samedi, mai 28, 2016

Jumelage entre Gare de Lyon et la Gare de Téhéran

SNCF Gares & Connexions, filiale de la SNCF chargée de la gestion et du développement des gares, a signé lundi un accord de jumelage entre la gare de Téhéran et la gare de Lyon, à Paris.

Ce jumelage, signé dans le cadre du déplacement en Iran du secrétaire d'Etat aux Transports Alain Vidalies, avait fait l'objet d'un protocole de coopération en janvier à Paris, mais le nom des gares concernées n'avait pas été précisé.

En juillet dernier, Arep, filiale de Gares & Connexions spécialisée dans l'architecture, avait par ailleurs décroché un contrat de 7 millions d'euros pour le réaménagement et la rénovation des gares iraniennes de Téhéran, Machhad (nord-est) et Qom (centre). 

"Nous avons un contrat d'aménagement de la transformation de plusieurs gares, et l'idée de ce jumelage est de lancer une coopération pour peut-être signer demain un contrat pour l'exploitation opérationnelle de gares iraniennes en coentreprise", a déclaré à l'AFP Patrick Ropert, directeur général de Gares & Connexions.

"Les Iraniens, qui ont pour objectif de porter à 100 millions le nombre de passagers en gare de Téhéran en 2025, cherchaient une gare ayant un trafic équivalant à cet objectif", a-t-il précisé, ajoutant que la gare de Lyon combinait à la fois "des éléments historiques, du trafic RER, TGV et de trains longue distance, ce que les Iraniens cherchent à implanter à Téhéran".

Dans le cadre du contrat signé en juillet, Arep réalise déjà des études sur l'aménagement de la gare de Téhéran, qui s'étend sur 162 hectares au coeur de la capitale. "Notre premier travail est de redéfinir l'espace pour proposer de l'hôtellerie, du logement, des centres commerciaux", souligne M. Ropert. "Actuellement, une grande partie de ces espaces sert à l'entretien ou au stockage des matériels alors qu'en France nous les avons déplacés en périphérie pour mieux gérer la surface au coeur des villes".

Autre point important, selon lui, la "reconstruction de la mobilité" dans un centre-ville "très congestionné" pour "booster l'activité économique".

Actuellement, le trafic ferroviaire en Iran est surtout dévolu au fret et seuls 4% des déplacements s'effectuent par le rail. Le gouvernement iranien prévoit de faire passer à 18% en 2025 le trafic ferroviaire de passagers.

Gares & Connexions a réalisé en 2015 1,2 milliard d'euros de chiffre d'affaires, et sa filiale Arep 94 millions d'euros.


AFP 16 avril 2016

lundi, mai 23, 2016

L'aventure iranienne des entreprises françaises

La levée des sanctions occidentales ouvre une ère pleine de promesses au pays des mollahs. Mais, des lettres d’intention à l’eldorado, le chemin est long pour les entreprises françaises qui se bousculent à Téhéran.

Le retour en fanfare d’Air France en Iran, inauguré ce dimanche 17 avril en présence du secrétaire d’Etat aux Transports Alain Vidalies et d’un aréopage de chefs d’entreprise français, avait failli mal tourner, gâché par la polémique sur le voile que certaines hôtesses de l’air refusent de porter à la descente de l’avion. Mais vite réglé « en leur proposant de voler sur la base du volontariat », précisait, au cours du vol, leur PDG, Frédéric Gagey, soucieux de ne pas s’enliser dans ce terrain sensible.

Airbus, seul gros contrat

Le flagship français revient toutefois moderato à Téhéran, avec seulement trois vols par semaine. Quand Lufthansa et Alitalia - qui n’avaient jamais cessé de desservir la capitale iranienne - en offrent déjà une dizaine, et que British Airways annonce l’ouverture de six liaisons hebdomadaires en septembre. « Notre objectif est de passer le plus rapidement possible à un vol quotidien », rassure le patron français. « Tout le monde rêve de l’Iran, mais il faut faire attention aux mirages derrière la carte postale », glisse un consultant franco-iranien chargé d’orienter les patrons d’entreprise dans les arcanes politico-religieux encore largement opaques pour eux. Air France, mais également Thales, Vinci, SNCF, Alstom, Bolloré… Il suffisait de déambuler dans la cabine business de l’A 330 tricolore pour mesurer le niveau d’ambition des entreprises françaises ici. Certains cadres faisaient le voyage pour la première fois, d’autres étaient déjà venus avec la délégation du Medef en 2015, et profitaient du déplacement d’Alain Vidalies pour suivre les dossiers décrochés en janvier, lors de la visite officielle du président Hassan Rohani en France. Pas de gros contrats, excepté celui d’Airbus.

