommande d'Iran Air pour 118 Airbus, toujours à l'état "d'accord préliminaire", alors que Boeing est déjà en négociations avancées de son côté.
Pour l'instant, seuls les consultants et les avocats qui travaillent sur des projets à long terme semblent y trouver leur compte. Dans les couloirs des ministères où les délégations font le pied de grue, on ne parle plus que de "partenariat public-privé", la seule recette qui fonctionne actuellement. ADP et Bouygues l'ont bien compris : apport de cash et de savoir-faire contre concessions sur plusieurs années, les deux entreprises françaises, associées pour la circonstance, sont en négociation exclusive pour obtenir le contrat de l'aéroport Iman Khomeini, un projet de 1 milliard d'euros.
LE "MADE IN FRANCE" CARTONNE AU RAYON COSMETIQUES
Au rayon cosmétiques de cet hypermarché Carrefour dans l'ouest de Téhéran se presse une foule de femmes voilées. La police des mœurs sanctionne la moindre incartade au port du voile. Alors, pour les Iraniennes, le dernier espace de liberté, c'est leur visage. Et elles raffolent des produits français. "Nous importons directement les flacons sans traduire les étiquettes, témoigne Shadi, le chef de rayon. Les inscriptions en français font vendre." Une aubaine pour L'Oréal, qui surfe sur ce nouveau marché classé au septième rang mondial.

Pour une présentation de l'économie iranienne 29 puissance économique mondiale  : L'iran a beaucoup d'atouts (et quelques freins) pour développer son business
Source : Capital.fr, Août 2016

lundi, septembre 26, 2016

Airbus et Boeing vont vendre des avions à l’Iran

Les deux avionneurs ont reçu le feu vert des autorités américaines pour livrer une partie des appareils commandés par la compagnie Iran Air. Reste à savoir comment ces achats seront financés.

Après la levée partielle, en janvier, de l’embargo économique pesant sur l’Iran, “ce pays vient de franchir une étape importante vers son retour sur le marché international",note le Financial TimesLe 21 septembre, Airbus et Boeing ont en effet été autorisés par les États-Unis à vendre des avions civils à la République islamique.

Le pays pourra ainsi étoffer et moderniser sa flotte vieillissante. Aujourd’hui, il “dispose de 266 appareils civils [un peu plus de la moitié sont en état de voler] […] dont la moyenne d’âge est de 24 ans”, selon le site Aviation Iran
.

En janvier, lors de la visite officielle du Président iranien Hassan Rouhani à Paris, la compagnie nationale Iran Air s’était engagée à acheter 118 Airbus, pour un montant total estimé à plus de 25 milliards de dollars. Mais ces appareils étant équipés de composants fabriqués aux États-Unis, l’avionneur avait besoin du feu vert de Washington.

C’est désormais chose faite, mais en partie seulement : la licence accordée ne porte que sur 17 appareils, de type A320 et A330. Airbus espère toutefois obtenir une réponse positive pour tout ou partie du solde de la commande dans les semaines qui viennent.

Des conditions strictes

De son côté, Boeing avait signé, le 21 juin, un protocole d’accord avec Iran Air concernant 80 appareils, pour un total de 17,6 milliards de dollars. Le Financial Times précise :  

Ces licences sont assorties de conditions strictes permettant d’assurer que les avions seront utilisés exclusivement pour le transport commercial des passagers et ne pourront pas être revendus ou transférés à une entité […] comme la compagnie Mahan Air, considérée par les États-Unis comme un sponsor du terrorisme.

Mais selon le Wall Street Journal
“d’autres obstacles demeurent, concernant notamment le financement de l’opération”. “Après des années de sanctions et de cours du pétrole bas, les coffres de l’État iranien sont vides”,ajoute le New York Times
. De plus, “les grandes banques refusent de travailler avec ce pays, du fait des réglementations compliquées et des sanctions maintenues par les États-Unis”.

De fait, il est impossible d’utiliser le système financier américain – et donc le dollar – pour faire des affaires avec Téhéran.

Source : Courrier International, 22 septembre 2016
 

samedi, septembre 24, 2016

L’Iran et la France, la possibilité d’un couple dans une ère d’infidélité

L’ouverture de la 71ème session de l’Assemblée Générale des Nations-unies à New York amène son lot incontournable de discours de chefs d’État. L’on se concentre sur les discours d’Obama, Netanyahu, l’ambassadeur syrien, le président français, le président iranien, le ministre russe. 

Or le contexte international a beaucoup changé depuis un an. Les relations franco-iraniennes aussi. Un rapprochement, en grande partie économique semble être en préparation. Pourtant, l’échiquier diplomatique va la rendre malcommode, parce que trop d’affect inutile y a été déversé par les gouvernants. 

La réouverture partielle du marché iranien marque un nouveau domaine de déploiement de la force commerciale française. Certains contrats ont abouti, et à divers degrés. Peugeot et Citroën avancent bien. Beaucoup reste à faire avant de proclamer la découverte d’un nouvel Eldorado. On est encore loin de l’Inde par exemple : les 36 avions Rafale français viennent d’être vendus à la République indienne, après les ultimes signatures de ce vendredi 23 septembre. Rappelons que les négociations ont été ouvertes sous le gouvernement du parti du Congrès, centre-gauche indienne, et ont survécu à la défaite électorale du Congrès pour aboutir sous le parti BJP, nationaliste hindou. En matière de continuité de l’État, on ne fait pas mieux que la République indienne.

Où ne la coopération Paris-Téhéran ?

Revenons à l’Iran. Le danger terroriste demeure l’un des dossiers les plus lourds du gouvernement français, et le lien entre l’ennemi de l’intérieur sous forme de loups solitaires et l’action terroriste dirigée par Daesh depuis le Levant n’est plus à démontrer. C’est devenu un élément de la relation Paris-Téhéran. Lisons François Hollande, s’adressant à son homologue iranien lors de sa visite officielle en janvier 2016 :

« La France est un pays indépendant qui ne recherche rien pour lui-même, qui ne veut pas établir son influence, qui veut simplement être au service de la paix et qui veut lutter contre le terrorisme.

