lundi, avril 28, 2008

Les pasdarans, nouveaux maîtres de l'iran

Les pasdarans,nouveaux maîtres de l'Iran
Le Figaro - envoyé spécial à Téhéran Georges Malbrunot
24/04/2008
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Durant la présidence de Mahmoud Ahmadinejad, les gardiens de la révolution ont accru leurs pouvoirs, mais ils sont divisés et toujours sous le contrôle du guide suprême Ali Khamenei (portrait ci-dessus).
Durant la présidence de Mahmoud Ahmadinejad, les gardiens de la révolution ont accru leurs pouvoirs, mais ils sont divisés et toujours sous le contrôle du guide suprême Ali Khamenei (portrait ci-dessus). Crédits photo : AFP
Leur poids dans le prochain Parlement est un des enjeux du second tour des législatives, qui a lieu vendredi.

La photo a jauni. Elle date de la révolution islamique en 1979. Moghadam Kanani et une poignée de pasdarans entourent dévotement son héros, l'ayatollah Khomeiny. Trente ans après, l'ex-Gardien de la révolution porte toujours la barbe, mais c'est l'homme d'affaires qui reçoit dans son bureau au nord de Téhéran. «Ce sont les pasdarans qui ont reconstruit le pays après la guerre contre l'Irak, cette guerre qui leur conféra une légitimité. C'est normal qu'ils aient ­encore beaucoup d'influence», déclare cet ingénieur formé en Grande-Bretagne, après sa démobilisation du front. Fondateur d'un mouvement écologiste, Moghadam Kanani, 52 ans, incarne cette autre lignée de gardiens de la révolution. Militaires par devoir face à l'ennemi, avant de devenir avocat, enseignant ou chef d'entreprise. «Cette double casquette leur donne une plus grande ouverture que les mollahs, l'autre colonne vertébrale du régime», observe Anis Naccache, ancien activiste, reconverti lui aussi dans les affaires. L'an dernier, la société d'ingénierie de Kanani a même signé un contrat avec une entreprise française de Vitrolles pour la construction d'une ligne TGV entre Téhéran et Méchad, à 700 km à l'est de la capitale. Aujourd'hui annulé.

Sous la présidence d'Ahmadinejad, les pasdarans ont accru leurs positions dans les affaires. Khatam ­al-Anbia, leur empire qui va de la banque au tourisme en passant par la téléphonie mobile, a plus de 250 projets industriels en chantier, auxquels s'ajoutent 1 220 autres, achevés depuis 1990. Mais c'est l'entrée de ce trust, exonéré d'impôts, dans les secteurs stratégiques du pétrole et du gaz, qui a soulevé les plus vives critiques. Les adversaires d'Ahmadinejad l'accusent d'avoir offert à ses amis du ministère du Pétrole deux importants contrats d'une valeur totale de 4 milliards de dollars. Sans appel d'offres. Comme cette autre affaire remportée par les pasdarans, avec la construction d'une portion du métro de Téhéran (2,4 milliards de dollars).

Mais il y a aussi la face cachée de l'iceberg : les soixante ports clandestins gérés par les «gardiens». Un aéroport inaccessible au public, à l'ouest de Téhéran, où transiteraient des marchandises sensibles. Sans oublier le juteux trafic d'alcool à partir du port de Bandar Abbas, où chaque jour, un conteneur serait revendu par les gardiens de la révolution. «Quand je suis arrivé en Iran en 1991, se souvient un homme d'affaires occidental, j'ai vu apparaître un concurrent qui im­porta soudainement 300 appareils de radiologie, en fait, c'était les pasdarans qui opéraient à travers une société écran» . Sous Ahmadinejad, ils n'avancent plus masqués. Marginalisés pendant la présidence de son prédécesseur réformateur, Mohammad Khatami, les gardiens prennent leur revanche. Jamais ils n'ont été aussi présents dans les rouages de l'État. «Ils ont pris le pouvoir, c'est dangereux pour l'avenir du pays», prévient un proche de Khatami.