Pour l’essentiel, des lettres d’intention et des accords de principes. « Le fameux MOU [Manifestation of Understanding], c’est le premier sésame ici », plaisante Patrick Ropert, directeur de Gares & Connexions, venu voir le patron des chemins de fer iranien. Car, en janvier, la SNCF a signé un protocole de coopération portant notamment sur l’exploitation des gares et le développement de lignes à grande vitesse. « L’état des infrastructures est obsolète, et les objectifs des autorités sont immenses, rappelle-t-il, en sortant ses fiches passées au surligneur jaune. Construire 15 000 kilomètres de voies ferrées en dix ans, en électrifier 20 %, et multiplier par quatre le nombre de voyageurs, c’est juste énorme ! » Les montants promis donnent en effet le vertige : 50 milliards dans les transports à long terme, dont 20 milliards d’ici à 2025. Les besoins aussi : plus de 400 avions, 1 000 trains, un hub international…

Hub pour concurrencer Dubai

Son MOU également en poche, Patrick Jeantet, directeur général d’ADP - pardon, de Paris Aéroport, la nouvelle signature -, compte d’ailleurs faire avancer le projet de transformation de l’aéroport international de Téhéran en une plateforme concurrente de celles de Dubai ou d’Istanbul : « Cela fait plus d’un an que l’on travaille sur ce dossier, à la fois avec Bouygues comme partenaire officiel, mais également en concertation avec Airbus. » En tenant le même discours aux autorités iraniennes sur le potentiel de développement du trafic à Téhéran, le constructeur aéronautique « fait avancer les deux causes à la fois », décrypte-t-il.

Avec Bouygues et Airbus mais sans Vinci. Car, cette fois, l’actionnaire et concurrent de Paris Aéroport a préféré défendre ses couleurs en solo, comme l’explique, assis deux rangs plus loin dans l’avion, Nicolas Notebaert, le président de la branche aéroport. « Le marché est assez grand pour tout le monde », glisse - t - il seulement. Le groupe privé vise, lui, l’exploitation des plateformes aériennes des deux principales villes du pays après Téhéran (9 millions d’habitants) : Ispahan (2 millions) et Mechhed (4 millions), premier lieu de pèlerinage chiite dans le monde. Si Vinci les emporte, ces deux contrats feraient croître l’activité aéroport du groupe privé de 10 % d’un coup !

C’est vrai que, sur le papier, la levée programmée depuis le 16 janvier des sanctions occidentales appliquées à l’Iran depuis quarante ans est pleine de promesses : « En termes de potentiel économique, c’est l’équivalent de l’intégration de l’Europe de l’Est après la chute du mur de Berlin, assure l’avocat d’affaires franco-iranien Ardavan Amir-Aslani, conseiller de PSA, Vinci, Rollier et bioMérieux. L’Iran, c’est 83 millions d’habitants, une classe moyenne éduquée qui a été ostracisée et qui a soif de consommation et d’échange avec l’Occident. »

De quoi faire rêver Jean-François Rial. « Ça va redémarrer très fort, prédit le patron du tour-opérateur Voyageurs du monde, enthousiasmé par sa visite éclair à Téhéran. On envoie déjà 800 personnes par an dans le pays. Cela peut grossir beaucoup plus, car l’Iran a le profil idéal pour nos clients : une culture millénaire, des paysages magnifiques, et une jeunesse beaucoup plus émancipée qu’on ne l’imagine en France, qui sort et fait la fête. » Mais en attendant de devenir la nouvelle Marrakech, il faudra construire beaucoup plus d’hôtels (voir encadré page 19), régler les problèmes de visas avec les Etats-Unis - ces derniers ne délivrant plus d’ESTA (leur programme d’exemption de visas) à ceux qui ont mis les pieds au pays des mollahs -, et surtout espérer que les autorités américaines lèvent vite les sanctions sur les banques européennes qui veulent travailler en Iran.