Le terrorisme nous frappe ici, le terrorisme frappe aussi des pays de la région y compris l’Iran, le terrorisme c’est notre seul ennemi. »

Ainsi toutes les coopérations extérieures sont les bienvenues à Paris, dont celle de la République islamique d’Iran. Cette dernière déploie plusieurs milliers de troupes spéciales de la Brigade al-Quds des Pasdaran en Syrie et secondairement en Irak.

La conversation stratégique entre Paris et Téhéran sur le terrorisme devient donc logique, et s’est déjà amorcée discrètement. Rappelons que le terrorisme djihadiste n’est pas  inconnu sur le sol iranien, et que le gouvernement iranien livre bataille non seulement à Daesh mais aussi, indirectement, en passant par le gouvernement afghan, aux Talibans d’Afghanistan, pays frontalier.

L’exception israélienne 

Le gouvernement israélien, lui, se voit deux ennemis : Daesh et la République islamique d’Iran. Il est pratiquement le seul à mettre les deux entités sur le même plan. La possibilité d’une détente entre gouvernements israélien et iranien n’est donc pas à l’ordre du jour. Rappelons qu’à la tribune de l’ONU cette semaine, le président Rohani a dit ceci d’Israël : «Les Palestiniens opprimés sont toujours affligés par un enchevêtrement de politiques d’apartheid et d’atrocités menées par le régime sioniste usurpateur.» Ce langage hostile à Israël, notons-le, est légèrement moins agressif que celui du précédent président iranien, Mahmoud Ahmadinejad. Mais agressif tout de même. 

La politique étrangère française, quant à elle, maintient de bonnes relations avec à la fois Téhéran et Jérusalem (capitale de l’État d’Israël, n’en déplaise aux tenants du langage idéologique). Benyamin Netanyahu, le quasi-inamovible premier ministre israélien, ne peut que se lamenter à la tribune des Nations-unies de la tolérance occidentale envers Téhéran.  Il n’y aura que des Républicains américains à trouver cela intéressant, et aussi les États du Golfe arabo-persique.

Car les affaires sont les affaires : l’Iran est un nouveau marché, et c’est plus important qu’un État dont l’hypothétique menace nucléaire se situe dans un avenir lointain.

Cependant, la France de François Hollande, et avant lui de Nicolas Sarkozy, n’est-elle pas l’amie d’Israël ? François Hollande l’a souvent dit et répété en public, surtout en 2013. Depuis l’accord nucléaire de 2015, il ne le dit plus de manière aussi remarquable ni remarquée. Est-ce volontaire ?


Les amabilités ne suffiront pas à créer un axe Paris-Téhéran

Le président iranien Hassan Rohani est donc venu à Paris en janvier 2016, marquant un pas important dans un dégel saisissant. Un rapprochement franco-iranien n’est donc pas impossible, et le principal frein est sans doute le lien entre Paris et Riyadh ! Le gouvernement iranien n’abhorre presque aucun État autant que le Royaume d’Arabie saoudite. Les contrats déjà en cours, et les investissements de ce royaume et des monarchies avoisinantes sont si convaincants que Paris et Téhéran ne pourront jamais se rapprocher pleinement. La France est déjà mariée au Golfe, en quelque sorte.

La seule issue à ces drames d’infidélité serait de dépassionner complètement les relations extérieures, pour enlever cette ambiance permanente de kermesse joyeuse de festivités, de costumes, de toasts, de cadeaux diplomatiques, et de phrases creuses sur l’amitié entre les peuples. Une dose de pragmatisme froid serait de mise, sauf évidemment avec des peuples qui sont intimement et historiquement liés au nôtre et avec lesquels les brouilles ne peuvent être que passagères et superficielles au pire. Il y a quelques décennies le rayonnement culturel de la France en Iran n’était-il pas considérable ?

La France est une force morale dans le monde, certes. Mais plus prosaïquement, elle est également une puissance, et de fait elle se comporte comme tel, avec élégance parfois, mais avec âpreté souvent. Le genre de phrase que François Hollande prononce devant son homologue iranien ne font donc que desservir notre crédibilité : « La France est un pays indépendant qui ne recherche rien pour lui-même, qui ne veut pas établir son influence, qui veut simplement être au service de la paix et qui veut lutter contre le terrorisme.

Le terrorisme nous frappe ici, le terrorisme frappe aussi des pays de la région y compris l’Iran, le terrorisme c’est notre seul ennemi.» Des phrases grandiloquentes… Or que valent-elles dans l’arène internationale ? En somme, Paris ne peut promettre monts et merveilles à la fois à Riyadh et Téhéran. Il ne faut pas non plus donner l’impression que c’est possible. 

Source : Opinion international, 23 septembre 2016, Harold Hyman

mercredi, septembre 21, 2016

Le rapprochement irano-russe inquiète les américains

Un sous-comité sur le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord du Congrès américain examine un projet de loi sur la collecte des informations concernant la coopération entre l'Iran et la Russie.

Obliger le secrétaire de la Défense à fournir au Congrès américain un rapport annuel sur la coopération entre la Russie et l'Iran. Voilà l'idée maîtresse du nouveau projet de loi présenté par le républicain Mike Pompeo, membre de la Chambre des représentants. « Le secrétaire de la Défense doit représenter au Congrès un rapport sur la coopération entre l'Iran et la Fédération de Russie, révélant comment et dans quelle mesure une telle coopération affecte la sécurité nationale et les intérêts stratégiques des États-Unis », proclame le projet de loi.

Le Dr Fouad Izadi, membre du Conseil scientifique et de la chaire des études américaines à l'Université de Téhéran a fait part de son opinion dans une interview avec Sputnik. Il estime que l'Iran considère ce projet de loi comme une démonstration claire de la décadence de la domination politique américaine dans le monde. « Une telle initiative nous indique une baisse du pouvoir politique des États-Unis. C'est une preuve que la domination politique mondiale des États-Unis est en baisse, ce qui préoccupe énormément les membres du Congrès américain. Parce que pour eux ce déclin est synonyme d'une atténuation de leur propre influence politique », a estimé Dr Izadi. 