Missiles balistiques et nucléaire clandestin

La moitié des ministres sont d'anciens pasdarans ou vétérans des services de renseignements. 80 députés (sur 290) aussi. Et de Bagdad aux Nations unies à New York, une douzaine de représentations diplomatiques leur reviennent. Mais le joyau reste le contrôle opérationnel qu'ils exercent sur les programmes de fabrication des missiles balistiques Shahab, capables de frapper Israël, et sur le nucléaire militaire clandestin, au centre du différend avec l'Occident.

«Le nucléaire est aussi un enjeu de pouvoir entre les factions iraniennes, note un diplomate, en le contrôlant, les pasdarans rééquilibrent le rapport de forces face aux mollahs, qui, eux, s'appuient sur le velayat-faqhi», cet autre pilier du système en vertu duquel le religieux prime le temporel.

Khomeyni, qui les appelait au soir de sa vie à ne pas se mêler de politique, doit se retourner dans sa tombe. Mais si les gardiens sont parvenus jusqu'au sommet du pouvoir, c'est pour défendre un seul et même objectif : contrer toute avancée démocratique qui mettrait en danger la République islamique. À deux reprises durant les années Khatami, les pasdarans sont sortis du bois pour lancer de sévères mises en garde. Durant les manifestations étudiantes de 1999, lorsque 24 commandants affirmèrent qu'ils «ne pouvaient tolérer davantage» de troubles. Et quelques années plus tard, le 8 mai 2004, quelques heures seulement après l'ouverture officielle de l'aéroport Imam Khomeyni à Téhéran, lorsqu'une unité pasdaran ordonna sa fermeture, invoquant «la menace sur la sécurité» du pays que représentait une société turque qui avait reçu la gestion de l'établissement en partenariat avec une entreprise iranienne. En réalité, les gardiens redoutaient de perdre la maîtrise du trafic de marchandises. Et dans un cas comme dans l'autre, personne ne broncha.

«Mauvais calcul»

Mais en les faisant sortir de l'ombre, Ahmadi­nejad a exposé l'institution pasdarans aux sanctions internationales. Qu'il s'agisse du métro de Téhéran ou du secteur pétrolier, les gardiens ne peuvent plus avancer, sans les crédits extérieurs, dont ils sont désormais privés. Ainsi, la Société générale a-t-elle été contrainte de renoncer l'an dernier au financement du gigantesque projet de développement du champ gazier de South Pars, offert aux pasdarans. «Faire du business avec eux c'est faire des affaires avec des terroristes» , soutiennent les États-Unis, qui ont inscrit les pasdarans sur la liste des organisations terroristes. «Mauvais calcul», répond l'analyste iranien, Amir Tahéri, qui préconise une approche plus sélective. Grâce à certains d'entre eux, des fléaux comme la corruption ont reculé. Loin de les voir comme les auteurs potentiels d'un «coup d'État» , d'aucuns les considèrent comme les seuls à pouvoir ouvrir le système politique. «Grâce à leur passé militaire, des gens comme le maire de Téhéran, Mohamed Ghalibaf, sont capables de mener à bien une normalisation avec l'Occident. Contrairement à Khatami, ils ont les moyens de mettre en œuvre leur politique pragmatique» , soutient le chercheur Bernard Hourcade. Gardiens de la révolution certes, mais d'une révolution qui change.
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samedi, avril 19, 2008

L'inflation galopante, préoccupation des Iraniens

L'inflation galopante, préoccupation des Iraniens

Reuters, Fredrik Dahl - 12 mars 2008

Le problème le plus pressant des classes moyennes iraniennes avant les élections législatives de vendredi est l'inflation galopante, pas la confrontation entre l'Iran et les pays occidentaux sur son programme nucléaire.

Hashem Hosseini est boucher à Islamshahr, localité à 50 km au sud-ouest de Téhéran dont le nom signifie "ville de l'islam". Dans sa boucherie quasi déserte, il le confirme: le prix de l'agneau a augmenté de 20% au cours du mois passé.
"Ceux qui n'ont pas beaucoup de moyens sont dans une situation bien plus critique", explique-t-il. Voilà qui devrait inquiéter le président Mahmoud Ahmadinejad, arrivé au pouvoir il y a près de trois ans en promettant de répartir les revenus du pétrole iranien plus équitablement.