Menaces américaines

« C’est une réelle préoccupation, confie Patrick Jeantet. Car aucun établissement français ne veut faire de virement en Iran, ni monter un crédit de peur de vivre le syndrome de BNP Paribas en 2014. » Malgré l’accord sur le programme nucléaire, les Etats-Unis ont maintenu leurs sanctions sur toute personne ou entreprise suspectée de soutenir le terrorisme ou de blanchir de l’argent. Résultat : « Aucun des accords signés par Rohani lors de sa venue en Europe n’a pour le moment trouvé de financement bancaire », pointe cet avocat d’affaires, en référence notamment au contrat des 118 Airbus.

Comment rapatrier ses recettes et même payer ses fournisseurs, puisqu’il est impossible de faire un virement en Iran à partir de la France ? Entre beignets de crevettes et jus sans alcool servis à l’ambassade de France à la veille du retour à Paris, les préoccupations des invités ne portaient plus du tout sur la question du voile des hôtesses de l’air. « Des investisseurs américains nous ont prévenus que si nous nous engagions financièrement maintenant en Iran, ils seraient obligés de vendre nos actions », s’inquiétait le patron d’un groupe coté. « Les Etats- Unis terrorisent les banques européennes, mais avancent ici avec des faux nez pour rafler la mise le jour où ils lèveront les sanctions », affirmait un autre.

Fantasme ou réalité ? Seule certitude pour Hubert Védrine : « Il y a six à huit mois un peu compliqué à passer jusqu’à l’élection présidentielle aux Etats-Unis, pendant lesquels on va rester dans le flou. Les choses devraient s’éclaircir ensuite », veut croire l’ancien ministre des Affaires étrangères et conseiller spécial du groupe Air France auquel il sert de facilitateur.

En attendant, les vols d’Air France ne risquent pas de désemplir. Après la délégation des commissaires européens samedi, la visite de Vidalies dimanche, ce sera bientôt à Emmanuel Macron, le ministre de l’Economie, de s’envoler pour Téhéran.

Source : Challenges, 24 avril 2016, Pauline Damour 

Pourquoi le retour des entreprises françaises en Iran est complexe

Après la levée des sanctions, les grands groupes français entendent profiter de la visite du président Hassan Rohani à Paris, pour relancer les relations économiques entre les deux pays. Si Airbus va signer un contrat pharaonique avec Téhéran, certains freins subsistent.

Les entreprises françaises sont dans les starting-blocks. Une dizaine de jours après l'entrée en vigueur officielle de l'accord de Vienne et la levée des sanctions, Hassan Rohani effectue les 27 et 28 janvier, à Paris, une visite officielle à forts enjeux. Le président iranien, à la tête d'une importante délégation d'hommes d'affaires, entend relancer les relations économiques avec un pays qui était l'un de ses principaux partenaires économiques avant le renforcement des sanctions internationales en 2012.

Ce voyage doit ainsi être l'occasion d'annoncer la signature de plusieurs contrats. L'Iran va par exemple en profiter pour finaliser une commande de 114 avions civils à Airbus, un contrat pharaonique qui pourrait dépasser les 10 milliards de dollars. D'autres secteurs comme l'aéroportuaire, l'automobile, l'agriculture ou la pharmacie devraient bénéficier de cette reprise des échanges commerciaux.

Mais si l'Iran, avec un marché de près de 80 millions d'habitants, une volonté d'accueillir 30 à 50 milliards de dollars d'investissements étrangers d'ici cinq ans et des perspectives de croissance à deux chiffres, offre de beaux débouchés aux entreprises hexagonales, la reconquête ne s'annonce pas si facile. "On repart presque de zéro, l'aggravation des sanctions de l'Union européenne en  2012 a très fortement touché nos exportations", souligne une source diplomatique. Celles-ci sont en effet passées en dix ans de 3,7 milliards d'euros à 550 millions à ce jour.