Cette baisse, selon Fouad Izadi, s'explique par le fait que les personnes qui ont été et qui sont au pouvoir aux États-Unis, ont mené ou mènent une politique étrangère fondamentalement mauvaise et faible qui a sapé considérablement des intérêts nationaux du pays et a semé la chaos dans « les pays où qu'ils ont envahis. » « Et ce ne sont les États-Unis eux-mêmes, qui sont seuls coupables de ce déclin qui a été provoqué par leurs propres actions en Syrie. En particulier, le soutien apporté aux terroristes en Irak, en Afghanistan et dans d'autres pays », a souligné Fouad Izadi. En évoquant le sujet des relations russo-iraniennes, M. Izadi a déclaré que les deux pays coopèrent avec succès dans de nombreux domaines, fait qui ne manque pas d'irriter Washington. « Bien sûr, les États-Unis comprennent que lorsque deux États puissants interagissent si étroitement, le processus de déclin de la domination américaine ne fait que s'accélérer. Mais l'Iran et la Russie ne vont pas en rester là. Le niveau de coopération croîtra et les domaines de cette interaction s'élargiront », a fait savoir l'expert iranien.

L'interlocuteur de Sputnik a également mentionné l'élection présidentielle américaine en soulignant que quel que soit le résultat, la situation sur la scène internationale et dans le pays ne changera pas. « Le prochain président américain, qu'il s'agisse d'Hillary Clinton ou de Donald Trump, ne changera rien à la situation dans le pays, le processus de déclin de la domination américaine dans le monde se poursuivra», a souligné M. Izadi. En conclusion, l'expert iranien a déclaré que ce projet de loi n'était que le début des activités d'espionnage du Pentagone contre la Russie et l'Iran, et qu'il fallait se tenir prêt. « Les espions américains sont très actifs. En outre, leurs activités d'espionnage sont souvent accompagnées par des actes de sabotage. Leur direction n'a que faire des normes éthiques. Ce sont des tueurs professionnels, ils emploient toutes leurs ressources nationales et ceux de leurs alliés dans la région pour atteindre leurs objectifs. Nous devons être prêts », a conclu Fouad Izadi.

Source : Spoutnik News, 20 septembre 2016

Le facteur bloquant des relations avec l'Iran : le dollar

Neuf mois après la levée de l'embargo sur l'Iran, les entreprises françaises ont toutes les peines du monde à travailler avec ce pays. Les banques refusent toujours de s'impliquer dans le commerce avec Téhéran, effrayées à l'idée de représailles américaines.


Echaudées par les amendes infligées à BNP et Crédit Agricole, les grandes banques refusent les transactions vers l'Iran.

Cette frilosité bride les ambitions des entreprises françaises sur ce nouveau marché de 80 millions de consommateurs.

De petites banques, sans lien avec les Etats-Unis, se lancent sur ce créneau, en effectuant des transactions en euros.

Deux députés français présenteront le 5 octobre leur rapport sur l'extraterritorialité des lois américaines.


Alors que Boeing est en train de négocier la vente d'une centaine d'appareils à l'Iran, les entreprises françaises se sentent coincées aux portes d'un marché de 80 millions de consommateurs, dont elles voudraient bien leur part. En cause, l'interdiction d'échanger en dollars avec la République islamique. Très précisément, « c'est aux citoyens américains, aux entreprises américaines et aux banques américaines qu'il est toujours interdit de commercer avec l'Iran », détaille Christopher Backemeyer, un diplomate américain chargé du bureau Iran. Cette proscription date de sanctions plus anciennes que l'embargo pour les essais nucléaires et qui ont été appliquées pour des actes de terrorisme. La levée de l'embargo, en janvier 2016, qui permet une reprise progressive des relations commerciales, n'y change rien. Depuis cette date,  « l'interdiction de faire du financement avec l'Iran a été levée pour les banques étrangères à condition qu'elles ne soient pas en relation avec un individu sur la liste noire de l'Office of Foreign Assets Control [Ofac]  et si elles n'utilisent pas le système financier américain », explique un officiel du département d'Etat.

L'avionneur américain est l'une des rares entreprises à avoir été exemptées par le Congrès, pour la vente d'avions de ligne. L'état catastrophique de la flotte iranienne - qui a besoin de 400 nouveaux appareils dans les années à venir - laissait entrevoir un marché trop juteux pour être ignoré. Airbus, de son côté, avait un accord avec Téhéran pour vendre 118 avions (dont 12 A380), mais vient d'apprendre que cette commande avait été réduite de 6 exemplaires, faute d'avoir obtenu à temps les licences d'exportation pour les équipements d'origine américaine. Un scénario qui pourrait se répéter dans les mois à venir, puisque ces autorisations sont systématiquement exigées par Washington. Ce n'est pas le seul obstacle qui se dresse devant le groupe français : le financement du projet en est un autre, en raison de la frilosité des banques à travailler avec l'Iran : l'amende de 8,9 milliards de dollars infligée à la BNP pour avoir violé l'embargo est dans tous les esprits. Personne ne veut risquer des nouvelles représailles américaines. 

« Je pense que l'accord signé avec Boeing va permettre de débloquer la situation », assurait fin juin le ministre des Affaires étrangères, Javad Zarif, devant la commission des Affaires étrangères du Sénat, « mais il reste un problème bancaire ». Et d'insister :  « Pour des contrats importants avec Airbus, Peugeot, Renault, Citroën, nous avons besoin du concours de grandes banques françaises. » 

La prudence des établissements financiers s'explique par le manque de clarté sur l'usage possible ou non du dollar - la devise de financement des grands projets - puisqu'il est impossible de passer par des banques américaines. Des équipes du State Department sont d'ailleurs venues ces derniers jours à Paris, Londres et Berlin pour écouter les doléances des exportateurs et donner des explications sur la position américaine.

Les banques paralysées

Téhéran a beau avoir eu le droit de se rattacher au réseau Swift (le système de traitement des opérations bancaires internationales) en février 2016, cela ne l'aide en rien pour opérer des transactions. Par contagion, en quelque sorte, et parce que toutes les grandes banques françaises se trouvent, de par leur taille, au coeur des systèmes de compensation interbancaire où se font les échanges de devises, elles rejettent toute transaction vers l'Iran qui risquerait de les en exclure. Un financier se souvient ainsi avoir eu un client dont les encours à hauteur de 7,5 millions d'euros ont été bloqués un an et demi par une grande banque française, jusqu'à ce que l'entreprise se tourne vers une banque plus inventive... et moins exposée. Les anecdotes sont nombreuses, comme celle de ce chef d'entreprise qui rapporte avoir été menacé d'être sorti du bureau de son banquier s'il prononçait une nouvelle fois le mot « Iran » ! 