"C'est quoi cette histoire de nucléaire ?", ricane un jeune homme mécontent, dans un autre commerce. "Il y a des gens ici qui se réveillent la nuit la faim au ventre. Les riches deviennent plus riches et les pauvres plus pauvres." Comme d'autres Iraniens critiquant le gouvernement, cet homme de 28 ans ne veut pas être donner son nom.
Selon des analystes, les problèmes économiques vont sans doute éclipser la question nucléaire dans l'esprit de nombreux électeurs, même si le scrutin a lieu moins de deux semaines après l'adoption par le Conseil de sécurité de l'Onu d'une troisième série de sanctions - assez modérées - contre l'Iran.

DÉPENSES SOCIALES

Des hommes politiques mécontents de la façon dont Ahmadinejad gère une économie pesant 280 milliards de dollars cherchent à prendre le contrôle du Parlement, aux mains de ses alliés conservateurs, afin de se renforcer avant l'élection présidentielle de l'an prochain. Si l'inflation galopante peut fragiliser le camp du président avant les élections, la hausse des dépenses sociales à destination des pauvres opérée depuis son arrivée au pouvoir pourrait limiter l'érosion de sa popularité.

Fazrullah Nemati, 63 ans, se plaint lui aussi de l'inflation mais y voit un problème mondial sur lequel le gouvernement a peu de prise. "Ahmadinejad n'est pas responsable", estime cet ingénieur à la retraite, qui sait gré au président d'avoir porté sa retraite mensuelle à deux millions de rials (environ 216 dollars), même s'il a du mal à joindre les deux bouts. Selon le gouvernement, le pays, quatrième producteur mondial de brut, a encaissé environ 70 milliards de dollars de revenus du pétrole au cours de l'année passée. L'économie croît à un rythme annuel qui dépasse 6% et des centaines de milliers d'emplois ont été créés.
Seulement, il ne semble pas que cette prospérité concerne tout un chacun à Islamshahr, où de violentes manifestations contre la hausse des prix avaient eu lieu au milieu des années 1980. Des voitures et des bus décrépits encombrent ses rues polluées. Dans les magasins et sur les marchés, les gens disent avoir du mal à faire face à toutes leurs dépenses, entre les loyers en hausse et les prix alimentaires qui augmentent eux aussi, avec des salaires qui stagnent.

INFLATION OFFICIELLE: 20%

Ahmadinejad, qui aime se présenter comme un défenseur des pauvres, est visé par des critiques de plus en plus vives au Parlement et dans la presse pour son incapacité à juguler l'inflation, officiellement évaluée à 20%. Selon des économistes, elle est sans doute plus élevée. En revanche, la population le soutient en majorité pour son intransigeance dans le dossier nucléaire, même si des responsables politiques plus pragmatiques estiment qu'elle risque d'isoler encore l'Iran.

Les économistes imputent la hausse de l'inflation à des dépenses excessives de pétrodollars, notamment sous la forme de subventions pour l'essence et la nourriture, dans cette économie étroitement contrôlée par l'Etat. Le président, qui devrait sans doute briguer sa réélection en 2009, a accusé ses opposants d'exagérer le problème, tout en promettant d'agir pour maîtriser la hausse des prix à la consommation. Selon Knut Ostby, qui dirige le Programme des Nations unies pour le développement en Iran, l'inflation risque d'accentuer le fossé entre riches et pauvres. "Nous craignons une hausse des inégalités car les salaires ne suivent pas l'inflation et ceux qui ont peu ont de moins en moins", a-t-il dit à Téhéran.

Il salue néanmoins le fait que les autorités tentent d'accroître la protection sociale et de lancer des projets de développement. "Il y a un recul de la pauvreté absolue." A Islamshahr, Hosseini le boucher affirme que les affaires sont bien moins bonnes que d'habitude à cette période de l'année, avant le début des vacances du Nouvel An, le 21 mars. "L'an dernier nous n'aurions pas eu le temps de s'asseoir pour vous parler", dit-il. "Il n'y a plus de files d'attente." Selon lui, un kilo de boeuf, dans son magasin, coûte 75.000 rials, soit une hausse de près de 60% en un an.
C'est trop pour une femme à qui le médecin a conseillé d'acheter de la viande pour son fils de sept ans, malade. "C'était trop cher", déplore cette femme au foyer de 30 ans, qui repart les mains vides. "Cela s'aggrave chaque jour."