"Les Iraniens ont besoin de la technologie européenne"

La fermeté de la France contre Téhéran durant les négociations de Vienne peut-elle aussi avoir un impact sur ce "restart" commercial? "Cela va jouer un petit peu au début, répond cette même source diplomatique. Les Iraniens, notamment pour les grands contrats publics, peuvent nous le faire sentir". Yves-Thibault de Silguy, vice-président du Medef International et de Vinci, qui a conduit la délégation du Medef en Iran en septembre dernier, nuance. "Il est primordial de retrouver cette confiance et c'est pour cette raison que la visite d'Hassan Rohani à Paris est très importante, indique-t-il. Mais les Iraniens ont besoin de la technologie européenne. Ils viennent de le prouver en choisissant Airbus. Ils sont pragmatiques et privilégieront la meilleure proposition. Il est de ce point de vue nécessaire que nos entreprises fassent des offres avec un fort contenu local ce qui signifie recruter des Iraniens ou dans l'automobile, par exemple, faire du montage sur place".

Durant la période de sanctions, certaines entreprises ont toutefois maintenu une présence symbolique en Iran, ce que les autorités ont apprécié. Renault a ainsi continué d'exporter des pièces pour assembler la version locale de sa Logan. Et Total a conservé son bureau de représentation et ses relations à Téhéran. "Nous avons une longue histoire avec l'Iran, précise un cadre du géant pétrolier. Mais pour envisager un retour effectif, deux conditions doivent être réunies: que le cadre légal nous permette effectivement d’y travailler et que les conditions économiques soient suffisamment intéressantes". Dans ce secteur, les majors comme Total attendent aussi le contenu des nouveaux contrats pétroliers, présentés par Téhéran à Londres fin février. Les autorités iraniennes ont promis qu’ils seront plus attractifs que les précédents, jugés trop contraignants par les majors. Mais la chute du prix du baril n'incite pour l'instant pas les pétroliers à des investissements faramineux.

Le problème du crédit

Parmi les risques bien identifiés figurent l'endettement élevé des banques iraniennes, un système juridique obsolète, la rigidité du marché du travail et la corruption. Et les entreprises étrangères hésiteront aussi à investir en Iran du fait du risque de rétablissement automatique des sanctions ("snap-back") si Téhéran ne respecte pas ses obligations sur le nucléaire. Le crédit pose notamment problème aux grandes banques françaises, qui ont des intérêts aux Etats-Unis, pays qui maintient un éventail de sanctions antérieures à la crise nucléaire et interdit les transactions en dollar avec l'Iran. "Les banques françaises sont assez frileuses sur ce sujet depuis que BNP Paribas a été condamné par la justice américaine (la banque française a écopé en 2014 d'une amende de 8,9 milliards de dollars pour avoir violé l'embargo contre l'Iran, Cuba et le Soudan, Ndlr), réagit Yves-Thibault de Silguy. Nous espérons rapidement le rétablissement de la couverture d'assurance-crédit de la Coface". Celui-ci, qui pourrait être annoncé lors de la visite d'Hassan Rohani à Paris, n'a à ce jour pas été activé.

Autre souci pour les entreprises françaises: une concurrence plus forte qu'il y a dix ans. "La France va devoir faire face à un marché bien plus concurrentiel qu'avant, les asiatiques notamment sont déjà bien positionnés et n'ont pas toutes ces contraintes de financement", explique Ardavan Amir-Aslani, avocat d'affaire et spécialiste de l'Iran, dont le cabinet a ouvert un bureau à Téhéran en septembre. Signe de ce changement, Téhéran et Pékin viennent de nouer un "partenariat stratégique" avec pour ambition de porter les relations économiques entre les deux pays à un niveau de 600 milliards de dollars d'ici dix ans. Une annonce faite il y a dix jours par Xi Jinping, en déplacement à Téhéran. Cela faisait 14 ans qu’un président chinois n’avait pas foulé le sol iranien. Pour retrouver pareille visite d'Etat côté français, il faut remonter à Valéry Giscard d'Estaing. C'était en octobre 1976.


Source : Challenge, 26 janvier 2016, Antoine Izambard