A Téhéran, début septembre, la ministre française de l'Environnement, Ségolène Royal, a été très critique. « Les banques françaises qui sont liées aux banques américaines n'osent pas intervenir en Iran. C'est tout à fait inadmissible », a-t-elle affirmé. Mais elles sont bel et bien coincées. BNP Paribas et Crédit Agricole, qui ont été sanctionnés par les Américains - ou Société Générale, en voie de l'être -, sont paralysés, tandis que les autres évitent ce marché comme la peste. 

Les Iraniens sont les premiers à s'en plaindre, de plus en plus fort. « Sur le papier, les Etats-Unis autorisent les banques étrangères à faire des affaires avec l'Iran, mais, en pratique, ils ont créé une iranophobie », a déclaré le guide suprême, Ali Khamenei, en avril dernier. « Il est plus facile de dire que le problème vient des Etats-Unis, alors qu'en réalité les gens sont inquiets du manque de transparence du système bancaire iranien », rétorque l'officiel du State Department. 

Cette situation complique surtout le financement de grands contrats et de grands projets, mais il n'empêche pas les transactions. Les années d'embargo ont donné le temps aux Iraniens de trouver des parades. Deux banques genevoises, la Banque de Commerce et de Placements (BCP) et Heritage, ont, par exemple, avec l'accord des autorités suisses et américaines, assuré le financement du commerce humanitaire autorisé (agroalimentaire, médicaments). Les Iraniens ont aussi exploité un réseau diversifié de banques, qui leur a permis de se faire payer le pétrole qu'ils ont vendu librement pendant des années. Parmi elles, l'Europäisch-Iranische Handelsbank (EIH), à Hambourg, dans le collimateur de Washington, qui l'a interdite aux Etats-Unis pour avoir financé le programme nucléaire iranien, mais qui est toujours active en Allemagne car elle permet aux exportateurs allemands de commercer avec l'Iran.

Valises pleines de cash

Les paiements sont donc possibles. Si une société iranienne a une filiale à Dubaï (un cas fréquent) et que celle-ci dispose d'un compte en Turquie, l'argent peut être viré vers l'un, qui rétribuera l'autre. Ensuite, la réalité est que beaucoup de valises pleines de cash font le voyage entre Dubaï et l'Iran. A Téhéran, les bureaux de change vont jusqu'à accepter un maximum de 300.000 euros par transaction. Et il est autorisé de sortir jusqu'à 2 millions d'euros en espèces. 

Depuis la levée de l'embargo sur le nucléaire, de toutes petites banques - qui n'ont aucune attache avec les Etats-Unis - ont commencé à faciliter les transactions des entreprises vers l'Iran. Sans surprise, ce sont de petites boutiques de Länder allemands ou bien d'Italie, deux pays qui ont de fortes ambitions commerciales en Iran. Mais il y a aussi des institutions plus établies comme KBC en Belgique, DZ Bank en Allemagne, Erste Bank en Autriche, Halkbank en Turquie, ainsi que des établissements chinois et sud-coréens, des pays dont les entreprises sont très présentes en Iran. En France, de petites banques privées, comme Wormser ou Delubac, se sont mises sur ce créneau. L'astuce ? N'effectuer que des transactions en euros et passer directement par la chambre de compensation de la Banque centrale européenne. Les commissions varient de 0,25 % à 2 %, mais le surcoût de financement peut aller jusqu'à 20 %. En 2015, un expert estime qu'environ 500 millions d'euros de transactions ont été réalisées de la France vers l'Iran. Des volumes encore trop faibles pour que les grandes banques s'y intéressent. Fin août, afin de débloquer la situation, le ministre iranien des Affaires étrangères a appelé de ses voeux des lettres du Trésor américain pour rassurer les banques. 

Les entreprises françaises déplorent les difficultés pour pénétrer le marché iranien, où il faut souvent trouver un partenaire local pour s'implanter. Et il n'y a pas beaucoup d'aide institutionnelle : Coface, par exemple, ne couvre pas les échanges commerciaux de court terme. Un autre risque tient au fait que quelques grandes fondations iraniennes contrôlent à elles seules des pans entiers de l'économie. Ces énormes conglomérats peuvent abriter des personnalités qui sont sur la liste noire de l'Ofac... De quoi entraîner des sanctions américaines. Les exportateurs français critiquent aussi la somme de détails exigés par l'Ofac quand ils doivent demander une licence : « C'est quand même de l'espionnage économique très avancé », enrage l'un d'eux. 

« Les entreprises françaises sont triplement sanctionnées », résume un lobbyiste. « Non seulement les banques ne bougent pas, mais, si une entreprise faisait quelque chose qui déplaise aux Américains, les membres de son conseil d'administration pourraient être privés de visa pour les Etats-Unis. » C'est vrai pour l'Iran, mais pas seulement. Depuis les sanctions imposées contre la Russie après l'annexion de la Crimée, des listes ont été établies de personnalités russes ou ukrainiennes devenues persona non grata, et avec lesquelles les transactions sont interdites. Si jamais des Européens commercent avec une personnalité inscrite sur la liste américaine mais pas sur la liste européenne, ils seront sanctionnés par les Etats-Unis alors que l'inverse n'est pas vrai. « La puissance du dollar permet de traquer toutes les transactions ! » assure ce lobbyiste. En France, l'extraterritorialité des lois américaines est devenue le cheval de bataille de deux députés, Pierre Lellouche (LR) et Karine Berger (PS), qui présenteront leur rapport sur ce thème le 5 octobre prochain.

Enfin, le manque de transparence du régime de Téhéran, la mainmise des gardiens de la révolution sur de nombreux secteurs économiques, les exécutions nombreuses dans le pays sont autant de facteurs qui freinent l'appétit des investisseurs. Sans compter le risque, toujours possible, d'un rétablissement des sanctions. 

Les entreprises déplorent en effet l'absence de visibilité politique, entre l'élection américaine de novembre prochain et l'élection présidentielle iranienne, en mai 2017. Pour le président Rohani, il est indispensable que la politique d'ouverture paie et se traduise par une modernisation de l'économie. La réélection des modérés en dépend. Le rajeunissement de la flotte aéronautique pourrait en être le symbole. Las, ces contrats seraient aujourd'hui farouchement combattus par les membres pro-israéliens du Congrès, qui veulent interdire au Trésor d'autoriser les ventes d'avions à l'Iran. A Téhéran s'est tenu le week-end dernier le premier sommet iranien du financement de l'aviation. Avec une question pressante : comment passer outre les restrictions sur le dollar américain ?


Source : Les Échos, 20 septembre 2016


mercredi, septembre 14, 2016

Les banques étrangères toujours réticentes à travailler en Iran

Neuf mois après l'entrée en vigueur de l'accord nucléaire avec les grandes puissances et la levée d'une grande partie des sanctions internationales, les grandes banques étrangères, en particulier européennes, rechignent toujours à venir en Iran par peur de sanctions américaines.

"Pour l'instant, des petites banques européennes ont accepté de travailler avec nous", a déclaré à l'AFP Parviz Aghili, PDG de la banque privée Khavarmianeh (Middle East Bank), qui cite quatre banques italiennes, deux autrichiennes, trois suisses, trois allemandes et deux belges, sans révéler leurs noms. "Mais aucune banque étrangère moyenne ou grande n'a encore accepté de le faire", précise-t-il. 

Parmi ces institutions il y a les banques autrichiennes Raiffeisen Bank et Erste Bank, les Italiennes Mediobanca et Banco popolare (Italie), les Allemandes EIH, KFW bank et AKA bank, les banques belge KBC et néerlandaise ING ainsi que la Turque Halk, selon un expert bancaire. 

Elles "ont établi des relations de travail avec les banques iraniennes pour l'ouverture de lettres de crédit pour des montants assez faibles de 10, 20 ou 50 millions de dollars", a déclaré à l'AFP cet expert. "Mais elles n'ont pas les ressources pour financer de grands projets comme le contrat pour l'achat des 118 avions Airbus et une centaine de Boeing ou les projets de développement pétrolier ou gazier", ajoute-t-il.  

Le président Hassan Rohani estime que pour moderniser son outil industriel et relancer l'économie, son pays a besoin de 30 à 50 milliards de dollars d'investissements étrangers par an. 

Mais sans les grandes institutions bancaires internationales, il est impossible d'atteindre cet objectif. 

- L'obstacle américain - 

"Le principal obstacle pour les relations bancaires est le Trésor américain qui fait pression sur tous les pays, empêche les relations bancaires et la levée des sanctions", a récemment déclaré Allaeddine Boroujerdi, le président de la Commission des Affaires étrangères du Parlement iranien. 

L'Office pour le contrôle des avoirs étrangers (OFAC) qui dépend du Trésor américain n'a toujours pas donné son autorisation pour la vente d'Airbus et de Boeing à l'Iran. 

"Les banques doivent prendre en considération les sociétés et les personnes impliquées dans toute transaction en raison des sanctions des Nations unies, des Etats-Unis et de l'Union européenne toujours en vigueur", a déclaré à l'AFP Henry Smith, analyste de l'Iran auprès du cabinet de conseil Control Risks. 

Les responsables iraniens dénoncent régulièrement l'attitude des Américains qui ont levé les sanctions "sur le papier", mais pas dans les faits. 

Les Etats-Unis ont maintenu des sanctions importantes contre l'Iran liées à son programme balistique, à son soutien présumé "au terrorisme", à ses violations des droits de l'Homme.  

Près de 180 individus et sociétés iraniennes sont toujours sur une "liste noire" américaine, dont les Gardiens de la révolution, les ministères de la Défense, de la Culture, des Renseignements, les industries de défense, les compagnies aériennes Mahan Air et Caspian Air, ou encore les banques Saderat, Ansar ou Mehr. 

- "Iranophobie" - 

Les Américains "alimentent une sorte d'iranophobie pour que dans les faits personne n'échange avec l'Iran", déclarait récemment Amir Hossein Zamaninia, le vice-ministre du Pétrole chargé des affaires internationales. 

Cette situation provoque aussi la colère des Européens. "Les banques françaises qui sont liées aux banques américaines n'osent pas intervenir en Iran. C'est tout à fait inadmissible", a déclaré fin août la ministre française de l'Environnement, Ségolène Royal en visite à Téhéran.  

"La réticence des banques étrangères à faire des affaires en Iran a clairement renforcé les groupes qui, en Iran, étaient au mieux sceptiques à propos de l'accord nucléaire", ajouté M. Smith. 

En effet, les conservateurs ne cessent de critiquer l'accord nucléaire et les "concessions" faites par le gouvernement du président Rohani sans garanties sur la levée des sanctions. 

"Il y a deux problèmes. Tout d'abord, il faut moderniser le système bancaire pour nous adapter aux nouvelles règles bancaires internationales qui ont beaucoup évolué", souligne M. Aghili. 

Les banques iraniennes, qui n'ont pas eu de liens avec les banques internationales pendant une quinzaine d'années, doivent appliquer les nouvelles règles adoptées par la communauté internationale pour lutter contre le blanchiment d'argent (LBC) et le financement du terrorisme (FT), selon M. Aghili. 

"Ensuite, il y a l'iranophobie. L'Iran est toujours présenté comme le mouton noir, alors que cela ne correspond pas à la réalité. Pour que les grandes banques viennent, il faut que ces deux problèmes soient réglés", ajoute-t-il. "Cela prendra un an ou deux au moins".

Source : AFP 

dimanche, septembre 11, 2016

« Tant que les circuits bancaires ne sont pas rétablis, le redémarrage de l’économie iranienne sera bloqué »

Directeur général d’Ageromys International, société de conseil pour les entreprises opérant avec l’Iran, Michel Makinsky intervient régulièrement sur le régime des sanctions américaines.

Un an après la signature de l’accord sur le nucléaire, comment se porte l’économie iranienne ?

L’économie est dans une phase critique avec un chômage préoccupant. Heureusement, la contraction de la masse monétaire a réduit l’inflation à environ 10 %, et elle devrait encore baisser. La croissance a été nulle en 2015 et atteindra probablement 2 % cette année. Si les blocages bancaires se lèvent, elle pourrait avoisiner 5 % en 2017. L’économie dépend encore des exportations pétrolières et de la remontée du cours du baril. La production pétrolière a été relancée avec succès. Selon le ministre du Pétrole, l’Iran a produit en juin 3,8 millions de barils par jour et, depuis la levée des sanctions en janvier, les exportations ont doublé, à 2 millions de b/j. Les exportations de condensats (NDLR : type de pétrole léger) ont progressé et atteindraient 200 000 barils par jour en juillet. Dans tous les secteurs, la relance dépend des investissements des entreprises étrangères. Tant que les circuits bancaires ne sont pas rétablis, les projets sont bloqués. Le nouveau budget n’est pas encore finalisé. Le Parlement arbitre actuellement les grands choix budgétaires : hypothèses de recettes, réduction des subventions, taxation des Fondations et entreprises des Gardiens de la Révolution qui s’y opposent farouchement. Le gouvernement a réussi à augmenter les recettes fiscales mais cet effort se heurte aux fraudeurs, à ceux qui ne payent pas ou peu d’impôts. La lutte contre la corruption est une arme dont l’équipe du Président Rohani dispose face aux ultra-conservateurs. Après la dénonciation du salaire « astronomique » du patron de la Compagnie centrale d’assurances, le gouvernement a lancé une enquête sur les rémunérations de plusieurs responsables, que les services de la justice, tenue par l'ultra Sadeq Larijani, essaient de freiner devant un scandale devenu national. Le ministre de l’Economie a démissionné les dirigeants de quatre banques (Mellat, Saderat, Refah et Mehr). Embarrassé, Ali Khamenei, le Guide, refuse une « chasse aux sorcières ». Rohani veut neutraliser les corrompus, souvent proches d’Ahmadinejad, des ultras, voire des amis du Guide, lesquels ripostent en attaquant les alliés de Rohani les accusant d'être tout aussi corrompus.

On reparle d’économie de résistance…

Le gouvernement souhaite une économie ouverte. Il fait face à une obstruction politique du Guide, des ultras et d’une partie des pasdarans dont les intérêts sont menacés. Ali Khamenei refuse que Rohani encaisse les dividendes politiques de l’accord sur le nucléaire et blâme la paralysie des banques européennes sous les pressions américaines. Il a lancé un appel à l’économie de résistance et à la défiance envers les étrangers qu’il présente comme une invasion idéologique destinée à faire tomber le régime. Les contrats passés avec les entreprises étrangères seront sévèrement encadrés. Dans un combat acharné contre le gouvernement, les pasdarans, dont le conglomérat industriel Khatam-ol Anbiya, défendent âprement leur « part du gâteau ». Ce groupe retarde le nouveau modèle de contrat pétrolier IPC (Iranian Petroleum Contract). Juste avant les législatives, des miliciens bassiji ont été envoyés par eux manifester devant le ministère du Pétrole, appuyés par l’ancien député Tavakkoli. Ce dernier a obtenu que le vice-président, Eshaq Jahangiri, donne instruction au ministre du Pétrole, Bijan Zanganeh, de réviser le contrat IPC. Zanganeh a aussi remplacé le patron de la NIOC (compagnie pétrolière nationale), Roknedin Javadi, par un fidèle, Ali Kardor, sur fond de divisions.

Comment se porte le système bancaire ?

La détermination du gouverneur de la Banque centrale iranienne à assainir le système bancaire iranien ne fait pas de doute. Les autorités veulent une réforme du secteur car il n’est pas conforme aux standards internationaux en matière de transparence et de rigueur pour opérer la relance économique. Ce système est fatigué, de nombreux établissements devraient être renfloués et réorganisés car ils croulent sous les dettes. Trop de prêts de complaisance ont été accordés, la dette privée gonfle. Le FMI déplore le manque de transparence et de vigueur dans la lutte contre le blanchiment. Le Gafi (FATF) avait émis une appréciation très sévère le 19 février, encourageant ainsi l’Ofac (Office of Foreign Assets Control) aux Etats-Unis à maintenir ses positions dures à l’égard de l’Iran. Le 24 juin, le Gafi, notant les efforts de rigueur iraniens, a retiré le pays de la liste « d’appels à contre-mesures» pour 12 mois. Les grandes banques étrangères exposées ne veulent toujours pas ouvrir des comptes correspondants avec des homologues iraniens. L’articulation des sanctions primaires et secondaires - dont l’ interdiction du dollar, avec des difficultés techniques quand des mécanismes imposent un passage par la monnaie américaine, sans parler des autres contraintes (dont la due diligence) - est dissuasive. Les pressions officieuses américaines jouent leur rôle.

Les opérateurs ont à l’esprit l’amende imposée à BNP Paribas…

Les Etats-Unis ont exploité la souveraineté monétaire. BNP Paribas avait utilisé le dollar. Les sanctions primaires américaines interdisent aussi d’employer du personnel américain ou disposant d’une green card, d’avoir 10 % ou plus de composants US. Il y a aussi la crainte relative d’un retour (snap back) de toutes les sanctions nucléaires si l’accord du 14 juillet 2015 n’est pas respecté, même si elles ne seront pas immédiates et que ce risque peut être couvert. Le 10 mai à Londres, l’Association britannique de banques et des banquiers européens ont demandé à John Kerry des assurances pour ne pas être pénalisés en cas de relations avec l’Iran. Kerry et ses équipes ont répondu que Washington encourage les transactions avec l’Iran si elles respectent les autres sanctions américaines. Le Département d’Etat a invité les banques à poser leurs questions à l’Ofac qui vient de publier quelques précisions sur ces sujets. Ceci n’a rassuré personne (dont Stuart Levey, chief legal officer de HSBC), face aux pressions visant les banques européennes sous des formes sournoises : menace de boycott, articles incendiaires dans un grand journal américain, conseils « amicaux » donnés aux fonds de pension pour désinvestir du capital de la banque ou des entreprises concernées, lettres personnelles et publiques adressées par l’UANI (United Against Nuclear Iran) à des dirigeants industriels ou banquiers (y compris américains !)….

Airbus a-t-il une chance d’avoir le feu vert américain pour fournir des aéronefs à l’Iran ?

La situation est encore complexe alors que Boeing a obtenu l’autorisation de négocier au titre de la licence H (exception aux sanctions primaires). L’OFAC n’a pas répondu aux demandes des Trésors anglais, allemand et français pour obtenir des lettres de confort assurant un traitement équitable. Pour Téhéran, Washington ne respecte pas l’esprit de l’accord, notamment quand la Cour Suprême autorise la saisie de 2 milliards de dollars d’avoirs iraniens. De longue date, l’ensemble des avoirs iraniens gelés était évalué entre 100 et 120 milliards de dollars. La réalité est différente. En septembre 2015, Valliolah Seif, gouverneur de la Banque centrale d’Iran, a ramené le montant à 29 puis 32 milliards de dollars. Le niveau actuel serait de 8 milliards de dollars. Selon John Kerry, 3 milliards de dollars ont pu être récupérés par Téhéran. En fait, une grande partie de ces avoirs a déjà été engagée ou gagée sur des opérations. Ils ne sont plus utilisables. Par ailleurs, les fonds privés iraniens ne peuvent pas non plus être rapatriés. Les banques internationales ne veulent pas les transférer par peur de sanctions (lutte contre le blanchiment, le terrorisme). Les détenteurs de ces fonds sont en général incapables d’en justifier leur traçabilité complète.

La Maison Blanche a voulu cet accord avec l’Iran mais continue à l’affaiblir économiquement…

C’est tout le paradoxe américain. Dès 2009, Obama voulait renouer avec l’Iran, y compris politiquement en pensant implicitement rouvrir à terme une ambassade. Le but initial des sanctions était d’empêcher l’Iran de se doter de l’arme nucléaire. Mais l’Amérique entend résolument conquérir des parts de marché dans ce pays, à la faveur de la levée des sanctions. Ceci passe par l’élimination de la concurrence européenne. L’application de l’accord sur le nucléaire dépend aussi des luttes d’influence internes au-delà du Congrès. Le pouvoir n’est pas centralisé aux Etats-Unis comme en France. Le Trésor a sa propre vision. Adam Szubin, sous-secrétaire d’Etat chargé du terrorisme et du renseignement financier ne souhaite pas mettre en péril l’accord par un excès de sanctions tout en le « surveillant » avec rigueur. Certains agents de l’institution, à l’écoute des lobby ultra-conservateurs et pro-israéliens, souhaitent poursuivre la politique d’exclusion. Quelques anciens du Trésor se retrouvent dans des think tanks néo-conservateurs.

Sans rétablissement des flux financiers, Rohani pourra-t-il être réélu en 2017 ?

L’accord sur le nucléaire était aussi destiné à « sauver le soldat Rohani ». Son avenir politique reste à conforter alors que la présidentielle se profile en 2017. La population est impatiente de percevoir les fruits de la levée des sanctions. Pour être réélu, il doit rapidement créer des emplois et améliorer le pouvoir d’achat de ses compatriotes. Outre la fin des blocages bancaires, il veut développer le secteur privé. Il se heurte toutefois à l’hostilité des bénéficiaires de prébendes, du secteur para-public, d’une partie des Gardiens de la Révolution et de leurs alliés… Sans oublier la pression du Congrès américain pour freiner et torpiller l’accord. Plus on approche de la présidentielle américaine, moins la marge de manœuvre sera grande. Et même si Hillary Clinton est élue, elle devrait être plus à l’écoute des Israéliens et des lobbys hostiles à l’accord sur le nucléaire. Les choix de Washington face à l’Arabie Saoudite pèseront aussi.

Un Centre d'affaires français en Iran

Au cœur du quartier d’affaires de Téhéran situé au nord de la capitale iranienne, la société d’intelligence économique Adit (Agence pour la diffusion de l'information technologique), dont l’État détient 34 % du capital via notamment Bpifrance, et Medef International Ouvriront courant septembre le Centre français des affaires de Téhéran (CFAT), une structure que les deux partenaires, qui mettent en commun leurs atouts respectifs, dédient plus particulièrement aux ETI et PME françaises.


Medef International connaît bien l’Iran. Son chargé de mission Proche et Moyen-Orient, Matthieu Etourneau, qui sera le directeur général du CFAT, se déplace une à deux fois par mois dans ce pays depuis trois ans, pendant que l’Adit possède déjà une expérience dans le domaine de la gestion de ce type de structure dans des pays difficiles, avec celle du Centre français des affaires de Bagdad. « Mais attention, signale Matthieu Etourneau à la Lettre confidentielle du Moci, si la sécurité est un enjeu dans la capitale irakienne, ce n’est pas du tout le cas dans la métropole iranienne qui est sûre et où nous souhaitons offrir beaucoup plus de services aux entreprises ». Une démarche qui répond aussi à la ligne voulue par Pierre Gattaz d’avoir un « Medef concret », ajoute-t-il.


L’offre du CFAT reposera ainsi sur deux piliers : d'une part l’accompagnement opérationnel et stratégique et d'autre part l’échange d’informations. Dans le premier cas, les entrepreneurs pourront disposer d’un bureau de passage ou souscrire un abonnement annuel, avec un accès privilégié à une série de spécialistes : avocats, banquiers, fiscalistes, etc. La banque Wormser ou le cabinet d’avocats Gide Loyrette Nouel seront des partenaires, tout comme le CFAT pourra compter sur le Comité Iran des conseillers du commerce extérieur de la France (CCEF). D’autres services seront proposés : réservations d’hôtels, interprètes, organisation de rendez-vous, lettre d’information…


Échanger les informations au cœur d’une "Maison de l’entreprise"

Matthieu Etourneau insiste aussi sur les échanges interentreprises au sein du CFAT, dont l’ambition est de devenir une véritable "Maison de l’entreprise". « Le marché est complexe et il est donc important de partager », justifie le futur directeur général de la structure. C’est d'ailleurs cette complexité qui a poussé l’Adit et Medef International à se rapprocher à partir de mars dernier. « Avec Philippe Caduc, le P-dg de l’Adit, nous étions conscients de la nécessité d’agir en faveur des nombreuses entreprises qui nous sollicitent et qui sont perdues, notamment parce qu’elles sont démarchées par de nombreux intermédiaires iraniens. Notre souhait a donc été de les aider à décrypter le marché et à identifier de bons partenaires », confie encore à la LC le chargé de mission Proche et Moyen-Orient à Medef International.


Matthieu Etourneau partagera son temps entre Paris et Téhéran, et le CFAT disposera d’une équipe permanente sur place de deux personnes, un responsable franco-iranien et une assistante iranienne. « En fonction de la demande des entreprises, l’équipe pourra évoluer, les services et la taille du centre, qui sera de 120 m2 de bureaux, également, des espaces étant disponibles à Téhéran », précise Matthieu Etourneau. Sans avoir commencé la prospection commerciale, les deux partenaires de l’opération notent déjà avec satisfaction les marques d’intérêt de plusieurs entreprises françaises.


François Pargny


Pour en savoir plus :
Centre français des affaires de Téhéran : 
contact@cfa-teheran.frwww.cfa-teheran.fr

- Source : http://www.lemoci.com

mercredi, septembre 07, 2016

Partir à l'assaut de l'Iran ?

L'Iran est classé 118e pour la facilité à faire des affaires, dans le classement Doing Business de la Banque Mondiale. C'est dire s'il y a une marge de progression.

Avec la levée des sanctions, les opportunités d'affaires se développent à vitesse grand V. L'Iran n'a rien d'un eldorado pour autant. Le marché est complexe.



L'Iran - 5% de croissance attendus en 2016 -, n'est pas un territoire qui s'ouvre facilement aux primo-exportateurs. Ce sont 43 PME, triées sur le volet, et surtout déjà rodées aux affaires hors frontières, que la chambre de commerce et de l'industrie d'Ile-de-France a emmenées début juin 2016 pour un voyage de prospection dans l'ancienne Perse.

Estelle Gillot-Valet, responsable du service développement des marchés internationaux dans cette CCI,l livre son éclairage sur ce pays qui, depuis la levée officielle des sanctions en janvier 2016, fait saliver bien des chefs d'entreprise.  

Quels sont les secteurs porteurs aujourd'hui en Iran?  

Dans l'énergie, l'industrie, les mines et la sidérurgie, équipementiers et prestataires de service peuvent faire des affaires. Dans les télécoms et les TIC, beaucoup de projets sont également envisageables : l'Iran est le premier marché télécoms du Moyen-Orient, et la population, éduquée, est avide de nouvelles technologies. Les secteurs de l'environnement et des services urbains sont à regarder de près également. Les Iraniens ont des problèmes sérieux de gestion de l'eau et des déchets, et plus globalement des problématiques de pollution à gérer. Sur le plan de la santé, les fournisseurs d'équipements médicaux peuvent avoir une carte à jouer, sachant que des projets de construction d'hôpitaux sont en cours. Le marché de la cosmétique est un vrai eldorado, c'est le deuxième de la région après l'Arabie Saoudite. Les Iraniennes sont notamment de grandes consommatrices de maquillage. La notoriété et l'image de la marque France dans ce domaine est un atout, même si au niveau des réseaux de distribution, cela peut être un peu compliqué. Je pourrais citer aussi le potentiel dans l'équipement agro-alimentaire ou l'équipement touristique. Pour résumer, les opportunités sont un peu partout.  

Mais le marché reste difficile d'accès...  

Les questions financières restent problématiques. Pour l'instant, la promesse de levée des sanctions ne se traduit pas dans les faits. Les entreprises françaises ont beaucoup de mal à trouver un partenaire bancaire pour les accompagner. Il existe bien des petites banques, dans l'Hexagone, qui n'ont pas d'intérêts aux Etats-Unis et qui donc, n'ayant pas peur des amendes, acceptent d'investir. Mais elles prennent des frais très importants, qui ne peuvent que rogner totalement la marge de l'entreprise. Il faut être patient, la situation va finir par s'améliorer, sans doute même du jour au lendemain. C'est l'heure de se positionner, sinon d'autres le feront à notre place. Rien qu'en Europe, les Italiens, les Allemands, les Autrichiens, ou les Suisses, sont particulièrement pro-actifs.  

A quoi ressemble le pays, aujourd'hui?  

 Les sanctions ont eu des effets lourds sur les entreprises iraniennes, mais celles-ci ont quand même su faire preuve d'intelligence pour trouver des montages légaux pour faire tourner leur activité et donc le pays. On est donc face à un pays industriel qui a fait face à ses besoins de base. Téhéran est une ville propre, le parc automobile ne fait pas honte, les services publics fonctionnent correctement. Les choses sont plutôt organisées et structurées.  

Décrivez-nous les entrepreneurs iraniens ?  

Ils ont l'habitude de travailler avec des partenaires étrangers. Ce sont de très bons négociateurs, des commerciaux historiquement réputés. Ils sont exigeants, voire impatients. Avec les Français, ils trouvent que cela va trop doucement. Ce n'est pas rare qu'ils veuillent vous faire signer "sur le champ". En ce moment, ils sont extrêmement sollicités, voient donc défiler beaucoup de monde. Il faut avoir cela en tête et faire du suivi après chaque rencontre.  

Peut-on être investisseur à 100% dans ce pays ?  

Oui, ce n'est pas comme en Chine, on n'a pas besoin de "sponsor". L'Iran s'aborde comme tout autre marché : il faut se demander quelle est la meilleure approche, d'une domiciliation "légère" à la création d'une structure avec un partenaire local. Faire appel à un volontaire international en entreprise (VIE) n'amènera pas forcément les résultats commerciaux attendus si le jeune diplômé n'est pas fortement accompagné. Mais c'est vrai dans tous les pays. En ce qui concerne les formalités à effectuer pour s'implanter, elles sont assez complexes. L'Iran est classé 118e pour la facilité à faire des affaires, dans le classement Doing Business de la Banque Mondiale. C'est dire s'il y a une marge de progression.  

Parmi les gros points noirs du pays, il y a les droits de l'homme et la corruption. Comment avez-vous abordé ces sujets avec les PME que vous avez accompagnés là-bas ?  

Tout le monde est capable de faire le distinguo entre la politique et les individus. Les entrepreneurs français vont nouer des relations avec des entrepreneurs iraniens, pas avec le gouvernement. Et puis, l'ouverture peut amener des pays à évoluer. En ce qui concerne la corruption, nous les avons sensibilisées au risque qu'il y a à entrer dans ce jeu.  

Les Échos du 17 juin 2016